Terralaboris asbl

Un licenciement intervenant en contravention avec la CCT n° 32bis fait-il l’objet d’une sanction légale spécifique ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 novembre 2014, R.G. 2010/AB/80

Mis en ligne le lundi 16 février 2015


Cour du travail de Bruxelles, 19 novembre 2014, R.G. n° 2010/AB/80

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt très circonstancié du 19 novembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles conclut, appliquant l’article 9 de la CCT 32bis, à l’octroi de dommages et intérêts eu égard à la violation de la CCT, considérant par ailleurs que le licenciement peut être abusif au sens de l’article 63 de la loi sur les contrats de travail.

Les faits

Une société exploitant un restaurant est reprise par une autre. Un commis de cuisine, prestant à temps plein passe au service du cessionnaire. Il est licencié environ cinq mois plus tard.

Il introduit une action devant le Tribunal du travail de Bruxelles demandant, outre des heures supplémentaires, une somme de 25.000€ bruts à titre d’indemnité pour non respect de la CCT 32bis ainsi que l’indemnité pour licenciement abusif fixée à l’article 63 de la loi sur les contrats de travail.

Le tribunal du travail fait droit à sa demande, par jugement du 13 juillet 2009. Il n’attribue, cependant, qu’un montant de 1.000€ au titre de dommages et intérêts pour violation de la CCT. Il ne fait pas droit à la demande d’arriérés de rémunération.

La société interjette appel.

Position des parties devant la cour

La société appelante forme appel sur les deux condamnations essentielles, étant les dommages et intérêts pour violation de la CCT 32bis et l’indemnité pour licenciement abusif.

Pour elle, la directive 2001/23/CE du Conseil n’interdit pas, en son article 4, §1er, les licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi. Ces hypothèses sont d’ailleurs reprises dans la CCT 32bis (art. 9, al. 2). La société, plaide, sur le plan de la preuve que le travailleur doit prouver qu’il a été licencié à cause du transfert et, par ailleurs, qu’une modification des conditions du travail peut être convenue après celui-ci. L’intéressé ayant refusé celle-ci, le licenciement est intervenu.

Quant à l’intimé, il invoque la violation de l’obligation de maintien des conditions de travail acquises au moment du transfert auprès de l’entreprise cédante ainsi que l’interdiction de licenciement, celui-ci étant dû à son refus de passer d’un régime de travail à temps plein à un régime déclaré à temps partiel.

Décision de la cour

La cour rappelle longuement les principes applicables, tels que fixés par la convention collective de travail n° 32bis du 7 juin 1985 et ses modifications ultérieures.

Les règles qu’elle contient aux articles 1er, 6, 7, 9 et 10, relatifs au problème à trancher reprennent les principes édictés par la directive 2001/23/CE. La cour en conclut que le transfert d’entreprise ou d’établissement ne peut être en lui-même ni le motif du licenciement ni le motif de la modification des conditions de travail dans un sens défavorable au travailleur.

Elle va examiner les circonstances du licenciement intervenu, constatant que l’intéressé a été repris au service de la société cessionnaire le 1er mai 2006 et que celle-ci s’était engagée à maintenir intégralement l’ensemble des avantages acquis par le travailleur en raison de son précédent contrat et de son exécution (convention intervenue lors de la reprise). La cour relève que cet engagement était d’ailleurs superflu, vu les effets des textes ci-dessus.

Elle recherche s’il existe en l’espèce des éléments autorisant le licenciement, à savoir des motifs économiques entraînant des changements dans le domaine de l’emploi, et ce cinq mois après le transfert. Elle constate, à partir des éléments de faits, que le motif de la rupture du contrat est en lien direct avec la modification du régime de travail, étant le passage d’un temps plein à un temps partiel. La durée du travail étant un élément essentiel du contrat, elle devait, dans la mesure où elle est plus avantageuse, être maintenue. Pour la cour, l’on se situe dès lors dans un cas visé à l’article 10 de la CCT, étant que le contrat est en l’occurrence résilié parce que le transfert a entraîné une modification substantielle des conditions de travail au désavantage du travailleur. Dans une telle hypothèse, la CCT précise que la résiliation du contrat de travail est considérée comme intervenue du fait de l’employeur.

En ce qui concerne le temps écoulé entre le transfert et le licenciement, la cour relève que la CCT 32bis ne détermine par la période durant laquelle ces obligations doivent persister. Dès lors, il faut, selon l’arrêt, vérifier s’il y a une relation de cause à effet entre la cession et la modification ayant entraîné la rupture. Elle constate que la réorganisation (impliquant le passage au temps partiel) est une conséquence directe de la reprise de l’établissement, ainsi qu’il ressort des factures d’achat de nouveau matériel, etc. Le délai en cause s’explique par ailleurs logiquement par les circonstances matérielles de ces nouvelles modifications (travaux, élaboration de nouvelles cartes). Il y a, dès lors, une modification substantielle des conditions de travail intervenue au désavantage du travailleur, au sens de la CCT.

Pour ce qui est de la réparation de cette faute, la cour relève avec la société qu’il n’y a pas de sanction légale. Il appartient dès lors au travailleur d’établir qu’il a subi un préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité de rupture. En l’occurrence le préjudice réside dans le fait que le travailleur avait une longue ancienneté (14 ans) au sein de l’entreprise et qu’il pouvait espérer y travailler encore, vu la poursuite de l’activité après la reprise. Le dommage est un dommage moral et la cour confirme qu’il a été adéquatement fixé par le tribunal à 1.000€.

La cour examine ensuite le chef de demande relatif à l’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. Reprenant les principes sur la question, elle considère que le refus de nouvelles conditions de travail exprimé par le travailleur étant à l’origine du licenciement, la société doit établir tenant compte de ce motif les nécessités de fonctionnement de l’entreprise qu’elle allègue. Or, rien n’est avéré, la société ne démontrant aucune raison économique impérative de faire passer l’intéressé (de même que les autres membres du personnel) du temps plein au mi-temps, ni aucune diminution du chiffre d’affaires, etc. Le motif du licenciement réside, selon la cour, dans la possibilité de réengager le travailleur à moindre coût et ceci n’est pas autorisé.

En ce qui concerne la réparation du dommage, la cour précise qu’il s’agit de deux dommages distincts, le premier étant d’ordre moral et le second étant une sanction légale attachée au licenciement abusif.

Elle reprend la doctrine sur la question (L. PELTZER, Obs. sous C. trav. Liège, 29 novembre 1999, Chron. Dr. Soc., 2001, p. 36) qui a relevé que ces dispositions n’ont pas le même objet ni la même sphère d’application. Pour la cour du travail, la sanction légale du licenciement abusif ne se confond pas avec la responsabilité contractuelle de l’employeur qui contrevient à la CCT 32bis.

Intérêt de la décision

Deux arrêts ont été rendus, par la cour, avec la même date, relativement à deux membres du personnel licencié dans les mêmes conditions.

Un intérêt particulier de ceux-ci réside, bien évidemment, dans la question du délai écoulé entre la date du transfert et la rupture du contrat. Relevant très judicieusement que ce délai n’est fixé ni dans la directive ni dans la CCT, la cour revient à un principe général, qui est la vérification d’un lien de cause à effet entre un événement (la cession) et un autre (le licenciement).

L’arrêt confirme également la possibilité de cumul, dans le cas d’un ouvrier licencié avant le 1er avril 2014, avec l’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’article 63 de la loi sur les contrats de travail.

Il intéressera le lecteur de savoir que la cour du travail a rendu, dans les mois qui précèdent, deux autres arrêts importants sur la sanction de la violation de l’interdiction de licencier dans le cadre de la CCT 32bis.

Dans un arrêt du 19 juin 2014 (C. trav. Bruxelles, 19 juin 2014, R.G. n° 2011/AB/68), la cour avait considéré que le licenciement intervenu en violation de la CCT 32bis, dans des circonstances particulières (circonstances généralement retenues dans le cadre de l’abus de droit) et entraînant un préjudice distinct pouvait être sanctionné dans le cadre de la théorie générale de l’abus de droit et donner lieu, au titre d’indemnisation, à six mois de rémunération.

Dans un autre arrêt, du 12 août 2014 (C. trav. Bruxelles, 12 août 2014, R.G. n° 2012/AB/844), elle avait été saisie d’un motif grave intervenu après le transfert (motif grave fondé sur la circonstance que la travailleuse se considérait comme licenciée verbalement du fait du transfert – licenciement verbal non établi). Ici, la cour avait dû constater qu’en cas de motif grave non avéré, intervenu après la cession, la sanction légale ne devait résider que dans l’indemnité compensatoire de préavis, vu la possibilité prévue à l’article 9, alinéa 2 de la CCT de licencier pour motif grave les travailleurs ayant changé d’employeur. Le motif grave n’étant pas avéré, en l’absence de sanctions spécifiques, c’est la seule indemnité compensatoire qui pouvait être allouée.

On peut légitimement se poser la question d’une lacune dans les textes, dans une telle situation.


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