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Travailleur en crédit-temps et licenciement : notion de motif étranger

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 juin 2013, R.G. 2012/AB/00109

Mis en ligne le mercredi 25 juin 2014


Cour du travail de Bruxelles, 25 juin 2013, R.G. n° 2012/AB/00109

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 25 juin 2013, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles en matière de preuve du motif étranger à l’exercice d’un crédit-temps et admet que peut constituer un tel motif une insatisfaction professionnelle mutuelle dûment avérée.

Les faits

Une assistante sociale est engagée dans une crèche (subventionnée par l’O.N.E.). Elle devient rapidement directrice et est chargée de l’organisation et de la gestion de l’établissement (gestion du personnel et gestion financière et matérielle). En septembre 2003, elle demande et obtient un crédit-temps (4/5e), situation qui se poursuit jusqu’à la fin des relations de travail, intervenue fin juin 2008.

L’année précédant son licenciement, les relations entre l’intéressée et le Conseil d’Administration (et particulièrement son président) sont tendues. En mai 2008, elle demande une réduction du temps de travail à mi-temps pour une durée de 3 ans, et ce dans le cadre des dispositions de la C.C.T. n° 77bis du 17 décembre 2001. Elle est convoquée pour un entretien et est licenciée le même jour, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis (13 mois de rémunération).

La procédure

L’intéressée introduit une demande devant le Tribunal du travail de Bruxelles, portant essentiellement sur un complément d’indemnité compensatoire de préavis, ainsi que sur l’indemnité de protection dans le cadre du crédit-temps. Elle demande également des dommages et intérêts pour abus de droit et, vu l’existence de conditions de travail difficiles dues à l’attitude de l’employeur et de ses mandataires, réparation d’un préjudice moral (fixé à titre provisionnel à 6.500 €).

Le tribunal fait partiellement droit à sa demande par jugement du 24 avril 2011, lui accordant le complément d’indemnité compensatoire de préavis et d’autres postes annexes. Il la déboute de sa demande d’indemnité de protection, ainsi que de dommages et intérêts.

Elle interjette appel.

La position des parties devant la cour

L’appelante rappelle l’article 20, § 2 de la C.C.T. n° 77bis du 19 décembre 2001, relatif à la protection contre le licenciement en cas d’exercice du droit au crédit-temps (diminution de carrière ou prestations à mi-temps) et précise que la preuve du caractère étranger à la suspension du contrat ou à la réduction des prestations est à charge de l’employeur.

Elle souligne, quant aux faits, avoir introduit une demande fin mai 2008 et avoir été licenciée moins d’un mois plus tard.

Elle précise encore que, à supposer que le licenciement soit étranger à la demande de crédit-temps introduite un mois auparavant, elle bénéficie encore à ce moment de la protection liée au crédit-temps pour son horaire de 4/5e temps.

Quant à la crèche, elle considère que la preuve du caractère étranger du licenciement repose sur le travailleur. Elle fait valoir que la décision de licencier est antérieure à la demande de crédit-temps introduite en mai 2008, s’agissant d’une décision prise au sein de son C.A. Elle considère également que le licenciement est lié à l’attitude de l’intéressée, qui était en opposition permanente avec le C.A.

La décision de la cour

La cour se prononce d’emblée sur la question de la preuve dans ce type de licenciement : l’interdiction constitue le principe et la justification par un motif étranger est l’exception. C’est dès lors celui qui invoque l’exception qui doit en apporter la preuve et la cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2008 (n° S.07.0049.N).

Elle reprend, ensuite, l’historique des relations entre parties et constate que les relations professionnelles s’étaient fort dégradées au fil du temps. Cette situation n’est pas contestée, la directrice ayant d’ailleurs été en incapacité de travail à plusieurs reprises, incapacité liée aux difficultés de fonctionnement avec le P.O.

La cour constate dès lors que la collaboration n’était plus satisfaisante, et ce pour les deux parties, chacune considérant l’autre comme incompétente ou inadéquate.

Elle précise encore qu’il ne lui appartient pas d’apprécier si les reproches étaient fondés ou non, mais de constater que la confiance entre parties était sérieusement ébranlée. Elle conclut, en conséquence, que le licenciement paraît justifié, au regard de l’article 20 de la C.C.T. n° 77bis.

Quant à la proximité temporelle entre la demande de passage à mi-temps et le licenciement, la cour confirme que la crèche a, d’après les pièces déposées, apporté la preuve que cette décision avait été prise avant la demande, et ce par le P.V. d’une réunion du C.A.

Elle conclut que le licenciement n’est pas en lien avec le crédit-temps accordé (depuis plusieurs années) ou demandé (un mois avant le licenciement). La demande est dès lors rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

La cour confirme également le droit à l’intéressée à un complément d’indemnité compensatoire de préavis, tenant compte, dans les critères relatifs aux difficultés à retrouver un emploi équivalent, de la taille importante de la crèche, ainsi que de la qualification particulière acquise par l’intéressée en cours de contrat, vu qu’elle a suivi des formations et des études complémentaires.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles de preuve en matière de crédit-temps, et ce à la lumière de l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2008 : il appartient à celui qui invoque l’exception, à savoir la justification du licenciement par un motif étranger, d’en apporter la preuve.

L’on notera également qu’est considéré comme étranger au crédit-temps le constat d’une collaboration professionnelle insatisfaisante pour les deux parties, situation admise par elles.


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