Terralaboris asbl

La Cour de cassation rappelle la définition du contrat de travail

Commentaire de Cass., 10 mars 2014, n° S.12.0103.N

Mis en ligne le jeudi 25 septembre 2014


Cour de cassation, 10 mars 2014, n° S.12.0103.N

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 mars 2014, la Cour de cassation rappelle les éléments à prendre en compte pour qu’il y ait contrat de travail, étant l’exécution d’un travail moyennant rémunération et sous l’autorité d’un employeur, les critères figurant dans la loi du 3 juillet 1978. La Cour de cassation rejette que ceux-ci puissent être tempérés par l’intention du travailleur ou la modicité d’une indemnité perçue en contrepartie du travail fourni.

Rétroactes

La Cour de cassation avait été saisie précédemment d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail d’Anvers le 21 décembre 2007 et avait accueilli le pourvoi par arrêt du 18 octobre 2010. L’arrêt de renvoi du 16 février 2012 a également été soumis à la censure de la Cour de cassation.

L’arrêt de la Cour du travail de d’Anvers du 21 décembre 2007

Cet arrêt avait fait application de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 qui avait conclu à l’incompatibilité d’éléments lui soumis avec une relation de travail salarié. Il s’agissait de personnes membres d’une association, qui prestaient, pour celle-ci, et bénéficiaient en échange de l’offre (qualifié de large et diverse) mise par cette association à la disposition de ses membres (participation gratuite à des événements, etc.).

La cour du travail avait considéré que le contrôle devait s’exercer uniquement à la lumière des critères généraux de l’article 333 de la loi-programme, étant les quatre critères énoncés par celle-ci (exécution de la convention selon la volonté des parties, liberté d’organisation du temps de travail, liberté d’organisation du travail et possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique).

La cour avait constaté que, s’agissant de travail effectué par des « bénévoles », deux critères pouvaient permettre une requalification, étant la liberté d’organisation du travail (une fois les prestations acceptées, le collaborateur ne pouvait pas les organiser à sa guise) et la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique (des responsables de l’association assistant aux manifestations organisées par les « bénévoles » et ces responsables exerçant une surveillance sur ceux-ci, afin qu’ils restent à leur poste, effectuent le travail attribué, etc.). La Cour du travail d’Anvers avait dès lors conclu à l’absence de latitude de ces personnes (collaborateurs) pour organiser librement leur mission et à l’existence d’un contrôle hiérarchique.

Elle avait cependant décidé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments permettant de procéder à la requalification eu égard notamment au fait que l’association ne disposait pas de cette main d’œuvre et que les personnes en cause avaient toute liberté de donner suite ou non à l’offre de travail, ce qui avait pour conséquence, pour la cour, que l’autorité requise pour qu’il y ait contrat de travail n’était pas présente, les critères de l’article 333 retenus (organisation du travail et exercice du contrôle hiérarchique) n’étant pas de nature à suppléer à ce manque.

L’arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2010

Dans son arrêt du 18 octobre 2010, la Cour de cassation casse cet arrêt, dans la mesure où la circonstance que celui qui exécute un travail dispose de la liberté de donner suite ou non à une offre de travail de son employeur et qu’il peut, le cas échéant, la refuser, n’empêche pas que, dès qu’il a accepté le travail, l’employeur dispose de sa main d’œuvre et affecte celle-ci selon les dispositions du contrat. La Cour de cassation relève expressément que le simple fait pour le travailleur d’avoir toute liberté de donner suite ou non à l’offre de travail n’implique pas qu’il soit également libre dans l’organisation de son temps de travail une fois la mission acceptée.

L’affaire a ainsi été renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 16 février 2012

La Cour du travail de Bruxelles déboute l’ONSS de sa demande et ce non eu égard aux questions ci-dessus mais par rapport à la notion de rémunération. La cour du travail rappelle qu’un grand nombre de prestations de travail sont fournies en-dehors d’un contrat de travail (convention de stage, contrat d’apprentissage, contrat de formation professionnelle, bénévolat, contrat de placement au pair, …). Pour la cour du travail, qui s’appuie sur la doctrine (DE VOS M., Loon naar belgisch arbeidsonvereenkomstenrecht. Rechtspositie, recht op loon, loonbegrip, Maklu-Uitgevers, p. 98 et s.), l’objectif ou la cause des prestations sont déterminants pour la qualification du contrat, considérant que l’acquisition de revenus constitue le motif déterminant de la conclusion d’un contrat de travail. La cour du travail estime qu’il s’agit d’un cadre de réflexion utile à la distinction à faire entre le travail fourni dans le cadre d’un contrat de travail moyennant rémunération et d’autres types de travail, pour lesquels l’indemnité n’est pas déterminante pour l’exécution de la prestation. La cour poursuit sur le travail bénévole et retient qu’en l’espèce les bénévoles percevaient une indemnité en contrepartie de leurs activités dès lors qu’ils avaient gratuitement accès à des événements. Il n’y avait dès lors pas travail professionnel.

La cour retient également que l’employeur, association sans but lucratif, revêt un caractère associatif réel, qui ne sert pas uniquement de couverture à ses occupations commerciales. Enfin, le caractère modique des indemnités allouées ne s’oppose pas à la qualification de bénévolat.

Le pourvoi

Le pourvoi s’appuie notamment sur les articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978, qui qualifient le contrat de travail, étant celui par lequel le travailleur s’engage à fournir un travail sous l’autorité d’un employeur moyennant une rémunération. Le pourvoi considère qu’est contraire à la notion de travail la conclusion selon laquelle un travail n’a pas été fourni alors qu’il est établi qu’une indemnité a été accordée en contrepartie des prestations fournies. Le bénévolat exercé pendant le temps libre du travailleur et ne visant pas l’acquisition de revenus doit être, selon le pourvoi, considéré comme un travail au sens de la loi dès qu’il est compensé par une indemnité et est exercé sous l’autorité de l’employeur, indépendamment du fait qu’il est accessoire en temps et en volume et que l’indemnité est modeste.

L’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2014

Après avoir rappelé les dispositions légales visées au pourvoi, sur la définition du contrat de travail, la Cour donne une définition du travail au sens légal : c’est le travail qu’un travailleur s’est engagé par contrat à fournir moyennant une rémunération et sous l’autorité d’un employeur, indépendamment de la modicité de la rémunération et du fait que ce travail est fourni pendant son temps libre et sans viser l’acquisition de revenus. La Cour casse dès lors l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles qui s’est fondée sur l’intention des travailleurs (absence d’intention d’acquérir des revenus par le travail mais intention d’aménager leurs loisirs) et sur le caractère à ce point modeste des indemnités qu’elles ne s’opposent pas à la qualification de bénévolat.

L’affaire est actuellement renvoyée devant la Cour du travail de Gand.

Intérêt de la décision

Cette affaire, qui est la première à avoir donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation dans le cadre des dispositions de la loi –programme (I) du 27 décembre 2006, a ainsi donné lieu à deux décisions de fond, toutes deux cassées par la Cour de cassation.

Il n’échappera pas que le raisonnement de la Cour du travail de Bruxelles ajoute aux critères légaux traditionnels définissant le contrat de travail, dans la mesure où sont pris en compte des éléments étrangers : l’intention d’acquérir ou non des revenus par le travail ainsi que le caractère à ce point modeste des indemnités allouées qu’il faut considérer que l’on a à faire à du bénévolat.

La Cour de cassation confirme ainsi la définition classique du contrat de travail, étant qu’il caractérise le travail fourni moyennant une rémunération et sous l’autorité de l’employeur. Elle précise expressément dans sa décision que seuls ces deux critères sont les caractéristiques du contrat indépendamment de la modicité de la rémunération et du fait que le travail est fourni pendant le temps libre du travailleur et sans viser l’acquisition de revenus.


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