Terralaboris asbl

Charte de l’assuré social : obligation de réactivité et de proactivité dans le chef des institutions de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Mons, 22 mai 2014, R.G. 2013/AM/314

Mis en ligne le vendredi 13 mars 2015


Cour du travail de Mons, 22 mai 2014, R.G. n° 2013/AM/314

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 mai 2014, la Cour du travail de Mons a rappelé le contour des articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social, dans l’hypothèse où l’organisme assureur est informé d’une reprise d’activité par un assuré social – reprise intervenue sans l’accord du médecin-conseil.

Les faits

Un assuré social est reconnu incapable de travailler depuis 1983. Il a repris une activité pour une brève période dans le courant de l’année 2001, dans le cadre d’un contrat de remplacement d’abord et d’un contrat pour un travail nettement défini ensuite. Le total des prestations couvre un peu plus de 2 mois.

Son organisme assureur le contacte, en vue de la clôture du dossier, vu la reprise du travail et la perspective de l’inscription au chômage. L’intéressé répond, signalant qu’il s’est agi de deux tentatives de reprise, mais qu’il a dû arrêter.

Une nouvelle tentative intervient en 2002, qui se solde par une mise au travail pendant près de 3 mois, période entrecoupée de deux incapacités de travail.

Quelques mois plus tard, en mars 2003, il est convoqué pour un examen médical et, un mois plus tard, la fin de son incapacité de travail est notifiée, au motif d’une reprise d’activités sans avoir obtenu l’autorisation préalable du médecin-conseil. Un indu lui est notifié, de plus de 14.600 €. Un recours est introduit le 23 mai 2003 par l’intéressé et, le 8 août 2003, un autre l’est par l’organisme assureur, le premier contestant les décisions prises et le second demandant condamnation au remboursement de la somme susvisée.

Par jugement du 20 juin 2003, le recours de l’assuré social est déclaré non fondé et l’intéressé est condamné à rembourser l’indu (légèrement réduit). Appel est interjeté par celui-ci. A titre principal, la demande est identique à celle formée en première instance et, à titre subsidiaire, la partie appelante demande la limitation du remboursement aux indemnités relatives aux périodes de travail ou la désignation d’un expert sur celles-ci. A titre infiniment subsidiaire, l’intéressé forme une demande de dommages et intérêts sur pied de l’article 1382 du Code civil, correspondant au montant réclamé.

La décision de la cour

Saisie, en premier lieu, d’une demande d’annulation des décisions, la cour constate qu’il y a eu non-respect de la réglementation. La cessation d’activité susceptible d’être indemnisée en AMI concerne toute activité professionnelle (principale ou accessoire) ou non professionnelle (c’est-à-dire sans perception de rémunération ou de revenus en espèces, mais entraînant l’économie de dépenses – donc une augmentation indirecte du patrimoine). La reprise d’un travail salarié ou non par l’assuré social reconnu incapable de travailler interrompt l’indemnisation si ce travail rentre dans la notion d’activité. La cour rappelle que celle-ci se définit elle-même par toute occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui. Le caractère occasionnel ou exceptionnel de celle-ci est sans importance.

Il y a dès lors en l’espèce reprise d’activité et la décision de récupération est légalement justifiée. L’intéressé faisant valoir une mauvaise information donnée par un employé, la cour conclut que ces faits, fussent-ils établis, ne peuvent entraîner l’annulation des décisions en cause.

Statuant ensuite sur la demande de limitation de la récupération aux périodes de travail, la cour constate qu’elle ne peut y donner suite, les certificats produits ne pouvant, par leur manque de précision et de pertinence, remettre en cause la thèse de l’organisme assureur.

La cour aborde, enfin, la demande formée sur pied de l’article 1382, étant la réparation d’une faute. Elle rappelle que le principe de légitime confiance ne permet pas de déroger à une disposition réglementaire d’ordre public, mais qu’une action fondée sur les règles en matière de responsabilité peut être introduite en indemnisation.

En ce qui concerne la faute, la cour examine les contours de l’article 3 de la Charte, dont elle reprend le texte.

Rappelant par ailleurs que la notion de « demande écrite d’informations » est interprétée de manière très large et que l’obligation pour l’institution de communiquer un complément d’informations d’initiative ne dépend pas de la circonstance que l’assuré social ait préalablement demandé par écrit une information sur ses droits, elle insiste sur l’obligation de comportement réactif et proactif des institutions de sécurité sociale ainsi imposé par la loi. Par ailleurs, l’article 4 de celle-ci comporte une obligation de conseil.

La cour constate que, si les faits ne sont pas très clairs, il est fait référence dans un courrier recommandé à un contact téléphonique qui a eu lieu et, en outre, l’organisme a été tenu au courant de la reprise de l’activité, puisqu’il a adressé un courrier en son temps à l’intéressé.

N’ayant pas donné suite aux informations données par celui-ci quant à l’échec des deux tentatives de reprise du travail, l’organisme assureur a commis une faute. Il a en effet reçu une information qui pouvait avoir une influence sur le maintien ou l’étendue des droits de l’intéressé aux indemnités et il était dès lors tenu de réagir dans un délai raisonnable et de l’informer des démarches à faire ainsi que des obligations à respecter pour sauvegarder ses droits. Or, rien n’a été fait pendant plus d’un an et aucune explication n’est donnée quant à la raison pour laquelle il aurait considéré que les tentatives de reprise du travail n’étaient pas susceptibles de contrevenir à la réglementation. Il y a une lenteur, non justifiée, lenteur inadmissible et fautive.

Sur le dommage, la cour rappelle que l’indu peut constituer un dommage réparable et que, si la réparation en nature n’est pas possible en la matière, il peut y avoir réparation par équivalent, l’arrêt renvoyant ici à la doctrine de J.-F. NEVEN, « La réparation selon le droit commun des fautes des institutions de sécurité sociale », Regards croisés sur la sécurité sociale, dir. F. ETIENNE et M. DUMONT, Anthémis, CUP, 2012, p. 262).

N’est cependant pas apportée la preuve du lien de causalité entre le manquement et le dommage. La cour du travail considère dès lors devoir ordonner une réouverture des débats sur cette question.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour – qui ne vide pas sa saisine – reprend méthodiquement les étapes successives du raisonnement permettant d’obtenir, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 1382 du Code civil, l’octroi de dommages et intérêts suite à un manquement à la Charte de l’assuré social.

Après avoir constaté l’infraction à la réglementation – la réalité de la reprise du travail pendant la période d’incapacité n’étant pas contestable –, la cour examine le respect de l’obligation d’information et de conseil figurant aux articles 3 et 4 de la Charte. Elle rappelle que celle-ci exige des institutions de sécurité sociale réactivité et proactivité. Peut donner lieu à dommage une lenteur fautive – ce qui peut être le cas en l’espèce, puisque l’organisme assureur avait été informé bien avant de la situation.

Après avoir admis le principe de la réparation par équivalent, la cour doit encore vérifier le lien de causalité et l’étendue du dommage découlant de la faute constatée.

L’affaire ayant fait l’objet d’une réouverture des débats à la fin de l’année 2014, la cour devrait en principe pouvoir délivrer sa décision définitive à très bref délai.


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