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Actionnaire majoritaire d’une société anonyme et administrateur : conditions d’existence d’un contrat de travail

Commentaire de C. trav. Mons, 20 novembre 2013, R.G. 2012/AM/484

Mis en ligne le lundi 19 mai 2014


Cour du travail de Mons, 20 novembre 2013, R.G. n° 2012/AM/484

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 novembre 2013, la Cour du travail de Mons rappelle dans quelles conditions un actionnaire majoritaire d’une société, qui y exerce un mandat d’administrateur, peut être assujetti au régime général de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Elle réexplicite les règles en matière de preuve de la nature de la relation de travail, à défaut de choix contractuel clair.

Les faits

L’O.N.S.S. décide d’annuler l’assujettissement au régime général de la sécurité sociale d’un ouvrier chauffeur de camion pour son occupation au service de la société qui l’occupe. Pour l’Office, l’existence d’un contrat de travail n’est pas établie à suffisance de droit. L’O.N.S.S. se fonde sur la circonstance que l’intéressé est actionnaire à 99,9% de ladite société et qu’il ne peut, dans ces conditions, être question d’un lien de subordination effectif.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Charleroi, qui, par jugement du 6 septembre 2012, le considère non-fondé. Le tribunal relève notamment que le contrat de travail produit n’est pas signé et que, de ce fait, aucune certitude suffisante n’existe quant à la qualification précise des relations de travail entre parties. Pour le tribunal, la charge de la preuve de l’existence du lien de subordination incombe à l’intéressé, dans cette hypothèse.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

Pour l’appelant, l’O.N.S.S. a la charge de la preuve de l’absence de lien de subordination, à savoir que ni l’administrateur délégué ni le conseil d’administration ne rempliraient un rôle prépondérant au sein de la société, permettant de donner des ordres à l’intéressé.

Quant à l’Office, il rappelle les principes habituels relatifs à la requalification du contrat de travail en contrat d’entreprise. Sur le plan de la charge de la preuve, il estime que c’est la partie qui entend se prévaloir du maintien de son assujettissement à la sécurité sociale qui doit prouver l’existence d’un contrat de travail. Celui-ci n’est en l’occurrence nullement démontré, les personnes ou organes susceptibles d’exercer une autorité sur l’intéressé n’étant pas identifié(e)s.

Il existe par ailleurs des éléments incompatibles avec le contrat de travail et il n’y pas davantage de conditions de prestation selon des modalités similaires à celles d’un contrat de travail. Il conclut que l’intéressé devrait avoir la qualité d’associé actif.

Décision de la cour

La cour reprend longuement les principes relatifs à la subordination juridique, caractéristique du contrat de travail. Elle rappelle que, lorsque les parties ont qualifié leurs relations de travail, c’est celle-ci qui s’impose et que, lorsque les éléments soumis ne permettent pas d’exclure cette qualification, le juge ne peut y substituer une autre. C’est la jurisprudence constante de la Cour de cassation et la cour du travail reprend notamment l’arrêt du 23 mars 2009 (Cass., 23 mars 2009, S.08.0136.F). La cour rappelle également que la primauté de la qualification professionnelle a été confirmée dans la loi du 17 décembre 2006, qui a précisé ce qu’il faut entendre par « nature des relations de travail » en son article 333 notamment.

S’agissant de dispositions d’ordre public, celles-ci s’appliquent aux relations de travail qui se sont poursuivies au-delà du 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur du texte.

La cour en vient ensuite à la situation particulière du contrat de travail conclu entre une société anonyme et un de ses administrateurs. Pour la cour du travail, cette situation n’est pas exclusive d’un lien de subordination, mais tout est question de cas d’espèce. Dans une société anonyme, l’autorité peut être exercée par le conseil d’administration dans son ensemble ou par l’un de ses membres. Dès lors qu’il s’agit d’un actionnaire majoritaire ou qui détient de très larges pouvoirs, la question du lien de subordination se pose avec une acuité particulière. S’il n’y a, pour la cour, pas d’incompatibilité légale, il faut que l’administrateur assume réellement, en tant que travailleur salarié, une fonction distincte et qu’une autorité effective soit exercée sur sa personne par un organe.

Enfin, sur le plan de la preuve, la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2013 (Cass., 10 juin 2013, J.T.T., 2013, p. 321), selon lequel c’est à l’O.N.S.S. qui entend procéder à la disqualification du contrat de travail de prouver l’inexistence du lien de subordination juridique.

La cour en vient alors à l’examen des éléments lui soumis dans le cas d’espèce. Constatant que le contrat de travail n’est pas signé, elle en conclut que la volonté réelle des parties peut, dans une telle hypothèse, transparaître dans la manière dont la convention a été exécutée. La réalité de fait doit primer. Constatant que la société est détenue majoritairement par l’intéressé, qui possède 99,9% du capital, elle considère qu’il n’y a pas de subordination juridique. Pour la cour, la relation de travail subordonnée ne peut exister entre une société et son actionnaire majoritaire dès lors que ce dernier peut convoquer à tout moment une assemblée générale pour mettre fin au mandat de l’administrateur délégué (en l’occurrence le détenteur du solde du capital), celui-ci étant la personne physique par l’entremise de laquelle l’autorité patronale est exercée. La cour reprend, sur cette question, les développements faits en doctrine sur le principe de la révocabilité « ad nutum » des administrateurs par l’assemblée générale.

Elle puise encore des indices de l’absence de lien de subordination dans les déclarations de l’intéressé dans le cadre de l’enquête, étant que c’est lui qui avait pensé à son propre recrutement et que, si la direction de l’activité était assurée par un employé au dispatching dans un premier temps et par son fils ensuite, il se considérait comme un rempart au cas où des abus seraient commis par ceux-ci.

La cour va encore reprendre les conditions d’application de l’article 3, 5° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969, visant l’extension à la sécurité sociale des activités exercées. La cour rappelle que cette extension est possible dès lors que le travailleur se voit « commander » des transports de choses par la société. Or, en l’espèce, tel n’était pas le cas. Elle confirme dès lors le jugement dans toutes ses dispositions, l’examen du rapport de force entre les actionnaires de la société excluant la subordination juridique exigée pour qu’il y ait contrat de travail.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle, dans une hypothèse où un actionnaire majoritaire d’une société anonyme exerce également un mandat d’administrateur et effectue des prestations de travail, qu’il faut rechercher les indices concrets de subordination, la qualification contractuelle étant floue. Pour la cour, il ne suffit pas qu’existe un organe susceptible d’exercer une autorité sur le travailleur, encore faut-il que cette autorité soit effective. Si la majorité des actions est détenue par l’administrateur-travailleur, qui peut ainsi révoquer ce mandat, la subordination n’existe pas.


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