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Les prestations de travail accomplies au service d’une institution de l’U.E. établie dans l’Etat membre interviennent-elles dans le calcul du stage pour les allocations de chômage ?

Commentaire de C.J.U.E., 4 février 2015, Aff. n° C-647/13

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2015


Cour de Justice de l’Union Européenne, 4 février 2015, Affaire n° C-647/13

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 4 février 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne, interrogée par la Cour du travail de Bruxelles, répond à la demande d’interprétation du principe de coopération loyale, ainsi que de l’article 34, § 1er de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne relative à la conformité de la réglementation chômage aux principes communautaires.

Les faits

Une travailleuse salariée a été occupée en Belgique dans divers emplois et a, ensuite, travaillé à la Commission des Communautés européennes pendant une période de 3 ans. Elle avait la qualité d’agent contractuel. A l’issue de cette période d’occupation, l’ONEm a refusé le bénéfice des allocations de chômage, au motif qu’elle n’avait pas accompli le nombre de journées correspondant aux exigences en matière de stage, eu égard à son âge. La période d’occupation pour la Commission européenne n’était en effet pas prise en compte. Elle bénéficia alors d’une allocation de chômage particulière, étant celle prévue par le R.A.A. (réglementation communautaire spécifique), pour une durée de 12 mois.

Elle occupa par la suite divers emplois sur le marché belge et, à l’issue de la dernière période d’occupation, introduisit de nouveau une demande d’allocations de chômage. Celle-ci fut encore rejetée, pour le même motif (la période de référence étant cependant décalée).

Le problème essentiel concerne la non-prise en compte de la période d’activité accomplie au service de la Commission comme période de travail effectuée à l’étranger (article 37, § 2 de l’arrêté royal), ainsi que le refus de l’ONEm d’assimiler la période de chômage indemnisée au titre du R.A.A. comme période de travail (article 38, § 1er, 1°, sous a)).

L’intéressée a dès lors introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Suite à sa condamnation à admettre l’intéressée, l’ONEm a interjeté appel devant la cour du travail, demandant de rétablir la décision administrative.

La décision de la cour du travail

La cour du travail a constaté dans son arrêt que l’intéressée ne pouvait être qualifiée de « travailleur » au sens du Règlement (C.E.E.) n° 1408/71 du Conseil, et qu’elle ne pouvait davantage – dans la mesure où elle avait travaillé pour une institution européenne établie en Belgique et, précédemment, n’avait pas travaillé ailleurs que sur le territoire du Royaume – bénéficier des principes en matière de libre circulation, s’agissant d’une situation purement interne.

La cour du travail relevait cependant que la Cour de Justice était intervenue à diverses reprises en matière de pension dans l’hypothèse où un travailleur avait été occupé à la fois par un employeur belge et une institution européenne. Il s’agit essentiellement des arrêts COMMISSION/BELGIQUE (137/80, EU:C:1981:237, point 19) et MY (EU:C:2004:821). Pour la cour du travail, la solution dégagée par la Cour de Justice dans l’arrêt MY semble se rattacher au principe de coopération loyale et, en outre, la solution retenue a également été appliquée en matière d’allocations parentales, d’allocations familiales et, encore, d’un avantage fiscal.

Pour la cour du travail, il pourrait être déduit de cette jurisprudence que le principe de coopération loyale (article 4, § 3 T.F.U.E.) s’oppose à l’application des articles litigieux de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 tels qu’interprétés par l’ONEm. La cour puise encore un argument dans l’article 34, § 1er de la Charte, dont le premier alinéa repose notamment sur l’article 12 de la Charte sociale européenne. Elle a dès lors décidé d’interroger la Cour de Justice sur la question de savoir si le principe de coopération loyale et l’article 4, § 3 T.U.E., de même que l’article 34, § 1er de la Charte, s’opposent à l’exclusion de périodes de travail effectuées comme agent contractuel au bénéfice d’une institution de l’U.E. établie dans l’Etat membre, ainsi qu’au refus d’assimilation à des journées de travail des journées de chômage indemnisées dans le cadre du R.A.A., alors que les journées de travail indemnisées conformément à la réglementation de l’Etat membre bénéficient d’une telle assimilation.

La réponse de la Cour

La Cour relève en premier lieu qu’elle doit statuer dans le cadre de la réglementation antérieure à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Elle reformule dès lors la question tenant compte de cet élément.

Sur le fond, elle rappelle que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, s’agissant de coordination et non d’harmonisation. Les conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale sont, dès lors, de la compétence des Etats membres. Dans le cadre de celle-ci, ces Etats doivent cependant respecter le droit de l’Union.

La Cour examine la position de l’Etat belge selon laquelle, le principe à la base du régime de l’assurance chômage étant la solidarité (qui implique le versement préalable de cotisations), il n’y a dans la réglementation belge pas de violation de règles du droit de l’Union ni d’une disposition particulière du R.A.A. (ce qui rendrait, selon l’Etat belge, la solution dégagée dans l’arrêt MY non transposable). La Cour répond que, dans cet arrêt, ainsi que dans l’ordonnance RICCI et PISANESCHI (EU:C:2010:420), elle ne s’est pas fondée sur une disposition particulière du statut, mais a constaté que la réglementation nationale pouvait rendre plus difficile le recrutement par les institutions de l’Union de fonctionnaires nationaux ayant une certaine ancienneté.

Une telle réglementation a ainsi été jugée susceptible de décourager l’exercice d’une activité professionnelle au sein des institutions européennes, dans la mesure où, en acceptant un emploi auprès de celles-ci, le travailleur qui aurait précédemment été affilié à un régime de pension national risquait de perdre la possibilité de bénéficier, au titre de ce régime, d’une prestation de vieillesse à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas accepté ledit emploi.

La Cour de Justice rappelle expressément qu’elle a considéré que de telles conséquences ne pouvaient pas être admises au regard du devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux Etats membres à l’égard de l’Union. Ce devoir trouve son expression dans l’obligation de faciliter à celle-ci l’accomplissement de sa mission (obligation prévue à l’article 10 C.E.).

La situation en l’espèce est du même ordre : refuser de prendre en compte pour l’admissibilité au bénéfice des allocations de chômage les périodes accomplies par le travailleur en qualité d’agent contractuel au sein d’une institution de l’Union sise dans l’Etat membre est également de nature à rendre le recrutement d’agents contractuels plus difficile pour ces institutions. Elle est même de nature à dissuader les travailleurs de l’Etat membre d’y exercer un emploi dont la nature réglementairement limitée les place dans l’obligation de se réinsérer à terme sur le marché du travail national. Le même constat est à faire quant au refus d’assimilation des journées de chômage ayant donné lieu au versement d’une allocation de chômage en application du R.A.A.

En conséquence, la Cour considère ne pas devoir examiner la conformité de la réglementation belge à l’article 34, § 1er de la Charte, mais conclut que l’article 10 C.E., en liaison avec le R.A.A., s’oppose au refus d’assimilation des périodes de travail de l’agent contractuel au sein d’une institution de l’Union établie dans l’Etat membre, ainsi que les journées de chômage ayant donné lieu au versement d’une allocation de chômage en application du R.A.A.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice était attendu, la Cour du travail de Bruxelles ayant fait œuvre de pionnière, dans cette situation dont les effets néfastes pour les personnes concernées ne sont pas à décrire plus amplement.

L’on relèvera que l’Etat belge invoquait que la jurisprudence de la Cour de Justice dans d’autres secteurs de la sécurité sociale n’était pas transposable en l’espèce, eu égard au fait qu’elle aurait été rendue vu l’existence d’une disposition spécifique dans le secteur concerné, essentiellement en matière de pension. La Cour de Justice rejette cet argument, s’appuyant sur le devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux Etats membres à l’égard de l’Union et qui trouve son expression dans l’obligation, prévue à l’article 10 C.E. (à l’époque), de faciliter à celle-ci l’accomplissement de sa mission.


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