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Réparation de l’accident du travail : critères de la définition du marché du travail

Commentaire de C. trav. Mons, 9 juillet 2014, R.G. 2013/AM/223

Mis en ligne le lundi 17 novembre 2014


Cour du travail de Mons, 9 juillet 2014, R.G. n° 2013/AM/223

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour du travail de Mons rappelle les éléments à prendre en compte, dans le cadre de l’indemnisation des séquelles d’un accident du travail, pour fixer le taux d’incapacité permanente.

Les faits

Un travailleur est victime d’un accident du travail en août 2004. Il occupe à ce moment des fonctions d’ouvrier ferrailleur. Ayant reçu une lourde barre de fer sur sa cuisse gauche, il est victime d’une fracture du fémur. L’incapacité temporaire va s’étendre sur une période d’un an et demi environ, période suite à laquelle l’assureur-loi adresse un projet d’accord-indemnité sur la base d’une I.P.P. de 5%. Ne pouvant marquer accord avec ce taux, l’intéressé introduit un recours devant le Tribunal du travail de Mons, qui désigne un expert par jugement du 4 juin 2008. Celui-ci conclut, dans son rapport, à 5%, comme l’avait fait l’assurance.

Appel est interjeté, l’intéressé demandant à la cour de fixer le taux à 10% et sollicitant, à titre subsidiaire, la désignation d’un nouvel expert.

Outre des éléments tout à fait spécifiques à l’espèce (conditions de tenue de l’expertise et prise en compte de séquelles d’ordre neuropathique), l’appelant fait grief à l’expert d’avoir négligé la nécessité de réorientation professionnelle et de ne pas avoir bien apprécié la perte de faculté de concurrence eu égard au marché général de l’emploi qui lui reste ouvert, et ce en fonction de son âge, de son bagage professionnel et des formations suivies après l’accident.

La décision de la cour

La cour rencontre, dans un premier temps, les objections de l’appelant sur la régularité de l’expertise.

Plus particulièrement, elle réaffirme que le caractère contradictoire de celle-ci est un principe essentiel et qu’à défaut, il y a violation des droits de la défense, violation susceptible d’entraîner l’écartement du rapport (ou son inopposabilité) à la partie dont les droits de défense n’ont pas été respectés.

La question s’étant en l’espèce focalisée sur l’absence de réponse complète de l’expert aux notes de faits directoires qui lui ont été adressées, la cour rappelle l’état actuel de la législation en ce qui concerne la conduite de l’expertise. Le nouvel article 976 du Code judiciaire impose actuellement de faire figurer dans les préliminaires non plus un simple énoncé des constatations de l’expert, mais également un avis provisoire.

Pour la cour du travail, cette exigence nouvelle s’inscrit dans le cadre du respect des droits de défense assuré par l’article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, mais poursuit également un objectif d’efficacité. Si des discussions techniques se posent à ce moment, elles doivent être vidées devant l’expert. Le système antérieur, qui reportait le débat immédiatement devant le tribunal, ne pouvait déboucher que sur de nouvelles complications (complément d’expertise, audition de l’expert), aboutissant à ralentir inutilement le prononcé du jugement.

La modification législative permet également d’écarter des débats les observations faites tardivement. Pour la cour, qui rappelle la doctrine de D. MOUGENOT, « Le nouveau droit de l’expertise », in Le droit judiciaire en effervescence, Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, colloque du 31 mai 2007), les parties ne disposent plus, ainsi, d’un droit à faire valoir leurs critiques après le dépôt du rapport. Le contrôle judiciaire est un contrôle sur la validité interne et externe du rapport d’expertise et, si l’avis n’est pas contraignant, le rapport sera entériné s’il est bien fait, sauf à prouver que l’expert aurait négligé un devoir ou qu’il se serait trompé.

En l’espèce, la cour constate qu’il y a eu respect du caractère contradictoire de l’expertise.

En ce qui concerne la seconde question à régler, étant l’incidence socio-économique des atteintes physiques, la cour rappelle que la loi indemnise l’atteinte portée à la capacité de travail du travailleur, c’est-à-dire sa valeur économique sur le marché général de l’emploi.

Les critères habituels sont, outre l’incapacité physiologique, l’âge, la qualification professionnelle, la faculté d’adaptation, la possibilité de rééducation professionnelle et la capacité de concurrence. Ce dernier critère implique d’examiner les possibilités pour la victime d’exercer une activité salariée, comparativement à d’autres travailleurs. Dans cet examen, l’évolution conjoncturelle de l’économie n’est pas prise en compte, le taux ne pouvant être fixé, par ailleurs, au regard de la seule capacité de travail dans le métier exercé par la victime au moment de l’accident. Ainsi, en l’espèce, l’intéressé était ouvrier ferrailleur, mais il a également exercé d’autres métiers manuels, à savoir chapiste-carreleur et jardinier. En outre, il a suivi une formation, après l’accident, lui ayant conféré un certificat d’assembleur d’ordinateurs. Le marché du travail s’est, dès lors, élargi et ne peut plus, pour la cour, être restreint à celui des métiers manuels.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

L’application de l’article 976 du Code judiciaire que fait la cour du travail dans cet arrêt est très stricte, celle-ci allant jusqu’à considérer que, s’il y a écartement par le juge des observations faites par une partie à l’expert tardivement, celle-ci ne dispose plus du droit à faire valoir des critiques après le dépôt du rapport, sur la question. La cour en conclut que la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation ne serait plus d’actualité, eu égard à cette exigence de l’article 976 nouveau. Seule pourrait encore faire l’objet de contestation une négligence ou une erreur de l’expert.

Cette appréciation, faite eu égard à la problématique des observations communiquées tardivement, ne semble pas, cependant, pouvoir mettre en péril le droit pour une partie de demander au juge de procéder à un contrôle de légalité interne des conclusions de l’expert, ce contrôle étant susceptible de dépasser les situations admises dans l’arrêt (négligence ou erreur).

Par ailleurs, sur le marché du travail, la cour rappelle très utilement que l’évolution conjoncturelle de l’économie n’intervient pas dans l’évaluation de l’incapacité permanente de travail.


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