Terralaboris asbl

Légalité de la communication par l’Inspection sociale d’informations recueillies lors d’une enquête

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2013, R.G. 2008/AB/51.547

Mis en ligne le mercredi 18 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 5 septembre 2013, R.G. n° 2008/AB/51.547

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 septembre 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les pouvoirs conférés à l’Inspection sociale par les articles 5 et 7 de la loi du 16 novembre 1972 constituent une exception à la règle du secret de l’information visée à l’article 27quinquies du Code d’instruction criminelle.

Les faits

Un restaurant reçoit la visite de l’inspection sociale, qui fait un contrôle en date du 19 novembre 1999, constatant diverses infractions à la législation sociale (essentiellement liées à la législation en matière de temps partiel).

Un procès-verbal est rédigé le 24 novembre 1999 du fait d’infractions à la législation et il est notifié à la société.

Un nouveau contrôle intervient le 21 avril 2000 et de nouvelles constatations sont faites, un procès-verbal étant alors établi le 16 mai 2000 et notifié également.

Sur la base de ces constatations, des poursuites pénales sont entamées contre les représentants de la société qui exploite le restaurant.

Par arrêt du 13 février 2007, ceux-ci sont condamnés pénalement suite à des infractions constatées le 19 novembre 1999 (non inscription de travailleurs dans le registre du personnel, absence d’affichage d’horaires pour les travailleurs à temps partiel).

Entretemps, la société avait été mise en demeure de régulariser la situation au niveau des cotisations sociales, sur la base de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs, et ce vu le non respect des dispositions de la loi programme du 22 décembre 1989 concernant le temps partiel. Vu l’absence de régularisation, l’ONSS cita en mars 2001 en paiement d’une somme de l’ordre de 110.000€ en principal.

Une seconde citation fut signifiée en septembre 2001 pour un montant complémentaire de l’ordre de 8.000€.

Jugement du tribunal du travail

Par jugement du 27 octobre 2008, le Tribunal du travail de Louvain joint les causes et déclare les demandes fondées en grande partie. Il réduit cependant la demande, notamment au motif que le minimum de la durée hebdomadaire autorisé dans le cadre de la commission paritaire de l’Horeca est de 10 heures et non de 13, ainsi que sur le cas particulier d’un travailleur.

Une réouverture des débats est ordonnée pour permettre à l’Office de remettre un décompte.

La société interjette appel.

Position des parties en appel

Parmi les nombreux moyens développés, la société fait valoir que l’ONSS ne peut se fonder sur les rapports de l’inspection sociale au motif que ceux-ci ont été communiqués sans l’autorisation préalable du procureur général. Cette autorisation est exigée, pour la société, dans la mesure où ces rapports ont été établis dans le cadre d’une enquête judiciaire, qui a débuté avec la communication du premier procès-verbal à l’auditeur du travail. L’autorisation déposée par l’ONSS, émanant de l’auditeur du travail de Louvain serait à cet égard insuffisante parce qu’elle ne couvrirait que des « régularisations ».

En outre, la société s’appuie sur l’autorité de chose jugée de l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui a jugé irrecevable une prévention qui a le même objet que la réclamation formée par l’ONSS dans le cadre de la procédure. Pour la société, il y a autorité de chose jugée.

La société fait encore valoir d’autres éléments relatifs au fond de l’affaire, essentiellement factuels.

Décision de la cour du travail

La décision de la cour sur la question de l’illégalité des procès-verbaux d’enquête de l’inspection sociale se fonde sur les dispositions de la loi du 16 novembre 1972, siège de la matière. En vertu de l’article 5 de la loi, lorsqu’ils l’estiment nécessaire, les inspecteurs sociaux communiquent les renseignements recueillis lors de leur enquête aux institutions publiques et aux institutions coopérantes de sécurité sociale ainsi qu’aux inspecteurs sociaux des autres services d’inspection et à tous les autres fonctionnaires chargés du contrôle d’autres législations, dans la mesure où ces renseignements peuvent les intéresser dans l’exercice de la surveillance dont ils sont chargés ou en application d’une autre législation. En vertu de l’alinéa 3 de cet article, les renseignements recueillis à l’occasion de l’exécution de devoirs prescrits par l’autorité judiciaire ne peuvent être communiqués qu’avec l’autorisation de celle-ci.

L’article 7 prévoit que les institutions publiques et les institutions coopérantes de sécurité sociale ainsi que les inspecteurs et fonctionnaires ci-dessus peuvent utiliser les renseignements obtenus, pour l’exercice de toutes les missions concernant la surveillance dont ils sont chargés.

Ils ont le droit de donner des avertissements, de fixer un délai au contrevenant pour se mettre en règle et de dresser des procès-verbaux. Lors de l’établissement de ceux-ci, les constatations matérielles qu’ils ont faites peuvent être utilisées, avec leur force probante, par les inspecteurs sociaux du même service, des autres services d’inspection ou par les fonctionnaires chargés de la surveillance du respect d’autres législations.

Ces dispositions constituent des exceptions légales à la règle du secret de l’information visée à l’article 27quinquies du Code d’instruction criminelle. La cour du travail renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 29 octobre 2008 (R.G. n° S.05.0131.N.), selon lequel, contrairement à ce qui est le cas en matière de renseignements recueillis à l’occasion de l’exécution de devoirs prescrits par l’autorité judiciaire, les inspecteurs sociaux peuvent communiquer les renseignements recueillis au cours d’une enquête autonome aux institutions publiques et aux institutions coopérantes de sécurité sociale ainsi qu’aux inspecteurs sociaux et fonctionnaires vus ci-dessus, dans la mesure où ces renseignements peuvent intéresser ces derniers dans l’exercice de la surveillance dont ils sont chargés. L’inspection sociale pouvait dès lors transmettre à l’ONSS le procès-verbal et le rapport d’enquête établi lors de la première visite du 19 novembre 1999 alors qu’il n’y avait pas encore d’enquête judiciaire.

Quant à l’enquête d’avril 2000, la cour constate, d’après les données du dossier, qu’elle a été menée à la demande de l’auditeur du travail de Louvain.

Enfin, en ce qui concerne l’autorité de la chose jugée au pénal, la cour examine les préventions et conclut que celles-ci n’ont pas de lien avec les faits à la base de la demande formée devant elle et rappelle également que l’ONSS n’était pas partie à l’affaire pénale. L’article 6.1. de la Convention européenne des droits de l’homme ne permet dès lors pas que cet arrêt ait force de chose jugée à son égard (la cour rappelant ici notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2006 (R.G. n° S.04.0121.N).

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les pouvoirs des inspecteurs sociaux, en l’espèce à l’occasion de constatations d’infractions à la législation en matière de temps partiel.

La cour rappelle dès lors, à la lumière de l’arrêt du 29 octobre 2007 de la Cour de cassation, la validité des constatations de l’Inspection sociale et de leur communication à d’autres institutions (chargées de la surveillance de la loi), qui constituent une exception légale au secret de l’information visé à l’article 28quinquies du Code d’instruction criminelle.


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