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Dans quelles conditions l’entreprise d’assurances peut-elle obtenir la revision des séquelles d’un accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er septembre 2014, R.G. 2014/AB/421

Mis en ligne le mercredi 14 janvier 2015


Cour du travail de Bruxelles, 1er septembre 2014, R.G. n° 2014/AB/421

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 1er septembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions exigées par l’article 72 de la loi du 10 avril 1971 en cas de revision. L’espèce tranchée est introduite par l’entreprise d’assurances.

Les faits

Un travailleur a été victime d’un accident du travail en mai 2000, suite auquel les séquelles ont été fixées par arrêt de la cour du travail du 4 juin 2012, étant une période d’incapacité de travail de 2 ans et un léger taux d’incapacité permanente (pour douleurs au genou et séquelles d’ordre psychiatrique).

Cet arrêt, du 4 juin 2012, est signifié à la requête de la victime le 17 juin 2012.

Neuf mois plus tard, le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances rédige un rapport de revision, dans lequel le taux d’I.P.P. doit être supprimé à partir du 6 février 2013, au motif qu’il n’y aurait plus de séquelles objectives en lien avec l’accident.

Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Louvain en mai 2013 aux fins d’entendre supprimer l’incapacité permanente. A titre subsidiaire, l’entreprise d’assurances sollicite la désignation d’un expert.

L’intéressé introduit, pour sa part, une demande reconventionnelle, au motif d’une procédure téméraire et vexatoire. Il réclame 10.000 € à ce titre.

Le Tribunal du travail de Louvain statue par jugement du 11 mars 2014, concluant à l’absence de fondement de la demande de l’entreprise d’assurances. Il alloue également à l’intéressé une indemnité de 6.000 €, dans le cadre de sa demande reconventionnelle.

Appel est interjeté par l’assureur, qui demande, comme en première instance, confirmation des conclusions de son médecin-conseil. Il sollicite également que l’intéressé soit débouté de la demande reconventionnelle introduite.

La décision de la cour

La cour reprend le mécanisme de la revision, tel que fixé à l’article 72 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

En vertu de cette disposition, une demande de revision des indemnités, fondée sur une modification de la perte de la capacité de travail de la victime, peut être introduite dans un délai de 3 ans. L’article 72 prévoit divers points de départ à ce délai.

L’action en revision suppose cependant que plusieurs conditions soient réunies. Celles-ci sont au nombre de quatre. En premier lieu, une modification imprévue de la perte de capacité de gain doit intervenir, et ce après l’homologation de l’accord intervenu entre parties sur les séquelles de l’accident ou la décision judiciaire statuant sur celle-ci (ou encore après la notification de la décision de guérison sans séquelles). Cette modification doit porter sur une amélioration ou une aggravation de la capacité physique ou économique de l’intéressé d’accomplir son travail. La cour du travail renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 1989 (Cass., 23 octobre 1989, n° 6.683).

Ensuite, il est exigé que cette modification soit la conséquence de l’accident du travail. Par conséquent, il est également admis par la Cour suprême (même arrêt) qu’un état antérieur (troubles psychiques), qui n’est pas la conséquence de l’accident, peut avoir pour effet d’aggraver les séquelles dues à celui-ci.

Pour qu’il y ait aggravation, il faut également que l’on soit en présence d’un fait nouveau, et la cour du travail renvoie ici encore à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 26 mai 2008, n° S.07.0111.F), étant l’exigence de faits qui étaient inconnus ou qui ne pouvaient pas être connus à la date de référence (étant l’une des trois hypothèses ci-dessus).

Enfin, la modification requise doit se produire dans les 3 ans qui suivent cette même date.

La cour renvoie encore à d’autres arrêts et rappelle notamment le principe selon lequel l‘évolution certaine et normale des lésions ne peut pas être prise en compte, comme donnant lieu à revision : il ne s’agit pas là d’un fait nouveau.

La cour passe ensuite aux règles de preuve, rappelant que, dans le cadre de cette procédure en revision, c’est le demandeur qui a la charge de celle-ci. L’assureur doit dès lors prouver – ce qu’il ne fait pas – l’existence d’éléments permettant de retenir qu’il y aurait un fait nouveau au sens où l’exige la jurisprudence ci-dessus.

Ce n’est pas, pour la cour, le rapport sommaire du médecin-conseil qui peut constituer un tel fait, d’autant que les constatations qu’il contient ont été contestées par l’intéressé, via son médecin-traitant, dans le cadre de la première instance.

Il y a dès lors confirmation du jugement et, sur la demande de désignation d’un expert judiciaire, la cour rappelle qu’il ne peut être fait droit à celle-ci, dès lors qu’il n’est même pas démontré que l’on peut être en présence du fait nouveau requis.

La cour va encore réserver quelques développements – toujours très documentés par des références de doctrine et de jurisprudence – sur la demande reconventionnelle. Elle conclut – contrairement au premier juge – que l’action ne présente pas le caractère téméraire et vexatoire requis pour qu’il y ait lieu à dommages et intérêts. Ce chef de demande est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, qui rappelle, de manière synthétique, les principaux arrêts de la Cour de cassation intervenus dans le cadre des conditions de l’action en revision, est très utile. L’existence du fait nouveau, avec toutes les conditions légales exigées, est dès lors la clé de voûte de cette action.

La cour rappelle également qu’ici la partie demanderesse ne bénéficie pas d’une présomption (contrairement à l’action initiale) et que la charge de la preuve lui incombe. S’agissant en l’occurrence d’un fait médical, l’existence de celui-ci ne peut résulter d’une seule appréciation du médecin-conseil de l’assurance, appréciation apparemment judicieusement rencontrée en l’espèce par le médecin-traitant. L’absence d’éléments permettant d’indiquer que la condition légale requise est remplie ne permet, en outre, pas de désigner un expert.


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