Terralaboris asbl

Sort en cas de faillite d’un engagement pris par l’employeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 juin 2014, R.G. ° 2012/AB/913

Mis en ligne le lundi 8 septembre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 10 juin 2014, R.G. ° 2012/AB/913

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 juin 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la faillite ne met pas fin de plein droit aux contrats en cours et aux engagements pris par l’employeur. Une promesse de réengagement après une période d’affectation temporaire auprès d’une autre société étant rendue impossible vu la faillite de l’employeur initial, il y a lieu à indemnisation en fonction du préjudice réellement subi.

Les faits

Un pilote au service d’une compagnie de l’aviation civile est détaché auprès d’une société filiale dans le courant de l’année 2000 pour une durée indéterminée. La société employeur lui donne, dans l’écrit constatant sa nouvelle affectation, la garantie qu’il sera repris pour une période de minimum quatre ans dans une fonction long courrier avec des conditions identiques à celles dont il bénéficiait lors de son départ.

Un contrat à durée indéterminée est dès lors signé avec la nouvelle société.

Ultérieurement, les deux sociétés vont être déclarées en faillite. L’intéressé est licencié par la curatelle désignée à la faillite de la société pour laquelle il prestait à ce moment.

Il introduit une déclaration de créance au passif de la société qui était son employeur initial.

Le tribunal du commerce ayant renvoyé la cause au Tribunal du travail de Bruxelles, celui-ci admet sa créance, dans deux jugements successifs, créance constituée de dommages et intérêts avoisinant au total 300.000€.

Appel est interjeté par les curateurs.

Position des parties devant la cour

La curatelle sollicite à titre principal que la demande initiale soit rejetée en totalité. A titre subsidiaire, elle plaide que l’indemnité compensatoire de préavis fixée dans le cadre de la faillite de la deuxième société doit venir en déduction de l’indemnité due par la première. Elle estime également que le tribunal du commerce doit se prononcer sur le caractère chirographaire ou privilégié de la créance et sur son admission au passif. Elle considère, sur la promesse de réengagement, que celle-ci a été dissoute par la faillite, en raison du caractère intuitu personae de la promesse. Subsidiairement, elle renvoie à une procédure organisée par CCT d’entreprise (bidding), dont les conditions n’auraient pas été présentes.

Quant au pilote, il estime que sa créance un caractère privilégié et qu’elle doit être prise en compte en totalité dans le cadre de la faillite actuelle, les dommages et intérêts postulés étant la réparation de l’inexécution de la promesse d’engagement. Il s’agit pour lui d’un engagement irrévocable de réintégration pour une durée minimum de quatre ans à la fin de sa mission.

Décision de la cour

La cour rappelle que le contrat de travail est certes conclu intuitu personae eu égard à la personne du travailleur mais que, sauf exception, tel n’est pas le cas pour l’employeur. En l’espèce, il n’est nullement établi que l’engagement en cause aurait été souscrit en raison de la personne morale de l’employeur. Par ailleurs, la faillite ne met pas fin de plein droit aux contrats conclus et aux engagements souscrits par le failli (renvoyant à l’enseignement de la Cour de cassation du 24 février 1992 (Cass., 24 février 1992, R.G. n° 9265). S’il y a obligation de réengagement, la faillite n’entraîne pas la dissolution de celui-ci.

La cour examine attentivement les termes de la convention d’entreprise, relatifs aux règles de priorité (bidding) entre membres d’équipage et relève que celles-ci ont été étendues aux transferts avec la société au service de laquelle le pilote a été transféré. Elle conclut cependant que les termes de celle-ci ne sont pas applicables, l’intéressé s’étant vu offrir une mission indéterminée mais de nature temporaire, ne s’agissant pas d’un transfert définitif.

Ceci est conforté par l’existence de la promesse de réengagement, qui n’est pas faite ordinairement, dans le cadre de l’application des dispositions de la convention collective. Il faut dès lors renvoyer à l’article 1157 du Code civil, qui dispose que, lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, il faut plutôt l’entendre dans celui avec laquelle elle peut avoir quelque effet que dans celui avec laquelle elle ne pourrait en produire aucun.

Elle conclut dès lors à l’existence d’une réelle obligation de réengagement pendant une période de quatre ans, promesse qui n’a pas pu être exécutée vu la faillite. L’intéressé bénéficie dès lors du droit d’être indemnisé.

Sur la question des dommages et intérêts, la cour constate que la curatelle plaide la perte d’une chance, étant celle d’être réengagé pendant une durée de quatre ans. Or, pour la cour, le dommage est tout autre, s’agissant de l’engagement de reprendre à son service et de rémunérer l’intéressé pendant cette période. Il y a un dommage matériel double, étant celui qui correspond à l’équivalent de la rémunération qui aurait pu être perçue pendant cette période (dont à déduire les rémunérations perçues par ailleurs pour la période en cause) ainsi que l’indemnité de fin de carrière à laquelle il aurait pu prétendre, indemnité allouée au personnel navigant à l’âge de 60 ans.

Sur le quantum, la cour précise encore que l’estimation d’un dommage doit s’effectuer à partir des montants bruts, dont cependant - comme précisé ci-dessus -, à déduire les rémunérations brutes perçues auprès d’autres employeurs. Le critère de la rémunération nette n’est pas pertinent, dans la mesure où il dépend d’éléments étrangers au rapport employeur / travailleur (situation personnelle et familiale du travailleur). En outre, les dommages et intérêts sont taxables au sens de l’article 31, 2°du C.I.R., s’agissant d’un avantage de toute nature obtenu en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 2013 (Cass., 21 novembre 2013, R.G. n° F.12.0204.N). C’est dès lors un montant global de l’ordre de 540.000€ qui est retenu, à majorer de l’indemnité de fin de carrière, non contestée ni en son principe ni en son montant.

La cour se prononce également sur le droit aux intérêts, étant qu’en vertu de l’article 23, alinéa 1er de la loi sur les faillites du 8 août 1997, le cours de ceux-ci est arrêté à l’égard de la masse à dater du jugement déclaratif de faillite. La loi sur les faillites ne dit dès lors pas que les intérêts ne sont plus dus mais qu’ils sont arrêtés à l’égard de la masse. Elle alloue dès lors les intérêts au taux légal.

Enfin, en ce qui concerne le caractère chirographaire ou privilégié de la créance, cette question relève du tribunal de commerce, auquel la cause est renvoyée.

Intérêt de la décision

Outre la confirmation du caractère intuitu personae du contrat dans le chef du travailleur uniquement (en principe) et de la persistance des engagements pris par l’employeur malgré la faillite, l’arrêt ci-dessus est important dans la mesure où il rappelle, avec la Cour de cassation (dans l’arrêt du 21 novembre 2013 ci-dessus), le caractère imposable des indemnités versées à la rupture du contrat. En effet, en vertu de l’article 31, alinéa 2, 3°, du Code des impôts sur les revenus 1992, les indemnités obtenues en raison ou à l’occasion de la cessation de travail ou de la rupture d’un contrat de travail sont taxables s’il existe un lien indissociable entre l’indemnité payée et l’activité professionnelle exercée. Il n’est pas requis que le travailleur puise son droit à une indemnité dans le contrat de travail lui-même.


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