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Les déclarations de la victime peuvent suffire si elles ne sont pas contredites par d’autres éléments du dossier

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 décembre 2007, R.G. 48.264

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 10 décembre 2007, R.G. 48.264

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 10 décembre 2007, la cour du travail de Bruxelles, saisie d’une contestation relative à la preuve des faits invoqués par le travailleur au titre d’événement soudain, rappelle que cette preuve peut découler des déclarations de la victime, pour autant qu’elles ne soient pas contredites par d’autres éléments du dossier. Elle souligne par ailleurs que la preuve à charge de la victime est d’établir un élément qui a pu produire la lésion et qu’il ne lui incombe pas de prouver l’existence d’un élément distinct du cours normal des prestations de travail, élément qui aurait pu provoquer la lésion.

Les faits

Monsieur D.M. était occupé, le 5 juin 2000, en qualité d’ouvrier pour une société de construction, sur un chantier. Il était affecté à un monte-charges et devait remplir celui-ci de madriers de bois. Lors d’une opération de chargement, alors qu’il avait sur son épaule deux madriers, il a trébuché sur la plaque faisant office de rampe d’accès au monte-charges et est tombé à genoux. Dans le mouvement, les madriers ont pesé sur son épaule gauche.

Il fut emmené le jour même aux urgences et, à partir des examens spécialisés qui seront pratiqués par la suite, sera diagnostiquée une rupture partielle du tendon sus épineux de cette épaule.

C’est le conseiller en prévention de l’entreprise qui rédigea la déclaration d’accident de travail.

Sur invitation de l’entreprise d’assurances, la victime rédigea également une déclaration précise des faits.

Il fut par ailleurs examiné par le médecin conseil de l’entreprise d’assurances, qui consigna son récit.

L’entreprise d’assurances procéda en outre à une enquête, au cours de laquelle l’intéressé confirma l’absence de témoin au moment des faits.

L’entreprise d’assurances refusa d’intervenir, estimant que la preuve des faits n’était pas rapportée, et ce en raison d’éléments contradictoires qui mettraient en doute la réalité de ceux-ci.

Ultérieurement (quasiment un an plus tard), Monsieur D.M. transmit à l’entreprise d’assurances trois témoignages supplémentaires.

Deux des auteurs des attestations y affirment avoir été témoins de la survenance de l’accident.

Malgré ces éléments nouveaux, l’entreprise d’assurances maintint son refus d’intervention, de sorte que Monsieur D.M. saisit le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail estime que la preuve des faits est rapportée. Il souligne tout d’abord que, vu que l’intéressé prestait seul, il lui est particulièrement difficile d’établir la réalité objective et précise de l’accident. En conséquence, sa seule déclaration peut être retenue.

Il faut relever que le tribunal fonde sa conviction également sur d’autres éléments, à savoir la certitude quant au poste de travail et à l’occupation (déplacer des madriers au monte-charges). Le tribunal se fonde également sur l’avertissement immédiat par le travailleur à son chef de chantier ainsi que sur les informations communiquées qui ont permis à l’employeur de rédiger la déclaration d’accident du travail. Le tribunal se fonde encore sur la consultation aux urgences, très peu de temps après l’accident et la consultation médicale qui s’en est suivie.

La décision de la Cour

Sur le plan des principes, la cour du travail définit la notion d’événement soudain comme un fait ou une circonstance que la victime doit désigner et qui est susceptible d’avoir causé la lésion.

Elle rappelle que cet événement ne doit être ni anormal, ni exceptionnel et que l’exercice du travail journalier, normal et habituel, peut constituer pareil événement. La seule condition est que soit épinglé, dans l’exercice de ce travail, un fait qui est susceptible de causer la lésion. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’élément épinglé ne doit pas se distinguer de l’exécution du contrat de travail.

Quant à la question de la preuve, la cour rappelle que la déclaration de la victime ne constitue pas en soi une preuve suffisante mais, faisant sienne la jurisprudence de la cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 7 juin 2000, R.G.A.R., septembre 2007, n° 7 et C. trav. Mons, 16 janvier 2002, R.G. n° 16.655, www.juridat.be), elle estime que telle preuve peut résulter des déclarations de la victime à la condition que celles-ci ne soient pas contredites par d’autres éléments du dossier.

Examinant les éléments de l’espèce, la Cour constate qu’est établie l’existence d’un fait, qui s’est produit à un moment précis dans le cours de l’exercice du contrat de travail (à savoir la manipulation de madriers à charger dans le monte-charges), fait qui a pu causer la lésion.

Elle souligne par ailleurs que ce fait constitue un événement soudain et, qu’en réalité, la controverse porte sur la cause de la survenance de cet événement soudain, à savoir le faux mouvement (avoir trébuché ou s’être cogné le pied sur la plaque métallique faisant office de rampe d’accès au monte-charges).

Sur ce point, la cour du travail rappelle que la victime ne doit établir que l’événement soudain et non un autre élément qui, tel une chute ou un faux mouvement, se distinguerait de l’exécution du contrat de travail.

Répondant par ailleurs à l’argumentation développée par l’entreprise d’assurances, la cour estime que les contradictions alléguées quant au faux mouvement ne sont pas le fait de Monsieur D.M., dès lors que toutes ses déclarations directes sont identiques et que les seuls éléments de contradiction résident dans la déclaration patronale d’accident de travail, qui n’a pas été remplie par lui, ou dans le rapport du médecin conseil de l’entreprise d’assurances, qui relate en réalité la manière dont il a compris ou interprété le récit présenté par la victime.

Enfin, en ce qui concerne les attestations communiquées ultérieurement à la décision de refus de reconnaissance des faits, la cour estime que les deux déclarations de travailleurs qui affirment avoir vu l’accident, alors même que l’absence de témoins avait été soulignée précédemment, sont des attestations de complaisance, de sorte qu’elles ne constituent pas des éléments de preuve et doivent être écartées des débats. La cour précise cependant que l’existence de telles déclarations au dossier de la victime ne vicie pas la preuve de l’existence de l’événement soudain.

Intérêt de la décision

La décision porte sur la preuve de l’événement soudain et a le mérite de préciser les éléments à charge de la victime.

Celle-ci doit établir l’élément qui a pu provoquer la lésion mais n’est nullement tenue d’établir l’ensemble des circonstances entourant la survenance de cet élément, tel un élément qui se distinguerait de l’exécution du contrat de travail et qui serait à l’origine de l’événement soudain épinglé.

L’arrêt présente également un autre intérêt, sur le plan de la valeur probante des déclarations de la victime, dès lors que la cour du travail admet que les déclarations de la victime peuvent constituer une preuve, pour autant qu’elles ne soient pas contredites par d’autres déclarations ou d’autres éléments du dossier.


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