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Fibromyalgie : difficultés d’identification des répercussions fonctionnelles en AMI

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 avril 2014, R.G. 2011/AB/561

Mis en ligne le vendredi 4 juillet 2014


Cour du travail de Bruxelles, 9 avril 2014, R.G. n° 2011/AB/561

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 avril 2014, la cour du travail de Bruxelles se penche sur un cas de fibromyalgie, relevant les difficultés posées par ce type d’affection, eu égard à l’examen des répercussions fonctionnelles sur le plan médico-légal, difficultés variables d’un individu à l’autre.

Les faits

Une dame L., née en 1974, connaît une première période d’incapacité de 6 mois environ au début de l’année 2000. Elle va ensuite bénéficier d’allocations de chômage jusqu’en octobre 2009. Elle retombe en incapacité à ce moment. Il s’agit de lombalgies, de colite et de gonalgies.

Les examens médicaux vont ultérieurement conclure à l’existence d’une fibromyalgie. Il est assez rapidement mis fin à l’incapacité reconnue par la mutuelle.

Une procédure est introduite devant les juridictions du travail de Bruxelles. L’intéressée est déboutée par jugement du tribunal et elle forme appel.

Décision de la cour

La cour ordonne une mesure d’instruction, qui va être orientée essentiellement sur la question de la fibromyalgie.

Arrêt du 6 octobre 2011

Dans son premier arrêt, la cour s’était interrogée sur la possibilité pour cette maladie de justifier une incapacité de travail à long terme, un avis médical considérant qque la demandeuse pouvait difficilement être admise en invalidité jusqu’à sa pension, dans la mesure où il y avait peu de répercussions fonctionnelles objectives.

L’expert désigné conclut à l’absence d’incapacité de travail au sens de l’article 100 de la loi du 14 juillet 1994.

Il retient le diagnostic de fibromyalgie constatant qu’il s’agit d’un phénomène somatopsychique, dans lequel la douleur est à la fois chronifiée et « sensibilisée » par un mécanisme complexe. L’expert note encore que l’abus d’antalgiques aggrave la situation de la personne et que la pathologie va donner lieu à une désocialisation de l’intéressée. Pour lui, une telle situation est instable et, si elle entraîne une réduction des capacités professionnelles, il n’y a pas d’argument permettant de déclarer la personne incapable d’intégrer le circuit du marché du travail.

Arrêt du 9 avril 2014

La cour examine dès lors, dans son arrêt du 9 avril 2014, la question eu égard à cet éclairage donné par l’expert judiciaire. Il faut par ailleurs tenir compte du peu de qualifications professionnelles de l’intéressée (courte expérience en tant que cuisinière dans un home et plongeuse).

La cour rappelle que sur le plan médical, la fibromyalgie se caractérise par l’absence de syndrome inflammatoire biologique et par le fait qu’elle est susceptible de devoir être diagnostiquée alors qu’aucun examen (biologique ou analyse de sang) ne montre d’inflammation à quelque niveau que ce soit. C’est la définition donnée par le Vulgaris-médical (encyclopédie médicale).

La cour constate dès lors que dans le secteur AMI, dans la mesure où la maladie pose une difficulté de diagnostic, il y a également difficulté d’identification des répercussions fonctionnelles, celles-ci pouvant varier d’un individu à l’autre. Elle va dès lors examiner si dans le rapport d’expertise il y a suffisamment d’indications sur l’importance de l’affection, les médecins-traitants ayant dans divers rapports insisté sur celle-ci. Par ailleurs, eu égard au commentaire de l’expert relatif à l’abus d’antalgiques, la cour signale ne pas apercevoir pourquoi l’on ne tiendrait pas compte des répercussions fonctionnelles de celui-ci, s’il existe, et ce dans le cadre de l’examen global de la situation de l’intéressée.

La cour va encore constater diverses carences (non prise en compte d’éléments médicaux produits par l’intéressée, apparition d’autres pathologies manifestées objectivement). Elle constate également que, dès lors que l’expert a donné un avis au stade des préliminaires, les éléments qui lui ont été soumis ultérieurement n’ont pas été pris en compte par lui, et ce vraisemblablement eu égard à un « a priori » que l’avis donné ne pourrait être modifié. C’est un manque de rigueur, selon l’arrêt.

En ce qui concerne l’impact de l’absence de grandes qualifications et d’expérience professionnelle, la cour souligne que dans le cadre de l’appréciation des critères de l’article 100 de la loi coordonnée, l’on a « parfois tendance à considérer, de manière un peu réductrice, que les personnes peu qualifiées ont accès, sans déclassement social, à un marché du travail relativement large comprenant tous les métiers légers non qualifiés ». Or, cette manière de voir n’est pas correcte et la cour renvoie à la doctrine de M. DUMONT (« L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? » in Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP, 2012, p. 282 et références citées) selon laquelle pour que l’on retienne une aptitude, il faut que l’ensemble des tâches afférentes à l’activité en cause puisse être assumée par le travailleur.

Soulignant enfin que l’expert n’est pas très précis en ce qui concerne les professions encore accessibles, la cour s’estime insuffisamment informée et désigne un autre expert, après avoir écarté les conclusions du premier.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles contient plusieurs enseignements utiles pour le praticien.

Devant le constat (fréquent) de fibromyalgie et face aux interrogations posées sur le plan des répercussions fonctionnelles, la cour souligne que celles-ci seront variables d’un individu à l’autre et que la caractéristique de la maladie est l’absence de tout syndrome inflammatoire biologique. La maladie pose dès lors des difficultés de diagnostic et celles-ci doivent être d’autant plus prises en compte au stade de l’expertise judiciaire.

Par ailleurs, l’arrêt retient que, dans le secteur AMI, un éventuel abus médicamenteux ne doit pas être écarté dans la mesure où il entraîne des répercussions fonctionnelles.

L’arrêt pose une question fréquente, étant de relever que l’avis provisoire donné par l’expert au niveau des préliminaires peut déjà constituer, dans l’esprit d’un expert, un avis définitif, ce que la loi n’a certes pas voulu.

Enfin, l’arrêt rappelle que pour les personnes ayant peu de qualifications professionnelles, il n’y a pas lieu de considérer que leur marché du travail va comprendre tous les métiers légers non qualifiés. Il faut, comme l’a très judicieusement rappelé M. DUMONT dans la contribution citée, que l’ensemble des tâches afférentes à l’activité en cause puisse être assumée par le travailleur.


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