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Modification des fonctions après un congé de maladie : conditions de l’acte équipollent à rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 décembre 2014, R.G. 2013/AB/731

Mis en ligne le lundi 2 mars 2015


Cour du travail de Bruxelles, 10 décembre 2014, R.G. n° 2013/AB/731

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 décembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles examine la régularité d’une modification de fonctions imposée à un employé après un retour de maladie, et ce dans un contexte de réorganisation interne. Elle rappelle également que le droit à une indemnité de protection (harcèlement moral) peut exister dans l’hypothèse d’un acte équipollent à rupture.

Les faits

Un employé, au service d’une société du secteur privé, depuis le mois de mai 2006 dépose, quatre ans plus tard, une plainte auprès du service externe de prévention. Il vient à ce moment de tomber en incapacité de travail, incapacité qui se prolongera pendant huit mois.

A son retour de travail, il est affecté à un autre département et réagit, eu égard notamment à une modification subséquente des avantages contractuels (GSM et connexion internet). Il lui est immédiatement demandé de restituer du matériel informatique, son employeur lui annonçant, en outre, qu’il intégrerait une nouvelle équipe tournante une semaine sur quatre.

Le conseil de l’employé intervient, auprès de la société, faisant état d’une modification unilatérale des conditions de travail (fonction, horaire et rémunération). Il demande que son client soit réintégré dans toutes ses attributions dans les huit jours de la réception du courrier.

La société restant sur ses positions, le contrat est en fin de compte rompu par le conseil de l’employé, qui constate un acte équipollent à rupture. La société rétorque, alors, immédiatement que la rupture n’est pas justifiée. L’intéressé est mis en demeure de reprendre son travail, ce qu’il ne fait pas. La société constate alors la rupture du contrat dans le chef de celui-ci.

Les parties restant sur leur position, un paiement net de 5.000€ est en fin de compte versé et les documents sociaux sont remis, le C4 reprenant comme motif précis du chômage la dénonciation (injustifié) d’un acte équipollent à rupture.

Une procédure est introduite, dans laquelle sont essentiellement réclamées l’indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité de protection eu égard à la plainte déposée. D’autres sommes y figurent également, au titre d’arriérés de rémunération, de pécules et de tickets repas.

Le tribunal du travail fait droit à la demande de l’intéressé, tant sur l’indemnité compensatoire de préavis (dont le montant est cependant revu à la baisse) que sur l’indemnité de protection et sur d’autres montants liés à la rupture.

La société interjette appel et l’intéressé fait de même sur le montant de l’indemnité compensatoire.

Position des parties devant la cour

Pour la société, le tribunal ne pouvait retenir une modification de fonctions, celle-ci faisant état d’une fusion avec une autre société au début de l’année 2009, ce qui aurait emporté des modifications de structure importantes, dont des transformations au niveau du réseau informatique pendant la période où l’intéressé était absent. La société fait encore valoir d’autres points liés à son organisation et renvoie à son règlement de travail selon lequel le travailleur s’engageait à accepter d’autres tâches demeurant dans les limites de ses aptitudes physiques et intellectuelles.

En ce qui concerne la modification de l’horaire, elle se retranche également à la fois derrière les mentions du règlement de travail ainsi que le contrat, à cet égard. Elle soutient que, si une modification a été apportée à l’horaire, elle est peu importante et qu’elle ne peut à cet égard signifier la fin du contrat.

Quant à la rémunération, elle conteste également qu’il y a eu une modification unilatérale, les avantages octroyés étant liés à des gardes informatiques ; dans la mesure où l’intéressé n’était plus tenu à celles-ci, les accessoires contractuels n’étaient plus nécessaires.

En ce qui concerne l’intimé, il conclut que c’est à bon droit que le premier juge a constaté une modification unilatérale des conditions de travail liées à la fonction, à l’horaire et à la rémunération. Il considère cependant que l’indemnité compensatoire de préavis (quatre mois) est insuffisante et que la rémunération prise en compte dans le cadre de l’assiette de base n’est pas correcte.

Décision de la cour

La cour rappelle, en premier lieu, les principes, étant celui de la convention loi (1134 du Code civil) ainsi que les articles 20, 1° et 25 de la loi sur les contrats de travail, la première de ces dispositions faisant obligation à l’employeur de faire travailler le travailleur dans les conditions, au temps et au lieu convenus, et la seconde considérant qu’est nulle toute clause par laquelle l’employeur se réserve le droit de modifier unilatéralement les conditions du contrat.

Si l’employeur entend exercer son ius variandi et ce dans l’intérêt économique de l’entreprise, l’employeur doit tenir compte du contrat de travail ainsi que des droits et des intérêts des travailleurs. Les prérogatives patronales doivent être exercées avec modération, conformément au principe d’exécution de bonne foi des conventions.

La cour va ensuite et de manière très minutieuse examiner la nature des fonctions, l’évolution de la position de la société, qui n’a pas proposé à l’intimé un ajustement de celles-ci mais qui le lui a imposé. Il y a dès lors, vu cette modification unilatérale d’éléments essentiels de la fonction, rupture du contrat de travail, étant un comportement équipollent à rupture. L’auteur de celui-ci est la société.

Elle procède ensuite au calcul de la rémunération de base et, eu égard aux éléments de l’espèce, dont une ancienneté de quatre ans et six mois, confirme l’évaluation du tribunal, sur la hauteur de l’indemnité.

Elle aborde, également, l’appel de la société sur l’indemnité de protection. Après avoir rappelé le dispositif de l’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996, elle relève que le travailleur a déposé une plainte en février 2010, que la modification des conditions de travail est intervenue en novembre 2010, qu’elle a été maintenue, que celle-ci était injustifiée et qu’il en découle - ayant à juste titre constaté l’acte équipollent à rupture - que le travailleur est en droit de bénéficier de l’indemnité forfaitaire de six mois.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles revient sur les limites du ius variandi de l’employeur, relevant que, s’il est entendu comme étant le droit d’autorité de l’employeur et son pouvoir d’agencer et de modifier les conditions de travail, il méconnaît les règles légales applicables, étant l’article 1134 du Code civil ainsi que les articles 20, 1° et 25 de la loi sur les contrats de travail.

Saisie également d’une demande indemnité de protection dans le cadre d’une plainte en harcèlement, la cour du travail confirme – à juste titre – l’application de cette protection légale dans l’hypothèse d’un acte équipollent à rupture dénoncé par le travailleur vu le comportement de l’employeur.


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