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Aides aux personnes handicapées et principe de standstill : cas d’application

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 8 novembre 2013, R.G. 2012/AL/532

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2014


Cour du travail de Liège, section de Liège, 8 novembre 2013, R.G. n° 2012/AL/532

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 novembre 2013, la Cour du travail de Liège analyse longuement la notion de standstill, qui doit, comme elle le rappelle avec la doctrine, couvrir non seulement la réglementation mais également la pratique administrative.

Les faits

Une personne handicapée introduit une demande auprès de l’AWIPH aux fins d’obtenir une intervention dans le coût d’accessoires à un véhicule. Il s’agit notamment de rétroviseurs et de vitres électriques, points que l’AWIPH rejette par décision du 27 juillet 2010, se fondant sur un arrêté du Gouvernement wallon du 14 mai 2009 fixant les conditions et modalités d’intervention d’aide individuelle à l’intégration des personnes handicapées.

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail de Liège, faisant essentiellement valoir qu’elle a pu bénéficier d’une telle intervention précédemment.

Le tribunal confirme la décision administrative par jugement du 4 septembre 2012.

Appel est interjeté devant la cour du travail.

Décision de la cour du travail

Celle-ci est essentiellement saisie de l’évolution des textes, depuis un premier décret de la Région wallonne du 6 avril 1995, et ce eu égard à l’octroi précédemment intervenu, pour les aides sollicitées.

La cour reprend les trois textes successivement applicables, étant le décret du 6 avril 1995 ci-dessus, qui a été remplacé par un arrêté du 4 février 2004, lui-même ayant été abrogé par un arrêté du 14 mai 2009.

La cour constate que la différence essentielle dans ceux-ci consiste en la mention expresse en 2009 d’une exclusion des accessoires en cause, les textes successifs prévoyant cependant tous qu’il n’y avait pas d’intervention prévue dès le départ.

Elle rappelle qu’elle ne peut appliquer des arrêtés royaux qui ne sont pas conformes à la Constitution et aux lois, ainsi que prévu à l’article 159 de la Constitution. Cette règle l’amène à examiner la clause de standstill contenue implicitement à l’article 23 de la Constitution. Elle constate, en effet, que l’octroi de l’aide matérielle avant l’entrée en vigueur du dernier arrêté n’est pas dû à une modification du décret mais à une pratique administrative, en vertu de laquelle le texte réglementaire n’impliquait pas une exclusion. La cour rappelle que l’obligation de standstill n’est pas un principe général de droit, dans la jurisprudence de la Cour de cassation (renvoyant à Cass., 14 janvier 2004, R.G. n° 9.031310.F).

Ce n’est dès lors pas à un principe général de droit qu’il faut se référer mais au droit international ou encore à l’article 23 de la Constitution. C’est dans l’un ou l’autre que la doctrine et la jurisprudence ont trouvé le fondement de la règle. La cour renvoie à divers travaux sur la quesiton, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Il s’agit dès lors de comparer deux normes successives, dès lors qu’est invoquée une violation de l’effet de standstill de l’article 23. La question se pose cependant plus particulièrement de savoir si, parmi les normes concernées, il faut inclure les pratiques administratives et la cour renvoie à la doctrine de I. Hachez (I. Hachez, « Le principe du standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative », Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 390), qui admet celles-ci, solution qu’adopte la cour, dans la mesure où une aide sociale au sens large, comme en l’espèce, peut trouver son origine dans un texte mais également dans l’interprétation qui en est faite et dans la pratique de l’administration.

A supposer l’existence d’une rétrogradation, il faudrait alors vérifier s’il y a un recul significatif au niveau de la protection accordée sans qu’existe un intérêt général proportionné. Soulignant qu’il n’y a pas de droit acquis de manière irréversible, la cour considère que la rétrogradation doit trouver une justification sérieuse. S’appuyant sur la doctrine, elle conclut sur cette question que les restrictions qui peuvent être mises à l’obligation de standstill doivent être examinées de la même manière que les obligations positives qu’elle protège. En d’autres termes, si le recul significatif est établi, le législateur, qui a modifié la norme ou encore l’administration que l’a appliquée différemment et de manière restrictive, doit justifier cette modification par l’intérêt général.

La cour renvoie encore à un arrêt du Conseil d’Etat du 23 septembre 2011 (C.E., 23 septembre 2011, arrêt n° 215.309), qui a ainsi annulé partiellement un arrêté du Collège de la COCOF du 17 avril 2008, dans la mesure où la réglementation antérieure relative à une aide matérielle liée à des voiturettes et adaptations avait été réduite sensiblement sans que ne soient démontrés des motifs liés à l’intérêt général et sans que n’ait été prise de mesure compensatoire.

Tels sont les principes à appliquer et la cour s’interroge dès lors sur la raison pour laquelle la pratique administrative a été modifiée, puisque, actuellement, quel que soit le niveau du handicap et le caractère utile ou essentiel de l’aide, celle-ci sera refusée.

Dans la mesure où ces points n’ont pas été débattus, elle ordonne une réouverture des débats. Il s’agit pour l’AWIPH de préciser les raisons pour lesquelles la modification est intervenue et de justifier les motifs liés à l’intérêt général.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège est particulièrement intéressant, s’agissant d’appliquer l’obligation de standstill à une matière d’aide sociale. La cour se livre à une analyse en doctrine des principes applicables et, plus particulièrement, sur la question de l’application de ce principe aux pratiques administratives. Interprétant les arrêtés successifs, la cour a en effet relevé que c’est l’administration qui a modifié les conditions d’intervention, les textes n’étant pas sensiblement différents.


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