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Charte de l’assuré social : conditions de l’absence d’effet rétroactif d’une décision de récupération d’indu

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 décembre 2014, R.G. 2013/AB/332

Mis en ligne le lundi 27 avril 2015


Cour du travail de Bruxelles, 10 décembre 2014, R.G. 2013/AB/332

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 décembre 2014, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que toute faute d’une institution de sécurité sociale ne peut entraîner l’application de l’article 17, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social : il faut que l’erreur imputable à l’institution de sécurité sociale soit à l’origine de la décision litigieuse.

Les faits

Une employée communale est en incapacité de travail à partir du mois d’août 2008. Elle remplit la feuille de renseignements indemnités usuelle.

Suite à la rupture du contrat de travail l’année suivante, une indemnité de rupture de 12 mois est versée, apparemment mensuellement.

L’organisme assureur en est informé ultérieurement, par le bon de cotisations. Il demande le remboursement des indemnités pour la période correspondante, considérant qu’il y a indu.

L’intéressée introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles, signalant qu’elle aurait informé sa mutuelle et qu’il lui aurait été signalé que ce paiement n’avait pas d’incidence sur la perception des indemnités d’incapacité de travail. Elle n’a cependant pas la preuve de son passage à la mutuelle.

Elle considère qu’il y a erreur dans le chef de la mutuelle, au sens de l’article 17, alinéa 2, de sorte que la révision ne peut avoir d’effet rétroactif.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 31 janvier 2013, le tribunal du travail la déboute de son recours, confirmant l’indu.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’intéressée demande la production des flux électroniques la concernant, qui permettraient d’établir la preuve de son passage à la mutuelle, passage susceptible d’apporter la preuve de ce qu’elle a informé celle-ci du paiement de l’indemnité de rupture. Elle demande, également, l’annulation de la décision de récupération d’indu, sollicitant l’application de l’article 17, alinéa 2 de la Charte de l’assuré social.

A titre subsidiaire, elle sollicite l’octroi de termes et délais.

Quant à l’organisme assureur, il demande la confirmation du jugement. Il fait valoir qu’il n’y a aucun début de preuve du passage de l’intéressée auprès de sa mutuelle, ni encore que, à supposer celui-ci établi, l’organisme assureur aurait été informé de la perception de l’indemnité. En ce qui concerne les flux électroniques, il fait valoir qu’il n’y a pas d’obligation d’en conserver une trace. Dès lors, les conditions de l’article 17, alinéa 2 de la Charte ne sont pas remplies.

La décision de la cour

La cour rappelle dans un premier temps l’interdiction de cumul, figurant à l’article 103, § 1er, 3° de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Sur le plan de la récupération, elle renvoie à l’article 164, qui impose à celui qui a reçu des prestations indues, et ce par erreur, d’en rembourser la valeur à l’organisme assureur.

Mais ce sont les conditions d’application de la Charte qui retiennent l’attention de la cour, puisqu’en vertu de l’article 17, alinéa 1er, lorsqu’il est constaté que la décision administrative est entachée d’une erreur de droit ou matérielle, une révision doit intervenir d’initiative, et celle-ci produira ses effets à la date où la décision initiale (rectifiée) aurait dû prendre effet. Cependant, en cas d’erreur due à l’institution de sécurité sociale, il n’y a pas d’effet rétroactif dès lors que le droit à la prestation serait inférieur à celui qui a été reconnu initialement (alinéa 2 du même article). La cour rappelle le principe : l’on ne récupère pas ce qui a précédemment été accordé erronément.

Toutefois, si l’assuré social savait ou devait savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à la prestation, il n’y a pas application de cette règle.

La cour rappelle dès lors à la fois la jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 23 avril 2011, R.G. 2010/AB/13), ainsi que la doctrine (H. MORMONT et J. MARTENS, Dix ans d’application de la Charte de l’assuré social, E.P.S., Kluwer, 2008, p. 61) sur la question : l’alinéa 2 ne vise pas toute faute mais uniquement la situation où une erreur imputable à l’institution est à l’origine de la décision devant être rectifiée.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate, en premier lieu, que la législation relative à la banque-carrefour de la sécurité sociale n’impose pas aux mutuelles de conserver de trace électronique de tout passage dans leurs bureaux, non plus que d’enregistrer le contenu du conseil qui pourrait avoir été donné à l’assuré social dans une telle hypothèse.

La demande de production est dès lors jugée sans utilité.

Sur les conditions d’application des principes de la Charte ci-dessus, la cour relève qu’elles ne sont pas remplies, l’intéressée ayant dû se douter que le cumul de l’indemnité de rupture (d’autant qu’elle a été payée au mois le mois pendant une période d’un an) avec les indemnités de mutuelle ont procuré des revenus beaucoup plus importants que lorsqu’elle travaillait.

L’intéressée aurait dès lors dû savoir, vu l’importance de l’indemnité perçue suite à la rupture du contrat de travail, qu’il y avait cumul prohibé.

Il n’y a, par conséquent, pas matière à écarter la demande de récupération d’indu sur pied de l’article 17, alinéa 2.

Enfin, la cour rejette la demande de termes et délais, l’intéressée étant admise à la procédure de règlement collectif de dettes.

Intérêt de la décision

Un premier intérêt de la décision est la confirmation des obligations des organismes assureurs dans le cadre de la loi du 15 janvier 1990 relative à la banque-carrefour de la sécurité sociale, l’article 9 de celle-ci disposant que les institutions sont tenues d’enregistrer dans leur banque de données sociales et de tenir à jour les données dont la conservation leur est confiée, ce qui ne vise pas l’obligation de conserver une trace électronique de toute visite d’un assuré.

Par ailleurs, sur le plan du cumul entre l’indemnité compensatoire de préavis et les indemnités d’incapacité de travail, il n’est pas inutile de renvoyer à un arrêt antérieur de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 1er octobre 2014, R.G. 2012/AB/1.223), précédemment commenté, qui a statué sur la règle de prescription en la matière, rappelant que, dans un arrêt du 26 juin 1995 (Cass., 26 juin 1995, n° S.95.0037.N), la Cour suprême a précisé que la prescription en la matière ne court que lorsque l’organisme assureur a droit à la récupération de la valeur des prestations indûment octroyées à charge de l’assurance indemnités. Tant que le travailleur n’a pas perçu l’indemnité compensatoire de préavis, il est autorisé à bénéficier des indemnités AMI. Il a cependant l’obligation de l’informer de toute procédure engagée en vue d’obtenir le paiement de celles-ci. Le délai de prescription du remboursement des indemnités indues ne peut dès lors courir qu’à partir du moment où l’indu existe, c’est-à-dire à partir du paiement de l’indemnité compensatoire de préavis.


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