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Plainte pour harcèlement : quels documents peuvent-ils être communiqués dans le cadre d’une procédure judiciaire ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 12 novembre 2013, R.G. 13/5.870/A

Mis en ligne le jeudi 22 mai 2014


Tribunal du travail de Bruxelles, 12 novembre 2013, R.G. n° 13/5.870/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 12 novembre 2013, le Tribunal du travail de Bruxelles ordonne à un service externe de prévention et de protection au travail de communiquer les dossiers relatifs à une plainte en harcèlement, en ce compris pour ce qui est des recommandations individuelles, le jugement précisant que les éléments doivent lui parvenir anonymisés.

Les faits

Une infirmière, affectée dans un centre fermé pour étrangers, porte plainte pour harcèlement moral en juillet 2008. Suite à celle-ci le service externe de prévention et de protection remet un avis. L’intéressée est alors réaffectée dans un autre service (administration centrale). Elle est amenée ultérieurement à déposer une nouvelle plainte, eu égard à des accidents du travail qu’elle attribue à des faits relevant de harcèlement. Elle est de nouveau déplacée. Le SEPPT remet un avis en août 2012 constatant une situation de souffrance relationnelle sur le lieu de travail, à savoir une relation de type conflictuel, la preuve de harcèlement moral (avec comportements abusifs) n’étant pas rapportée, même si de l’abus est constaté de la part d’un collègue de travail.

Objet de la demande

Le tribunal constate que l’intéressée sollicite à ce stade de la procédure des mesures avant dire droit, portant essentiellement sur la communication de l’avis complet du SEPPT, pour les deux plaintes déposées. L’Etat belge considère pour sa part que les dossiers en question sont confidentiels et ne peuvent être produits en justice.

Avis de l’auditorat

L’auditeur du travail remet un avis circonstancié, dont il ressort que rien ne s’oppose à la production du dossier d’un conseiller en prévention, mais anonymisé ou expurgé de certaines pièces. Il souligne que la production de ce dossier est utile, considérant qu’il n’est pas normal que le tribunal n’ait pas accès aux recommandations collectives. Il estime utile de pouvoir évaluer la manière dont l’employeur a répondu à celles-ci.

Il suggère dès lors dans son avis d’ordonner au SEPPT la production des documents demandés mais anonymisés.

Décision du tribunal

Le tribunal rappelle le mécanisme probatoire dans le cadre d’une procédure judiciaire en matière de harcèlement, ainsi que lors d’une procédure interne. Il s’agit des articles 32undecies, alinéa 1er, et 32quinquiesdecies de la loi du 4 août 1996. Cette dernière disposition rappelle que le conseiller en prévention est tenu au secret professionnel (article 458 du Code pénal) mais que certaines exceptions à ce secret professionnel sont prévues dans la loi, étant que (i) la personne mise en cause, l’employeur ou toute personne intéressée peut obtenir copie d’éléments du dossier, (ii) le Contrôle du bien-être au travail peut obtenir le dossier individuel de plainte sauf les déclarations des personnes entendues, (iii) le travailleur peut obtenir de l’employeur une copie expurgée de l’avis lorsqu’il est question de modifications des conditions de travail ou en cas d’actions en justice mais (iv) les données à caractère personnel, les notes des entretiens, la plainte, les déclarations des personnes entendues, le rapport du conseiller en prévention ne peuvent être communiqués au travailleur ou à la personne suspectée de harcèlement.

Les travaux préparatoires de la loi du 10 janvier 2007 prévoient cependant des éléments pouvant être communiqués dans le cadre d’une procédure pénale ou civile. Au civil, le conseiller en prévention n’est pas obligé de transmettre ses auditions au tribunal. Les travailleurs qu’il entendrait risqueraient, en effet, de se taire s’ils savaient que tout ce qu’ils déclareraient serait susceptible d’être connu de tous dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il y a dès lors lieu, selon l’exposé des motifs de la loi, de cloisonner les procédures : si les autorités judiciaires sont saisies de ces dossiers, elles doivent réentendre les témoins qu’elles jugent utiles et ceux-ci sont libres de réitérer leur témoignage ou non.

Le tribunal relève, avec le ministère public, les contradictions entre les textes, étant d’une part que le Contrôle du bien-être au travail peut obtenir un dossier expurgé, ce qui n’est pas le cas du tribunal et que dans le cadre de procédures judiciaires, au pénal l’auditeur du travail peut faire saisir un dossier mais faire réentendre les témoins et qu’au civil le conseiller en prévention n’est pas obligé de transmettre les informations au tribunal, de telle sorte qu’il est tenu pour acquis qu’il ne le fera pas et qu’il faudra réentendre les témoins.

Tout en relevant ces questions, le tribunal considère que l’on peut les appliquer de manière complémentaire et qu’il peut, en application des articles 877 et suivants du Code judiciaire inviter le conseiller en prévention à déposer une copie du dossier de la procédure interne, si nécessaire expurgée d’éléments jugés confidentiels. Le conseiller peut, comme le rappelle le juge, choisir de lever le secret professionnel, ce qui est autorisé par les articles 32quinquiesdecies de la loi du 4 août 1996 et 458 du Code pénal. Dans la négative, le tribunal peut encore procéder à l’audition de témoins.

Il ordonne, dès lors, en application des articles 877 et suivants du Code judiciaire, la production de l’avis rendu dans le cadre de la première plainte, avis anonymisé mais comprenant les recommandations individuelles et collectives ainsi que le dossier complet de la seconde plainte, dossier anonymisé et comprenant l’enquête, l’avis, les recommandations individuelles et collectives également.

Intérêt de la décision

Ce jugement tranche une question récurrente, dans le cadre du dépôt de plainte en matière de harcèlement, étant celle des informations du dossier pouvant être communiquées dans le cadre d’un débat judiciaire. Après avoir relevé le manque de cohérence des divers textes, le tribunal en revient à la possibilité figurant aux articles 877 et suivants du Code judiciaire, d’ordonner à un tiers la production de documents. La discussion relative au caractère confidentiel de certaines parties du dossier est réglée par précision de l’anonymisation des données personnelles. L’on notera que la production des documents en cause vise à la fois les recommandations individuelles et collectives.


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