Terralaboris asbl

L’usage abusif du recours au motif grave est susceptible d’être sanctionné

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. 2012/AB/530

Mis en ligne le vendredi 4 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. n° 2012/AB/530

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 mars 2014, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une affaire de motif grave, rappelle que le recours à ce mode de rupture peut être abusif et entraîner l’octroi de dommages et intérêts en sus de l’indemnité compensatoire de préavis.

Les faits

Une société licencie une employée administrative moyennant préavis à prester. La décision intervient dans un contexte de discussions et remarques faites à celle-ci concernant le travail à effectuer. Le lendemain de la notification du licenciement, elle se rend à un examen médical. Son compagnon signale alors à la société qu’elle est enceinte et un certificat médical de 15 jours est remis. Celui-ci fait état d’une incapacité de travail et ne se réfère pas à l’état de grossesse.

Suite à un contrôle médical de l’employeur, elle signale qu’elle apportera ultérieurement l’attestation du gynécologue confirmant son état. Elle lui communique en réalité une attestation relative à deux fausses couches intervenues par le passé. L’état de grossesse n’est pas confirmé. Le lendemain l’intéressée est licenciée pour motif grave, l’employeur reprochant essentiellement des problèmes de classement, le fait de s’être soustraite au contrôle médical, des affabulations et autres faits de comportement.

L’intéressée introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles, contestant le licenciement et demandant l’octroi de dommages et intérêts.

Elle obtient gain de cause sur l’indemnité compensatoire de préavis.

La société interjette appel.

Décision de la cour du travail

La cour examine dans un premier temps chacun des griefs invoqués par la société, après avoir rappelé les règles relatives au délai et à la notification des motifs.

Plus particulièrement en ce qui concerne la grossesse, la cour constate que celle-ci était certes espérée mais n’a pas été confirmée par la suite, aucun certificat médical n’ayant été déposé en ce sens. La cour relève que, à ce propos, si l’employée se doutait de cette possibilité, elle était libre de ne pas en informer son employeur. Par ailleurs le fait qu’elle ait été de bonne foi ou non en affirmant qu’elle était enceinte n’est pas à prendre en compte dans l’appréciation du motif grave.

La cour conclut que le licenciement n’est pas justifié et examine le caractère abusif de celui-ci. Elle rappelle que si un licenciement pour motif grave est irrégulier ou injustifié, la sanction est le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis, qui va couvrir l’ensemble du préjudice subi, moral et matériel. Renvoyant, ensuite, à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, J.T.T., 2006, p. 155), elle reprend le principe selon lequel l’abus de droit dans le cas du licenciement d’un employé peut résulter de l’exercice du droit de licencier d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal qui en serait fait par un employeur prudent et diligent. Dans l’hypothèse du motif grave, si l’attitude de l’employeur fait apparaître un motif illégitime ou un motif dont il sait pertinemment qu’il ne peut être constitutif de faute grave, il peut y avoir abus de droit.

En l’espèce, la cour constate que l’intéressée ne peut prétendre à la protection de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, au motif que l’état de grossesse n’a pas été confirmé et qu’elle n’était pas enceinte au moment du licenciement. Cependant, il est acquis aux débats que l’employeur était informé de cet état, puisque le compagnon de l’employée a communiqué cette information à l’employeur, d’autant que la grossesse pouvait être à risque. La cour constate que dans les motifs de licenciement il y en a un qui est en rapport avec la grossesse, même si cet état ne va pas être confirmé par la suite et que les reproches qui ont été faits à l’employée à cet égard ne sont pas légitimes, vu la liberté dont la travailleuse dispose quant à l’information de l’employeur, aucune obligation n’existant de donner celle-ci immédiatement, en tout début de grossesse.

Il y a dès lors pour la cour usage abusif du droit de licencier pour motif grave et elle relève encore que l’employeur ne pouvait ignorer qu’aucun des griefs invoqués n’était susceptible de rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles. Elle conclut que le licenciement a manifestement un caractère injustifié.

Quant au dommage, il est essentiellement d’ordre moral et il est distinct de celui qui découle de la rupture du contrat de travail. La cour fixe celui-ci à 800€.

Le jugement est dès lors reformé en ce qu’il n’a pas accueilli la demande de l’intéressée de dommages et intérêts.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est une application du rôle résiduaire de la théorie de l’abus de droit, dès lors que le recours à la rupture et en l’espèce à la rupture pour motif grave intervient dans des conditions qui ne sont pas normales. La cour rappelle que si le motif grave n’est pas retenu, la loi du 3 juillet 1978 contient la sanction de l’irrégularité intervenue, étant l’obligation pour l’employeur de payer l’indemnité compensatoire de préavis. Mais, à coté de ce mécanisme, l’abus du droit de licencier peut être invoqué si l’employeur, comme en l’espèce, a recouru à ce mode de rupture pour des motifs qui manifestement ne pouvaient y conduire. L’intéressée ne pouvant prétendre à la protection spécifique prévue en cas de licenciement d’une femme enceinte (vu qu’il s’est avéré qu’elle ne l’était pas), la cour conclut qu’un des motifs étant lié à cet état, la sanction du comportement de la société est à rechercher dans la théorie générale de l’abus de droit.


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