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Un tweet mettant en cause l’image publique de l’employeur : motif grave ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 juillet 2014, R.G. n° 2012/AB/1.126

Mis en ligne le mardi 21 octobre 2014


Cour du travail de Bruxelles, 14 juillet 2014, R.G. n° 2012/AB/1.126

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 juillet 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’il faut rechercher dans l’appréciation de la gravité d’une faute au regard de l’article 35 LCT un équilibre entre les droits et obligations de deux parties au contrat de travail.

Les faits

Une employée de cadre dans une société automobile tombe en incapacité de travail en 2008. Cette incapacité sera de longue durée. Début 2009, elle informe l’employeur de son état de grossesse. Huit jours plus tard, elle est licenciée pour motif grave sans indemnité ni préavis. Le motif consiste essentiellement dans le fait d’avoir publié un message sur twitter (où elle précise qu’elle « déteste » la société et tout ce qu’elle représente …).

Le tribunal du travail, saisi par l’intéressée va rendre un jugement le 30 avril 2012, déboutant celle-ci de la demande formée visant d’une part au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et d’autre part à celui d’une indemnité de protection.

Appel est interjeté devant la cour pour les deux chefs de demande.

Décision de la cour du travail

La cour examine en premier lieu l’existence ou non d’un motif grave.

Elle rappelle essentiellement sur la notion de motif grave que la gravité de la faute du travailleur doit entraîner l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre toute collaboration professionnelle et qu’il y a lieu de tenir compte d’une appréciation in concreto. Il faut dès lors examiner le fait accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave. Reprenant sa jurisprudence antérieure et renvoyant à la doctrine de V. VANNES (V. VANNES, note sous Cass., 8 novembre 1999, R.C.J.B., 2002, p. 269), elle rappelle que doivent être prises en compte les règles internes et éthiques de l’entreprise ainsi que la « culture de l’entreprise ».

S’agissant d’apprécier l’exercice fait par le travailleur de sa liberté d’expression, la cour renvoie à la notion d’exécution de bonne foi du contrat de travail, qui emporte une obligation de loyauté réciproque entre parties et ce en raison de la relation de confiance qui doit exister entre eux. Cette obligation est reprise à l’article 16 LCT qui dispose que les parties se doivent le respect et des égards mutuels. Constatant également que le contrat de travail contenait un engagement précis à cet égard, la cour relève cependant que ces obligations ne privent pas le travailleur de tout droit de critique et qu’il faut rechercher un juste équilibre entre, d’une part ses obligations légales et contractuelles et, d’autre part sa liberté d’expression, garantie par la Convention européenne des droits de l’homme (article 10) et par la Constitution (article 19).

La cour va, en conséquence, examiner si le tweet – dont le texte n’est pas contesté – est constitutif ou non de motif grave.

Elle reprend les circonstances dans lesquelles ce tweet a été posté. Une mauvaise communication était intervenue entre les parties à propos de la remise à l’employeur des certificats médicaux (problème de dates) et l’intéressée avait pris ombrage d’une vérification demandée par la direction quant à l’authenticité des certificats médicaux. Une explication ayant cependant été donnée rapidement, la question fut aplanie mais le tweet venait d’être posté quelques heures plus tôt …

La cour constate qu’il a été écrit dans un mouvement d’humeur et que la colère de l’intéressée n’était pas raisonnablement justifiée eu égard à la situation.

Tout en constatant que tout travailleur dispose d’une certaine liberté d’expression dans le cadre du contrat de travail, la cour rappelle cependant l’exigence que cette liberté doit être conciliée avec l’obligation de loyauté. Elle conclut en l’espèce à l’existence d’un motif grave dans la mesure où le tweet révèle une absence de respect envers l’employeur et une atteinte portée à l’image publique de celui-ci (le texte ayant précisé que la société « détestait les personnes »), la cour constatant que des sentiments très négatifs étaient exposés par l’intéressée et également imputés à l’employeur.

La cour insiste également sur la fonction occupée par l’intéressée au sein de l’entreprise, élément intervenant dans l’appréciation de l’équilibre entre les droits et obligations des parties. La fonction était en effet une fonction à responsabilité dans le domaine de la communication externe de la société et l’intéressée devait, pour la cour, être consciente de l’importance pour toute entreprise de sa réputation dans les médias sociaux. L’ensemble de ces éléments autorisaient dès lors la société à licencier sur le champ.

Vu la reconnaissance du motif grave, la cour conclut assez logiquement à l’absence de droit à une indemnité de protection de la maternité.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles confirme les critères dégagés, dans la doctrine et la jurisprudence récente pour l’appréciation du motif grave eu égard à la place et aux responsabilités du travailleur dans l’entreprise d’une part et à ses droits et obligations légaux et contractuels de l’autre.

La cour recherche l’équilibre entre les droits et obligations des parties dans le cadre plus général de manifestations de la liberté d’expression du travailleur. En l’occurrence, tout en constatant le caractère public de l’atteinte portée à la réputation de l’employeur, la cour constate que le comportement est d’autant plus grave qu’il émane d’une employée dont les fonctions sont précisément de représenter la société en externe.

Par ailleurs, le rejet de la demande d’indemnité de protection de la maternité découle de la reconnaissance du motif grave, s’agissant de définir, ici, le motif du licenciement. Dès lors qu’un motif est retenu par le juge et que celui-ci est étranger à l’état de grossesse, il n’y a pas lieu à protection contre le licenciement.


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