Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/789
Mis en ligne le lundi 15 septembre 2014
Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2014, R.G. n° 2013/AB/789
Terra Laboris asbl
Dans un arrêt du 23 mai 2014, la Cour du travail de Bruxelles sanctionne le recours abusif au travail temporaire, appliquant les règles de la théorie générale de l’abus de droit, en vertu desquelles des dommages et intérêts peuvent être alloués au travailleur.
Les faits
Une société procède à l’engagement d’un employé pour une période déterminée d’environ six mois dans le cadre d’un contrat intérimaire. Sous réserve d’une évaluation positive, un contrat à durée déterminée d’un an lui est promis, suivi d’un contrat à durée indéterminée. Il est précisé qu’au cas où la promesse d’engagement dans le cadre de ce dernier contrat ne se réaliserait pas, l’intéressé percevrait une indemnité de trois mois.
L’intéressé preste, dès lors, via une société d’intérim, le motif de l’engagement, tel que repris sur les contrats étant « remplacement suspension ».
La durée des prestations excède d’un mois celle initialement prévue. A l’issue de celle-ci, la société adresse de nouveau à l’intéressé une promesse d’engagement, que celui-ci renvoie signée. Il s’agit du contrat à durée déterminée annoncé (le point de départ étant cependant postposé d’un mois vu la prolongation de la situation précédente). Est confirmé dans ce contrat l’annonce d’un engagement à durée indéterminée ensuite, sous réserve d’une évaluation positive, de même que le paiement de l’indemnité en cas de non-engagement.
L’intéressé obtient, dans les dernières semaines de prestation, une évaluation positive, l’évaluateur marquant accord pour l’engagement dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. Le contrat proposé par la société s’avère cependant être un contrat à durée déterminée d’une durée de six mois environ, les mêmes mentions y figurant quant à la possibilité d’un contrat à durée indéterminée en cas d’évaluation positive et, à défaut, paiement d’une indemnité.
À l’issue de ce contrat, l’employé demande, via son conseil concrétisation de l’engagement à durée indéterminée. La société s’y refuse alors, considérant que le contrat à durée déterminée avait pris fin à l’arrivée du terme.
Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en demandant essentiellement des indemnités eu égard au non respect de la loi sur le travail intérimaire ainsi que des dommages et intérêts (dont à retenir un précompte professionnel mais aucune cotisation de sécurité sociale). Le montant de ceux-ci est supérieur à 40.000€.
Par jugement du 19 octobre 2012, le tribunal du travail rejette la demande et condamne l’intéressé au paiement de l’indemnité de procédure (fixée à 7.700€).
Appel est interjeté, reprenant globalement les mêmes chefs de demande.
Décision de la cour du travail
La cour examine successivement la demande relative au non respect de la réglementation en matière de travail intérimaire ainsi que les demandes d’indemnités vu le non respect des contrats conclus entre parties.
Sur le premier point, la cour reprend successivement les articles 7, 2° et 1, § 1 de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs.
L’article 7, 2°, qui définit le contrat de travail intérimaire, précise qu’il faut entendre par ce type de contrat celui par lequel un intérimaire s’engage vis-à-vis d’une entreprise de travail intérimaire, contre rémunération, à effectuer chez un utilisateur un travail temporaire autorisé par ou en vertu du § 1er de la loi.
La cour constate que la société ne peut justifier le respect de ces exigences, non plus que de la convention collective n° 58 conclue au sein du Conseil national du travail, relative à la procédure à respecter et à la durée du travail temporaire. Celle-ci exige, en effet, l’autorisation préalable de la délégation syndicale ainsi que l’information de l’administration de la réglementation et des relations du travail. La preuve du respect de ces obligations n’est pas davantage rapportée par la société. La cour constate, en conséquence, qu’il y a abus du recours au travail temporaire. Cet abus constitue une faute, pour laquelle la société est tenue à réparation, en application de l’article 1382 du Code civil.
La cour examine le préjudice de l’intéressé, du fait de cette situation et constate qu’il est à la fois matériel (privation de l’assurance de groupe) et moral (appel fait par la société à lui en fonction de ses compétences spécifiques, mais dans un cadre intérimaire). Le préjudice est évalué à 2.500€.
Passant ensuite aux conséquences du non respect des engagements contractuels pris, étant la réitération de la promesse d’engagement dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en cas d’évaluation positive, la cour constate que les conditions fixées par la société étaient réunies et que celle-ci ne peut être suivie lorsqu’elle considère que l’intéressé aurait par le fait de la signature d’un nouveau contrat renoncé aux droits contenus dans le précédent. La cour rappelle divers arrêts de la Cour de cassation en matière de renonciation, ainsi que de novation. Elle condamne dès lors la société au paiement d’une indemnité égale à trois mois de rémunération (retenant la même base que s’il s’agissait d’une indemnité compensatoire de préavis), et ce pour chacun des deux engagements contractuels, aboutissant ainsi à deux indemnités de plus de 30.000€ chacune.
Elle examine, enfin, la question des cotisations de sécurité sociale, afin de voir si celles-ci doivent être appliquées sur les indemnités réclamées.
Elle conclut qu’il s’agit en l’espèce d’indemnités allouées du fait que la société n’a pas respecté la promesse d’engagement, étant qu’il s’agit d’indemnités dues par l’employeur qui ne respecte pas ses obligations contractuelles (article 19, § 2 , 2° de l’arrêté d’exécution de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs).
La société est, en sus, condamnée aux intérêts moratoires et judiciaires, ainsi qu’aux deux indemnités de procédure (celles-ci étant taxées à 2.750€ par instance).
Intérêt de la décision
Cet arrêt, sanctionnant le non respect de la réglementation en matière de travail temporaire et intérimaire, retient l’existence d’un abus dans le recours à cette forme de travail. Cet abus de droit, au sens de l’article 1382 du Code civil, est une faute, susceptible de donner lieu à réparation, si le demandeur établit un dommage. Celui-ci, en l’espèce, est à la fois matériel et moral.
L’on notera que la Convention collective de travail n° 58 a été abrogée par la Convention collective de travail n° 108 du 16 juillet 2013 relative au travail temporaire et au travail intérimaire, cette dernière en reprenant le texte.
Un second intérêt de la décision est de retenir que chacun des contrats signés contenait un engagement précis ainsi que l’annonce du paiement d’une indemnité en cas de non respect. La cour a dès lors cumulé les deux condamnations, concluant à l’absence de renonciation ou de novation.