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Secteur des maisons de repos : barèmes applicables à une « veilleuse de nuit » et obligation de payer les « veilles dormantes »

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 décembre 2014, R.G. 2013/AB/963

Mis en ligne le lundi 27 avril 2015


Cour du travail de Bruxelles, 18 décembre 2014, R.G. 2013/AB/963

TERRA LABORIS

Par arrêt du 18 décembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le non-paiement de la rémunération barémique due est constitutif d’une infraction et que le temps de travail devant être rémunéré est celui pendant lequel le travailleur est à disposition de l’employeur, ceci incluant les « veilles dormantes » pendant lesquelles il est susceptible de devoir répondre à des appels de résidents.

Les faits

Une employée de nuit dans une résidence pour personnes âgées est amenée à introduire une demande de régularisation de rémunération, d’une part, eu égard à l’échelle barémique retenue et, d’autre part, vu la prestation d’heures de « veille dormante ».

Elle décide de démissionner, deux ans plus tard, la demande n’ayant pas été satisfaite par la société.

Elle introduit une action en justice, peu avant le délai de 5 ans, après sa démission.

Elle demande le paiement de sommes au titre de réparation en nature du préjudice causé par le non-paiement de la rémunération correcte (avec pécules de vacances et prime de fin d’année), ainsi que pour les heures « dormantes ». Elle fait porter sa demande sur toute la période de l’occupation.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 8 avril 2013, le tribunal du travail y fait droit, jugement contre lequel la société interjette appel.

La décision de la cour

La cour est saisie, en premier lieu, d’une question de prescription, à laquelle elle réserve de longs développements.

En effet, pour ce qui est de la régularisation barémique (pour laquelle la période est légèrement raccourcie, eu égard à l’insuffisance constatée), elle constate qu’il ne s’agit pas d’une action contractuelle mais d’une action civile résultant d’une infraction. Pour la cour, le fait que la travailleuse demande le paiement des intérêts légaux ne modifie pas la nature de la demande.

Pour ce qui est du fondement de la demande, la cour reprend longuement les principes relatifs au délit de non-paiement de la rémunération, rappelant que l’élément matériel de l’infraction ainsi constituée (et étant actuellement sanctionnée par l’article 162 du Code pénal social) est le non-paiement de la rémunération à laquelle le travailleur a droit.

L’élément moral – second élément constitutif – fait défaut en cas de force majeure ou d’erreur invincible, ou encore s’il existe une autre cause de justification. La cour renvoie ici aux principes dégagés en jurisprudence et en doctrine sur l’élément moral dans les infractions.

Elle relève que les fonctions comprenaient des tâches d’assistance aux personnes âgées, en ce compris certains actes de soins. La fonction est dès lors essentiellement d’ordre intellectuel, comprenant des actes en vue de la préservation de l’autonomie des personnes âgées et du maintien de leur qualité de vie. La rémunération barémique réclamée est dès lors due. L’élément moral de l’infraction est également présent, l’« erreur » dans le chef de l’employeur ne pouvant cependant être retenue. Seule pourrait l’être l’erreur invincible, c’est-à-dire celle commise par une personne raisonnable et prudente.

Des montants étant dus, la cour rappelle, sur la question de la prescription, que l’infraction de non-paiement de la rémunération est commise de manière instantanée à la date ultime prévue pour le paiement et que le délai de prescription prend cours à cette date. Lorsqu’il y a exécution successive d’une même intention délictueuse, le délit est qualifié de « délit continué ». Une telle intention peut être admise, comme le souligne la cour (renvoyant ici à plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont Cass., 13 novembre 2007, R.G. n° P.07.1092.N) pour des infractions dont l’élément moral consiste à avoir sciemment contrevenu à une disposition légale pour autant qu’il y ait manifestation successive de la même intention.

Il y a dès lors infraction continuée pendant toute la période et cette prescription, de 5 ans, a pris cours au dernier paiement de rémunération insuffisante, soit à la fin du contrat de travail. L’intéressée ayant introduit son action en justice moins de 5 ans plus tard, l’action n’est pas prescrite.

En ce qui concerne les heures « dormantes », la cour constate qu’il s’agit de 3 heures supplémentaires effectuées chaque nuit et que celles-ci n’ont pas été payées. Le fondement légal est identique à celui ci-dessus, étant actuellement l’article 162 du Code pénal social.

La cour examine ensuite l’élément matériel de l’infraction, étant que le temps de travail, tel que défini à l’article 19, alinéa 2 de la loi du 16 mars 1971, est le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l’employeur, c’est-à-dire tant qu’il doit rester sur son lieu de travail et être prêt à répondre à tout moment à des demandes de prestations. Il s’agit d’une réglementation d’ordre public et, étant occupée comme garde de nuit, l’intéressée devait être disponible à tout moment. En sus, comme les heures prestées l’étaient au-delà des limites de la durée maximale du travail, il y a heures supplémentaires.

La cour rejette ici un argument avancé par la société, selon lequel il n’y aurait pas d’élément moral, puisqu’à l’époque, le temps de garde dormante n’était pas considéré comme du temps à rémunérer. La cour relève que tel n’est pas le cas et que, même si l’on est en présence d’une controverse juridique, la société a opté pour la position la plus défavorable à la travailleuse et qu’elle doit dès lors en supporter les risques. Il n’y a pas d’erreur invincible.

Les règles en matière de prescription sont identiques, et la cour accueille la demande sur ce deuxième poste.

Elle va également admettre qu’il y a infraction du fait du non-paiement des pécules de vacances et des primes de fin d’année sur les montants non payés, le fondement légal actuel étant toujours l’article 162 du Code pénal social.

Il est dès lors fait droit à la totalité de la demande, vu l’existence d’une infraction continuée, caractérisée par sa répétition année après année et par une unité d’intention.

S’agissant cependant d’une demande de réparation en nature d’un dommage subi du fait d’une infraction, la cour n’alloue cependant que les intérêts judiciaires, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2007 (S.05.0095.N), l’article 10 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération ne pouvant pas être appliquée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle très utilement des principes actuellement acquis, en matière de non-paiement de rémunération, constituant une infraction. Le non-paiement est considéré comme infraction instantanée et plusieurs faits délictueux résultant d’une unité d’intention délictueuse entraînant la qualification de délit continué.

L’intéressée ayant fondé sa demande sur l’existence d’un délit, elle était tenue de respecter un délai de 5 ans à dater du jour où la dernière infraction a été commise, ce qu’elle a fait en l’espèce.


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