Terralaboris asbl

Omission de déclaration et abus de procédure : conséquences

Commentaire de C. trav. Liège, 6 septembre 2006, R.G. 33.921/06

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Liège, 6 septembre 2006, R.G. n° 33.921/06

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un intéressant arrêt du 6 septembre 2006, la cour du travail de Liège expose les conséquences sur le remboursement de l’indu (et des intérêts) d’une omission de déclaration ainsi que celles d’une attitude de mauvaise foi dans la procédure judiciaire.

Les faits de la cause

Un assuré social avait bénéficié d’une aide sociale pendant trois ans et avait, pour une partie de la même période, exercé une activité professionnelle pour laquelle il avait perçu des revenus et ne les avait pas déclarés au C.P.A.S.

Cette situation fut portée à la connaissance du Centre, qui, sur la base des informations en sa possession, détermina un indu d’aide sociale de l’ordre de 4.000 €.

L’intéressé introduisit un recours devant le tribunal du travail, contre une lettre recommandée de mise en demeure réclamant remboursement.

La décision du tribunal

Le tribunal statua par défaut contre le requérant. Il déclara irrecevable une demande de réouverture des débats qu’il fit et le débouta de sa demande, accueillant la demande reconventionnelle du C.P.A.S. relative à une condamnation au montant ci-dessus.

La position des parties en appel

Les moyens soulevés par le requérant en appel étaient assez faibles et portaient essentiellement (mais mollement) sur les montants.

Le C.P.A.S. introduisit, alors, une demande complémentaire, relative aux intérêts sur l’indu, intérêts qu’il réclamait depuis les décaissements et sollicita que la cour condamne l’intéressé, en outre, à des dommages et intérêts de 1.000 € pour appel téméraire et vexatoire, au motif que ses contestations n’avaient jamais été étayées, et ce à aucun moment de la procédure.

La décision de la cour

La cour du travail considéra qu’il était constant que l’aide sociale avait été perçue, alors qu’il y avait parallèlement exercice d’une activité professionnelle, ainsi qu’il ressortait des informations obtenues par la Banque carrefour. Il s’agissait dès lors d’une situation où l’assuré social avait fait des déclarations volontairement incomplètes.

Elle considéra que, en niant l’évidence, celui-ci persistait dans une attitude de dissimulation et de mauvaise foi et que, vu l’absence de toute argumentation sérieuse, fût-ce sur ce qu’il admettait pour sa part comme constituant un indu incontestable, il diligentait sa procédure à des fins manifestement et purement dilatoires.

La cour rappela à cet égard que, devant le premier juge, il avait déposé une requête en réouverture des débats, alors que les conditions légales n’étaient nullement présentes (soit en vue du dépôt de pièces déjà connues) et que le premier juge avait, sur cette question, dû déclarer cette demande irrecevable. Les dispositions du Code judiciaire qui autorisent cette procédure visent à éviter qu’une décision soit prise par le juge dans l’ignorance de pièces ou de faits susceptibles d’avoir une incidence sur le délibéré et ne doivent pas, pour la cour, être détournées de leur objet pour pallier les carences d’un avocat négligent, qui ne se présente pas à l’audience où la cause a été remise contradictoirement à sa demande.

Après ces constatations, elle aborda la question des intérêts, pour laquelle il faut se référer à l’article 1378 du Code civil, qui dispose que les sommes indûment perçues portent intérêt à compter du jour du paiement lorsque celui qui a reçu l’indu est de mauvaise foi.

La Charte de l’assuré social a cependant apporté un tempérament à cette règle, puisqu’elle dispose (article 21) que les intérêts sont dus de plein droit à dater du paiement indu des prestations sociales dans l’hypothèse où le paiement résulte de fraude, de dol ou de manœuvres frauduleuses de la part du bénéficiaire (l’article 21bis de la loi réservant au Roi le pouvoir d’étendre par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres cette règle à d’autres hypothèses où l’indu résulte de l’omission par le bénéficiaire de faire une déclaration prescrite par une disposition communiquée à l’assuré social).

La matière de l’aide sociale est actuellement couverte par les dispositions de la Charte depuis la loi du 10 mars 2005. Le C.P.A.S. ayant introduit sa demande nouvelle après l’entrée en vigueur de cette loi, il faut juger celle-ci selon les dispositions légales applicables à ce moment, à savoir que les intérêts produits par les paiements indus ne peuvent être comptés depuis la date de ceux-ci que s’il est établie l’existence d’une fraude, de dol ou de manœuvres frauduleuses. Or, tel n’est pas le cas, la cour considérant que la simple abstention dans le chef de l’assuré social de déclarer son activité professionnelle et le revenu perçu suite à celle-ci ne peut être considéré comme un acte positif de fraude ou révélant une intention de tromper.

Aussi, malgré la mauvaise foi retenue à charge de l’intéressé, seuls seront accordés les intérêts moratoires conformément à l’article 1153 du Code civil, c’est-à-dire depuis la sommation que constitue la lettre recommandée qui lui fut adressée.

Enfin, restait à régler la question du caractère téméraire et vexatoire de la procédure, que la cour retint pour l’ensemble des circonstances exposées ci-dessus : tant les moyens utilisés que la procédure d’appel revêtent ce caractère et la cour de rappeler la doctrine ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation, celle-ci ayant jugé dans un arrêt du 31 octobre 2003 (C020602F) ’qu’une procédure peut revêtir un caractère téméraire et vexatoire non seulement lorsqu’une partie est animée de l’intention de nuire à une autre mais aussi lorsqu’elle exerce son droit d’agir en justice d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente’.

La cour allouera, en conséquence, des dommages et intérêts au C.P.A.S., d’un montant de 500 €.

Une dernière conséquence de la mauvaise foi est le refus de termes et délais.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est triple, étant

  1. de clarifier les notions parfois confondues de ’fraude, dol, manœuvres frauduleuses’ - pour lesquelles la cour retient qu’elles impliquent un comportement actif – et celles d’omission, d’abstention de déclaration à l’institution de sécurité sociale, avec les conséquences de cette distinction quant aux intérêts sur le remboursement de l’indu ;
  1. de définir la mauvaise foi ainsi que la défense téméraire et vexatoire : abus de procédure, fins dilatoires, etc.. et de rappeler la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question, qui définit ces comportements à l’aune des critères de l’abus de droit : c’est l’abus de droit dans une procédure, avec tout ce qui peut le caractériser ;
  1. de tirer les conséquences de la mauvaise foi : possibilité de condamnation à des dommages et intérêts et refus de termes et délais pour le remboursement de l’indu.

Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be