Terralaboris asbl

Article 63 de la loi du 3 juillet 1978 : quid de la présomption légale pour l’avenir ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 octobre 2013, R.G. 2011/AB/579

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 21 octobre 2013, R.G. n° 2011/AB/579

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 octobre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’effet de la présomption légale contenue à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 : en l’absence de preuve suffisante apportée par l’employeur, le licenciement a un caractère abusif.

Les faits

Un ouvrier engagé depuis 1997 reçoit un avertissement en 2005, auquel il répond point par point via son organisation syndicale, contestant les griefs qui y sont contenus.

Une semaine plus tard, la société lui notifie sa décision de mettre fin au contrat de travail moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Le seul motif donné au licenciement figure sur le document C4 et il s’agit d’un motif de réorganisation.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Par décision du 3 février 2011, celui-ci fait droit à la demande. Le caractère abusif du licenciement est admis au regard de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et le tribunal ajoute qu’il y a lieu de procéder aux « éventuelles retenues, notamment fiscales et sociales » légalement obligatoires. En sus, il condamne au paiement des intérêts courant au taux légal de la date de rupture jusqu’au complet paiement.

La société interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour du travail est ainsi amenée à reprendre les principes en la matière, étant ceux figurant à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. En l’occurrence est invoqué un motif lié à la personne du travailleur et la cour constate que dans cette hypothèse le juge doit vérifier si le motif de licenciement est légitime. Le licenciement pour un motif en rapport avec l’aptitude ou la conduite de l’ouvrier est abusif lorsque ce motif est manifestement déraisonnable. La cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 210, R.G. n° S.09.0092.N.) pour le critère du manifestement déraisonnable.

La cour rappelle encore la présomption légale et la charge de la preuve, ainsi organisée, dans le chef de l’employeur. En cas de doute, elle rappelle que l’employeur est tenu de verser l’indemnité correspondante.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour est amenée à examiner une série de griefs, énoncés par la société à l’appui de la décision prise.

Elle constate en effet que le motif figurant sur le C4 n’est pas la réorganisation, ainsi qu’elle l’a mentionné.

Elle procède dès lors à l’examen des motifs liés au comportement de l’intéressé. L’examen procède en deux temps, étant de voir s’ils sont prouvés et, ensuite, à les supposer avérés, s’ils ne sont pas manifestement déraisonnables.

Le sort réservé à l’avertissement adressé au travailleur est clair : celui-ci a été contesté point par point. En outre, aucun autre avertissement n’a été fait.

Ces avertissements concernaient la manière de remplir des rapports et la cour constate, ensuite, que les rapports remplis ultérieurement ont tenu compte des observations de l’employeur. La cour procède dès lors à un examen fouillé des éléments soumis et conclut qu’il n’est pas établi que l’intéressé aurait encore manqué à une obligation sur cette question. Au contraire, il est relevé qu’il a tenu compte des consignes lui adressées. La cour examine cependant le lien entre ces rapports et le licenciement, pour conclure que le problème ayant été réglé, il n’existe pas – même s’il y a une proximité temporelle.

Elle passe ensuite en revue, l’un après l’autre, d’autres griefs faits et, pour chacun de ceux-ci (adresse des clients, faits d’impolitesse, shopping pendant les heures de travail, non accomplissement de certaines tâches et mensonges) constate que ces faits ne sont pas prouvés à suffisance de droit. A cet égard si l’une ou l’autre attestation est produite, la cour relève son manque de précision, l’empêchant de vérifier si les faits visés ont un caractère tel qu’ils auraient dû normalement conduire au licenciement.

En conclusion, la cour confirme le jugement sur la débition de l’indemnité, l’employeur n’établissant pas les motifs qu’il invoque.

Sur la question des intérêts, à laquelle l’arrêt réserve certains développements, la cour partage la thèse selon laquelle l’indemnité pour licenciement abusif constitue une rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs et que, par conséquent, les intérêts sont dus conformément à l’article 10 de la loi. Se pose dès lors la question de la base de calcul des intérêts (montant net ou brut) et la cour rappelle ici que le droit au paiement étant né avant le 1er juillet 2005, la nouvelle version de l’article 10 de la loi du 12 avril 1965 (selon lequel l’intérêt est calculé sur la rémunération avant l’imputation des retenues) ne trouve pas à s’appliquer. Pour la cour, l’assiette des intérêts dus sur un élément de la rémunération reste régie par la loi en vigueur au moment ou est né le droit au paiement de celle-ci.

Intérêt de la décision

Dans ce cas d’espèce, où sont rigoureusement appliquées les règles en matière de preuve du licenciement abusif de l’ouvrier, le caractère abusif de la rupture est admis, du fait de l’absence de preuves suffisantes apportées par l’employeur des motifs qu’il invoque.

Cet arrêt est d’une actualité évidente, eu égard à l’évolution en cours de la législation en la matière vu l’harmonisation des statuts ouvriers / employés.

Il est annoncé que l’article 63 échoira lorsque les dispositions relatives à la motivation du licenciement seront créées. Il est dès lors toujours en vigueur actuellement.

Sont, comme on le sait, en cours des discussions au sein du CNT en vue de l’élaboration d’une convention collective de travail relative à la motivation du licenciement. La date du 1er janvier 2014 est avancée.

L’on ne sait à ce stade si l’obligation de motivation qui va devoir se concrétiser sera celle d’une motivation formelle ou substantielle impliquant également le renversement de la charge de la preuve.

Abandonner la présomption de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 pour revenir à un régime normal de preuve serait, en effet, un grand bond en arrière, la présomption légale ayant précisément été introduite vu les difficultés constatées tant en jurisprudence qu’en doctrine pendant des décennies pour faire admettre le caractère abusif d’un licenciement (voir M. Jourdan, Le licenciement abusif de l’ouvrier ou la transformation d’un droit discrétionnaire en droit contrôlé , Kluwer, 2010, Evolution légale, p. 5 et suivantes pour les innovations de la loi du 21 novembre 1969 et celle du 3 juillet 1978).


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