Terralaboris asbl

Gérer son patrimoine d’une manière fiscalement avantageuse est-il incompatible avec le statut de chômeur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 avril 2014, R.G. 2012/AB/305

Mis en ligne le lundi 8 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 30 avril 2014, R.G. n° 2012/AB/305

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 30 avril 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’exercice d’un mandat dans une société dépasse la gestion normale du patrimoine propre et que, s’agissant d’une société purement patrimoniale, il faut vérifier si le chômeur (gérant) n’a pas perçu des avantages en nature inconciliables avec l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage.

Les faits

Monsieur D. est gérant d’une Sprlu (Sprl unipersonnelle). Celle-ci acquiert en 1999 un immeuble à concurrence de 30%, le solde étant la propriété de la communauté formée par l’intéressé en personne physique et son ex-épouse.

En 2003, 69 des 70% en cause sont cédés par la communauté à la société, celle-ci réglant l’emprunt hypothécaire contracté par les époux. L’intéressé verse un loyer à sa société.

Ultérieurement, il sollicite le bénéfice des allocations de chômage. Il déclare vivre seul et verser une pension alimentaire (fixée par jugement). Il ne déclare pas une activité accessoire. Un an et demi plus tard environ, l’INASTI interroge l’ONEm en ce qui concerne l’exercice d’une activité indépendante accessoire, l’ONEm répondant alors par la négative. Il s‘avère alors que l’intéressé a été affilié au statut social des travailleurs indépendants à titre principal pendant une longue période passée, s’arrêtant au cours de son activité professionnelle de salarié. Il a depuis été affilié à titre complémentaire.

Une audition intervient, dès lors, en ce qui concerne le mandat exercé au sein de la Sprlu. Il signale alors entreprendre les démarches pour clôturer son statut de travailleur indépendant. Il confirme ultérieurement que les cotisations versées l’avaient été indûment et que la caisse les lui a remboursées. Quant à la société, il précise qu’elle n’a pas d’activité, ayant pour seul objet la gestion de l’immeuble en cause.

Il fait alors l’objet d’une décision d’exclusion, l’ONEm demandant la récupération de la totalité des allocations depuis l’inscription de l’intéressé au chômage. L’indu est de l’ordre de 23.000€.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui confirme la décision de l’ONEm.

Appel est dès lors interjeté.

Décision de la cour du travail

Sans vider sa saisine dans l’arrêt en cause, la cour tranche des questions essentielles pour la résolution de ce type de litige.

Il faut en effet renvoyer aux articles 44 et 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, relatifs à l’activité autorisée dans le chef d’un chômeur. En ce qui concerne l’activité pour compte propre, celle-ci ne peut, pour être admise, être susceptible d’être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et ne peut dépasser la gestion normale des biens propres. Ce dernier critère implique trois conditions cumulatives, à savoir que pour être autorisée, l’activité doit (i) ne pas être réellement intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et ne pas être exercée dans un but lucratif, (ii) permettre de ne conserver ou d’accroitre que modérément la valeur des biens et (iii) ne pas compromettre, vu son ampleur, ni la recherche ni l’exercice d’un emploi.

Ce rappel effectué, la cour pose le principe qu’exercer un mandat dans une société commerciale constitue une activité pour compte propre qui dépasse la gestion normale des biens propres. Le mandat suppose en effet l’exercice d’une activité régulière et habituelle, le mandataire étant régulièrement susceptible de devoir s’occuper de la société. La cour renvoie ici à la doctrine (M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, « Les responsabilités civiles des dirigeants de sociétés commerciales », in Le statut du dirigeant d’entreprise, Y. de Cordt, (dir.,), CRIDES, Larcier, 2009, p. 208, note 15). Rappelant l’évolution de la matière, vu les développements intervenus dans le cadre de l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (C. const., 3 novembre 2004, n° 176/2004) qui a admis le caractère réfragable de la présomption, la cour rappelle que, de même, le chômeur peut prouver l’absence d’activité par la démonstration de la gratuité du mandat ou de l’absence d’activité réelle de la société. L’ONEm a d’ailleurs également admis pour sa part la possibilité d’apporter ces preuves.

En ce qui concerne l’activité elle-même, il faut établir qu’il n’y a pas d’activité exercée ou à tout le moins que l’activité est très limitée, rendant sans objet véritable la mission du mandataire.

Ces principes trouvent, en l’espèce, une application délicate. Il s’agit en effet d’examiner la question eu égard à la constitution d’une société patrimoniale dont la seule activité est la propriété de l’immeuble dont le chômeur est locataire. L’intéressé exposant que sa situation ne se distingue pas de celle du chômeur qui est lui-même propriétaire de son immeuble, la cour admet que détenir son patrimoine via une société n’est pas nécessairement en contradiction avec l’article 45 de l’arrêté royal, s’agissant d’une optimisation fiscale ou d’un souhait de transmission du patrimoine. Elle relève également que la constitution de la société est bien antérieure à l’inscription au chômage.

Il appartient toutefois au chômeur de prouver l’absence d’activité de la société - autre que la détention des biens immobiliers -, ainsi que la gratuité du mandat et encore, l’absence d’enrichissement procuré par les activités de la société.

Un examen des comptes de celle-ci, ainsi que des déclarations fiscales de l’intéressé a dès lors été entrepris.

La cour examine, sur ces bases, les trois critères valant sur le plan de la réglementation du chômage : la gratuité du mandat, l’existence ou non d’une activité dans le chef de la société et les avantages en nature que l’intéressé aurait pu retirer.

La question de la gratuité est rapidement réglée, par l’examen des P.V. de l’assemblée générale et des avertissements-extraits de rôle de l’intéressé.

En ce qui concerne l’activité dans le chef de la société, susceptible donc d’induire une activité dans celui du gérant également, la cour constate l’absence de prestations soumises à TVA et relève que, pour ce qui est de l’analyse financière, les produits d’exploitation sont uniquement les frais et loyers versés par l’intéressé ; sur le plan comptable, il y a amortissement des biens dont elle est propriétaire. La société fait appel à un comptable mais ceci n’est pas la preuve d’une activité, non plus que la référence à une décision relative à la « poursuite d’activité » prise par l’assemblée générale, cet élément ne devant pas entrer en ligne de compte, dans la mesure où la décision porte uniquement sur le maintien ou non en vie de la société (qui a un passif important).

La cour constate cependant que, dans la rubrique « chiffre d’affaires », il est fait état de redevances perçues annuellement pour un montant de plus de 3.500€, question sur laquelle elle demande à être éclairée.

Enfin, elle analyse les avantages en nature et constate que la société est propriétaire, en outre, de la voiture utilisée par l’intéressé et que, par ailleurs, ses charges excèdent sensiblement le montant que verse l’intéressé au titre de loyer, situation qui a d’ailleurs amené un solde négatif dans la marge brute d’exploitation. Examinant encore d’autres éléments comptables non concluants à ce stade, la cour estime devoir procéder à une réouverture des débats, afin de pouvoir apprécier s’il y a eu ou non un enrichissement dans le chef de l’intéressé.

Celle-ci porte dès lors sur deux questions précises, étant d’une part les redevances ci-dessus et d’autre part un éventuel enrichissement découlant des avantages en nature.

Intérêt de la décision

Cette affaire – à suivre donc – illustre bien à propos la délicate question de l’appréciation de la gestion normale des biens propres, dans l’hypothèse où une société patrimoniale a été constituée (manifestement en-dehors de toute considération liée au bénéfice des allocations de chômage, étant en l’espèce bien antérieure à l’admission), et ce eu égard aux critères généralement retenus dans l’appréciation du renversement de la présomption d’exercice d’une activité dans le chef d’un mandataire de société.

La particularité de cet arrêt est d’ajouter, eu égard aux termes de l’article 45, s’agissant de l’exercice d’une activité pour compte propre ne pouvant être intégrée dans le circuit des échanges économiques de biens et de services, un troisième critère d’appréciation : outre la gratuité du mandat et la preuve de l’absence d’exercice de l’activité, la cour recherche s’il y a eu ou non enrichissement de l’intéressé du fait de l’octroi d’avantages en nature.


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