Terralaboris asbl

Les allocations familiales versées à la mère doivent-elles être prises en considération comme ressources des ascendants pour l’octroi du R.I.S. ?

Commentaire de Cass., 19 janvier 2015, n° S.13.0084.F.

Mis en ligne le mardi 5 mai 2015


Cour de cassation, 19 janvier 2015, n° S.13.0084.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 janvier 2015, la Cour de cassation tranche une controverse : les allocations familiales perçues par une mère au profit de sa fille majeure, demanderesse du RIS, qui cohabite avec ses parents font partie des ressources de la mère qui peuvent être prises en considération.

Les faits de la cause

Mlle A. vit avec son père, sa mère, un frère et une sœur. Devenue majeure, elle sollicite le revenu d’intégration sociale (RIS) le 30 novembre 2011 tout en continuant à vivre avec ses parents.

Le C.P.A.S. de Verviers refuse son intervention. Il prend en considération pour motiver ce refus quatre fois le RIS pour les parents, le frère et la sœur de Mlle A. + les allocations familiales perçues par la mère au profit de Mlle A.

Mlle A. a contesté cette décision. Elle a été déboutée de son recours par le tribunal du travail de Verviers. Celui-ci a, dans le même jugement statué sur le recours de deux autres enfants de la même famille. Ces recours sont négligés dans le présent examen.

Mlle A. interjette appel de ce jugement.

La cinquième chambre de la cour du travail de Liège, dans son arrêt du 17 avril 2013 (R.G. n° 2012/AL/478 et 2012/AL/479), ne suit pas la thèse de Mlle A. qui était en substance que l’on ne pouvait motiver un refus par la circonstance que les ressources de la famille étaient suffisantes par rapport aux charges sans avoir pris en considération en ce qui la concerne toutes les charges.
La cour du travail de Liège y oppose que « l’article 3, 4°, de la loi du 26/05/2002 détermine une condition d’octroi du revenu d’intégration sociale qui est l’absence de ressources suffisantes, sans avoir égard si peut que ce soit aux charges que doit supporter le bénéficiaire ».

La cour du travail examine ensuite les ressources des personnes cohabitant avec Mlle A. dont il convient de tenir compte, étant constant que la demanderesse ne dispose pas de quelques ressources que ce soit.

Elle exclut tout d’abord la prise en considération des ressources perçues par des frère et sœur cohabitants, l’article 34 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 ne permettant pas au C.P.A.S. de prendre en compte lesdites ressources.

Elle examine ensuite la question de la prise en charge des ressources des parents. La Cour considère que cette prise en charge doit constituer la règle et non l’exception et qu’il n’existe pas dans le cas d’espèce de circonstance particulière justifiant ladite exception.

La cour du travail relève qu’en application de l’article 34, § 2, de l’arrêté royal du 11 juillet 2002, il convient pour chacun des ascendants majeurs du premier degré qui cohabitent avec Mlle A, soit son père et sa mère, de procéder à une attribution fictive d’un revenu d’intégration dans la catégorie des bénéficiaires cohabitants en procédant pour chacun de ceux-ci à une appréciation des ressources qui ne peut se faire que dans le respect des dispositions du titre V de l’arrêté royal du 11 juillet 2002.

Elle exclut d’emblée, pour la détermination des ressources des parents, les allocations familiales que ceux-ci perçoivent. Elle se fonde à cet égard sur l’article 22, § 1er, b) de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 aux termes duquel, pour le calcul des ressources, il n’est pas tenu compte des prestations familiales pour lesquelles l’intéressé a la qualité d’allocataire en faveur d’enfants en application de la législation sociale belge ou d’une législation sociale étrangère pour autant que l’intéressé les élève et en ait la charge totalement ou partiellement. La Cour relève que la mère de Mlle A. a la qualité d’allocataire des prestations familiales qu’elle perçoit pour ses enfants et que les père et mère de Mlle A. élèvent ceux-ci et les ont à leur charge. Elle décide également qu’aussi longtemps que Mlle A. vit chez ses parents et ne fait pas la demande d’un octroi desdites allocations à son profit personnel, les allocations familiales ne constituent pas non plus un revenu de cette dernière.

Il fixe en conséquence les ressources des parents cohabitants qui doivent être prises en compte pour apprécier le droit de Mlle A. au revenu d’intégration sociale à zéro.

La cour du travail examine ensuite si Mlle A. peut se prévaloir de raisons de santé ou d’équité l’empêchant d’être disposée à travailler au sens de l’article 3, 5°, de la loi du 26 mai 2002. Elle décide que rien n’établit que Mlle A. n’aurait pas les aptitudes nécessaires à réussir ses études secondaires dans l’enseignement professionnel et que lesdites études ont une utilité sociale.

Elle condamne en conséquence le C.P.A.S. à payer à Mlle A. le revenu d’intégration sociale au taux cohabitant.

Le C.P.A.S. s’est pourvu en cassation contre cet arrêt en ce qu’il a décidé que les allocations familiales perçues par la mère de Mlle A. en faveur de celle-ci ne constituaient des ressources ni dans le chef de Mlle A. ni dans le chef de sa mère.

La seconde branche du moyen, qui est accueillie par la Cour de cassation, critiquait la décision sous l’angle des ressources de la mère. Le C.P.A.S. faisait valoir en substance que, lorsqu’il a décidé de prendre en considération – à bon droit selon la décision attaquée – les ressources des parents cohabitants, lesdites ressources doivent être fixées conformément aux dispositions de l’article 16 de la loi du 26 mai 2002 et du chapitre V de l’arrêté royal du 11 juillet 2002. Le juge ne peut, dans cette prise en considération des ressources des cohabitants, exclure des ressources qui ne sont pas expressément exonérées par l’article 22, § 1er, de cet arrêté royal. Or, cet arrêté royal n’exclut pas les allocations familiales des ressources de la mère en sa qualité de cohabitante avec sa fille majeure vivant avec elle, cette mère n’étant pas « l’intéressée » au sens de l’article 22, § 1er, b) de l’arrêté royal.

La Cour de cassation rappelle les principes :

  • le montant du revenu d’intégration est, en vertu de l’article 14, § 2, de la loi du 26 mai 2002, diminué des ressources du demandeur du RIS, calculé conformément à l’article 16 de cette loi ;
  • suivant cet article 16, en règle, toutes les ressources sont prises en considération, le Roi pouvant néanmoins déterminer, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, les ressources dont il ne sera pas tenu compte, soit en totalité, soit partiellement ;
  • l’article 22, § 1er, alinéa 1er, b) de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 exclut du calcul des ressources les prestations familiales pour lesquelles l’intéressé a la qualité d’allocataire en faveur d’enfants pour autant qu’il les élève et en ait la charge totalement ou partiellement ;
  • lorsque, en vertu de l’article 34, § 2, de l’arrêté royal, les ressources des cohabitants sont prises en considération totalement, les allocations familiales doivent être intégrées dans ces ressources. En effet, l’exception prévue par l’article 22, § 1er, alinéa 1er, b) de l’arrêté royal « s’applique aux ressources du seul demandeur du revenu d’intégration et non à celles des ascendants avec lesquels il cohabite ».

L’arrêt attaqué viole en conséquence l’article 22, § 1er, b) de l’arrêté royal.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation tranche une question controversée.

La circulaire ministérielle du 6 septembre 2002 considère qu’il faut exonérer les allocations familiales versées au bénéfice du jeune majeur à ses parents avec lesquels il cohabite : "les prestations familiales servent pour le jeune mais ne lui sont pas attribuées directement : on ne peut pas en tenir compte pour le calcul des ressources :

  • ni pour ses parents,
  • ni pour lui puisqu’il ne les perçoit pas pour lui-même à son profit".
    (voy. F. Bouquelle, P. Lambillon et K. Stangherlin « L’absence de ressources et l’état de besoin », in Aide sociale – Intégration sociale, Le droit en pratique, Les conditions d’octroi des droits à l’aide sociale et à l’intégration sociale, n° 270 et suiv.).

L’enseignement de cet arrêt est que, dans le cas de figure d’un enfant majeur cohabitant avec ses parents, si le C.P.A.S. utilise la faculté qui lui est donnée par l’article 34, § 2, de la loi du 26 mai 2002 de prendre en considération totalement les ressources des ascendants majeurs du premier degré vivant avec le demandeur de RIS, le C.P.A.S. et le juge sont alors tenus de respecter le texte réglementaire relatif aux ressources dont il ne sera pas tenu compte et ne peuvent étendre les cas d’exonération au-delà du strict cadre réglementaire.


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