Terralaboris asbl

Règlement européen de sécurité sociale – règles en cas de modification des prestations sociales

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 juillet 2014, R.G. 2009/AB/51.694

Mis en ligne le vendredi 3 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 25 juillet 2014, R.G. n° 2009/AB/51.694

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 25 juillet 2014, la Cour du travail de Bruxelles, statuant dans le cadre des dispositions du Règlement n° 1408/71, rappelle les hypothèses dans lesquelles, en cas de modification des prestations sociales (en pourcentage ou en montant), il y a lieu de procéder à un nouveau calcul. Elle rappelle également les règles de prescription en cas de récupération d’un indu en l’absence de fraude ou de dol.

Les faits

L’I.N.A.M.I. prend, en décembre 1997, une décision invitant un organisme assureur à récupérer un indu. L’assuré social introduit un recours devant le tribunal du travail contre l’I.N.A.M.I. (dans un premier temps) et, également, contre la mutuelle (par une seconde requête). L’indu concerne un montant de près de 5.400 € en principal.

La décision du tribunal

Le tribunal rend un jugement le 3 décembre 2008, déclarant une partie de la demande prescrite et ordonnant une réouverture des débats.

L’organisme assureur interjette appel.

Les arrêts de la cour du travail

La cour du travail rend trois arrêts, successivement.

Dans une première décision du 30 juin 2010, la cour confirme la prescription de la demande pour une partie, retenant une prescription de 2 ans. Elle ordonne une réouverture des débats sur les calculs et, corrélativement, sur l’indu.

Dans un deuxième arrêt, en date du 19 décembre 2012, la cour confirme l’absence d’intention frauduleuse dans le chef de l’intéressé, qui a cumulé des indemnités d’incapacité de travail belges avec une pension d’invalidité italienne.

La cour constate que le litige porte également sur la méthode de calcul de la prestation due en vertu de la loi belge, l’I.N.A.M.I. ayant recalculé la prestation belge conformément au Règlement européen n° 1248/92 (la règle de la « différence du droit national » étant plus avantageuse que la prestation calculée en fonction de la proratisation). La cour conclut que les calculs doivent être faits selon la méthode dite de la « différence du droit national ».

L’I.N.A.M.I. faisant valoir qu’aucun recours n’a été introduit contre la décision de liquidation (datant de 1995) et qu’il y autorité de chose décidée, la cour rappelle que, si une décision de liquidation n’a pas été contestée, elle est cependant tenue de vérifier l’exactitude et la légalité (la cour soulignant ces deux termes) de la demande de récupération d’indu. Elle renvoie à l’article 159 de la Constitution, rappelant que le contrôle incident de légalité est prévu en ce compris lorsque le délai prévu pour introduire un recours direct est échu. Elle renvoie à une importante doctrine. En ce qui concerne la notion d’autorité de chose décidée, elle rappelle également que ce principe n’a pas de véritable consistance en droit belge (renvoyant à la doctrine de C. BEDORET, « L’autorité de chose décidée en droit de la sécurité sociale ou quand la montagne accouche d’une souris… », R.D.S., 2010, p. 168). Elle procède alors à un examen des décomptes et ordonne une nouvelle réouverture des débats.

Dans l’arrêt annoté, du 25 juillet 2014, la cour examine les règles applicables, eu égard au Règlement CE. A l’époque, il faut se référer au Règlement n° 1408/71. Son article 51 dispose que, si en raison de l’augmentation du coût de la vie (variation du niveau des salaires ou autres causes d’adaptation), les prestations sociales sont modifiées (en pourcentage ou en montant), cette modification doit être appliquée directement aux prestations établies conformément au Règlement (son article 46) sans qu’il y ait lieu de procéder à un nouveau calcul. Par contre, en cas de modification du mode d’établissement ou des règles de calcul des prestations, un nouveau calcul est nécessaire. La cour renvoie à un arrêt de la Cour de Justice (C.J.U.E., 18 février 1993, BOGANA, aff. C-193/92), qui a fixé la règle d’interprétation de cette disposition. Il s’agit de réduire la charge administrative que représenterait la situation du travailleur pour tout nouveau calcul ou toute modification établie conformément aux règles de l’article 46, s’agissant de revalorisation d’une prestation de même nature lorsque celle-ci est due à un événement autre que ceux repris in fine de l’article 51, c’est-à-dire autre qu’un changement du mode d’établissement ou des règles de calcul.

La cour constate que cette deuxième hypothèse n’est pas applicable en l’espèce et que, sous réserve de l’indexation, il n’y avait pas lieu de revoir les calculs en la cause, malgré l’évolution des montants versés par l’institution italienne.

Examinant le décompte de l’organisme assureur, la cour admet un indu, limité eu égard à la prescription de deux ans, de l’ordre de 3.000 €.

Sur la question des intérêts moratoires, l’intéressé conteste devoir ceux-ci pour toute la période et la cour examine dès lors la question du point de départ, eu égard à l’article 21 de la Charte de l’assuré social. L’indu ne résultant pas de fraude, de dol ou de manœuvre frauduleuse, le point de départ ne peut être le paiement, mais la requête.

La cour examine s’il y a faute dans le chef de l’organisme assureur (et accessoirement de l’I.N.A.M.I.), et ce eu égard également à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui exige le traitement des causes dans un délai raisonnable. La cour rappelle que cette disposition est applicable aux contestations de sécurité sociale (renvoyant à plusieurs décisions de la C.E.D.H.). En ce qui concerne l’appréciation du délai raisonnable, reprenant également la jurisprudence constante de cette haute juridiction, la cour rappelle qu’elle s’apprécie suivant les circonstances de la cause, eu égard à la complexité de l’affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes, ainsi encore qu’à l’enjeu du litige.

En application de cette jurisprudence, la cour du travail rappelle qu’elle a, dans de nombreux arrêts, considéré qu’il peut être abusif de la part d’un organisme de sécurité sociale qui se trouve à l’origine du dépassement du délai raisonnable, de réclamer les intérêts pour une période dans laquelle il y a eu carence de sa part. La réparation de ce dommage peut être une suspension totale ou partielle du cours de ceux-ci.

En l’espèce, le litige a duré plus de 15 ans et il y a eu de nombreuses remises à l’initiative des deux institutions de sécurité sociale. La cour pointe encore le manque de clarté des décomptes ayant amené à une réouverture des débats et à la communication « au compte-gouttes » des éléments d’explication.

Elle relève encore le non-respect de l’article 6 de la Charte de l’assuré social, qui impose aux institutions de sécurité sociale de faire usage d’un langage compréhensible vis-à-vis de l’assuré social, ce qui n’a pas été le cas.

En conclusion, la cour réduit les intérêts à l’exercice normal du droit, qu’elle fixe à la date de l’arrêt : les intérêts ne seront dès lors dus qu’à partir de celui-ci.

Enfin, elle souligne que l’article 22 de la Charte permet de demander aux institutions de sécurité sociale de renoncer à la récupération de l’indu, et ce dans le respect des dispositions sectorielles. L’I.N.A.M.I. faisant valoir que la renonciation ne peut être examinée qu’à partir du moment où elle est accompagnée d’une copie du titre exécutoire, la cour rend son arrêt, fixant l’indu au montant ci-dessus et expose qu’il appartiendra à l’intéressé d’introduire une demande de renonciation s’il l’estime nécessaire.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt (le troisième pour l’espèce examinée) aborde une question de droit européen récurrente, étant les conditions dans lesquelles une modification de la prestation peut faire l’objet d’une application directe ou non, la cour rappelant qu’un nouveau calcul ne doit être effectué qu’en cas de modification du mode d’établissement ou des règles de calcul des prestations.

Outre qu’il renvoie à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne sur la question, l’arrêt est également documenté sur la position constate de la Cour européenne des droits de l’homme sur le délai raisonnable dans l’instruction des causes et son application aux contestations en matière de sécurité sociale.


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