Terralaboris asbl

Quand y a-t-il cotisations sociales sur la mise à disposition de véhicule par l’employeur au travailleur ?

Commentaire de C. trav. Mons, 18 mars 2015, R.G. 2014/AM/141

Mis en ligne le lundi 22 juin 2015


Cour du travail de Mons, 18 mars 2015, R.G. 2014/AM/141

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 mars 2015, la Cour du travail de Mons rappelle une nouvelle fois les conditions strictes mises par la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés pour que soit renversée la présomption légale et revient également sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative à l’indemnité forfaitaire.

Les faits

Une société de construction se voit réclamer une régularisation des cotisations de solidarité (cotisations CO2) pour une période de sept trimestres, au motif du non-respect de l’article 38, § 3quater, 1° de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Elle a en effet mis à la disposition de ses travailleurs des véhicules et ce à des fins autres que strictement professionnelles. L’usage autorisé consiste dans les déplacements domicile-lieu de travail. Des majorations sont appliquées et un total de plus de 22.000 € de cotisations (à majorer des intérêts de retard) est en fin de compte réclamé par l’O.N.S.S. par sommation du 29 novembre 2011.

Par jugement du 19 janvier 2012, le Tribunal du travail de Mons prononce un jugement par défaut, faisant droit à la demande de l’Office. Opposition est formée, mais rejetée.

Appel est interjeté.

Les moyens des parties devant la cour

La société considère que la cotisation n’est due que si le travailleur fait un usage privé du véhicule mis à sa disposition par l’employeur. Or, en l’espèce, les véhicules ont été mis à la disposition des travailleurs à des fins strictement professionnelles, et ce en vue de permettre les déplacements entre les chantiers. Elle fait valoir par ailleurs qu’elle a payé les frais de déplacement domicile-lieu de travail en sus et apporte la preuve du paiement. Si une utilisation occasionnelle a été faite des véhicules pour les trajets domicile-lieu de travail, la présomption légale d’usage privé peut être renversée. Il s’agit de véhicules utilitaires (petites camionnettes), permettant le transport des travailleurs, de l’outillage et du matériel sur les chantiers.

Enfin, elle demande à la cour de retenir que l’indemnité forfaitaire est une sanction de nature pénale et que le juge peut dès lors en apprécier l’opportunité et la proportionnalité. Elle renvoie pour ce à la matière TVA, où la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt sur la question en date du 15 mai 2008 (C. const., 15 mai 2008, arrêt n° 79/2008).

Quant à l’O.N.S.S., il renvoie aux auditions et aux conclusions de l’Inspection sociale, dont il ressort que l’employeur a effectivement mis à la disposition des travailleurs (de manière directe ou indirecte) un véhicule également destiné à un usage autre que strictement professionnel. Il renvoie également à un autre arrêt de la Cour constitutionnelle, étant celui rendu le 8 mars 2012 (C. const., 8 mars 2012, arrêt n° 37/2012), qui a admis, dans le cadre d’un examen de légalité de l’article 38, § 3quater, 10°, alinéa 4, que le juge peut exercer un contrôle de légalité interne et externe sur la décision attaquée et, dès lors, apprécier le caractère proportionné de celle-ci, dans les mêmes limites que l’organisme percepteur des cotisations. Cet arrêt a été rendu à propos de l’indemnité forfaitaire et l’O.N.S.S. précise que la demande d’exonération ou de réduction de celle-ci ne pourra être introduite que lorsque les cotisations de sécurité sociale de solidarité auront été entièrement payées, la cour ne pouvant, à ce stade de la procédure, examiner cette demande.

L’O.N.S.S. fait encore valoir que la société reste par ailleurs redevable d’autres cotisations de sécurité sociale.

La décision de la cour

La cour rappelle les principes qui ont guidé le législateur en ce qui concerne la présomption contenue à l’article 38, § 3quater, 1°, alinéa 2 de la loi du 29 juin 1981, étant que la cotisation de solidarité est due pour tout véhicule mis à disposition d’un travailleur et destiné à un usage non strictement professionnel, ceci signifiant que l’usage même partiellement privé est visé. Pour la cour, il y a pour l’employeur deux manières de renverser la présomption, étant d’établir (i) que l’usage privé est exclusivement le fait d’une personne non assujettie à la sécurité sociale des travailleurs salariés ou (ii) que l’usage du véhicule est strictement professionnel.

Elle rappelle – et souligne – que le trajet entre le domicile et le lieu du travail, s’il est parcouru individuellement, est considéré comme un usage non strictement professionnel. Il en va de même de l’usage privé ou du transport collectif des travailleurs. L’employeur est tenu de contrôler effectivement l’interdiction de faire un usage privé de la mise à disposition du véhicule en cause et il doit prouver l’existence de sanctions efficaces en cas d’infraction. Est ainsi significative l’obligation faite au travailleur de remettre le véhicule en cas d’absence prolongée.

En l’espèce, la cour examine longuement le contenu des auditions et relève, concernant le remboursement des déplacements lieu de travail-domicile, que ceux-ci sont prévus par la commission paritaire de la construction, des conventions collectives ayant fixé les contours de cette obligation. Ceci n’est pas suffisant pour démontrer que les véhicules n’auraient pas été utilisés pour les trajets en cause. De même, la preuve que les travailleurs seraient des itinérants n’est pas apportée.

La cour en conclut que la présomption légale n’est pas renversée et que le jugement doit être confirmé sur ce point.

Quant à l’indemnité forfaitaire, elle expose longuement les principes applicables et relève que la Cour constitutionnelle a été interrogée à deux reprises sur cette question.

Dans un arrêt du 8 mars 2012 (cité), répondant à la question posée par le Tribunal du travail de Gand, elle a relevé que la disposition ne violait pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés ou non avec l’article 6 C.E.D.H. et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Reprenant des extraits de l’arrêt, elle souligne que le juge doit pouvoir exercer un contrôle de légalité interne et externe sur la décision, mais qu’il ne peut se substituer à l’organisme percepteur. En réduisant l’indemnité dans la mesure où elle est contraire au principe de proportionnalité, le juge ne porte pas atteinte aux principes qui régissent les rapports entre les administrations et les juridictions.

Dans un second arrêt du 17 juillet 2014, interrogée par la Cour du travail de Bruxelles, la Cour constitutionnelle a admis la nature pénale de la disposition, au sens de l’article 6 C.E.D.H. Elle a toutefois relevé l’impossibilité de bénéficier du sursis, lequel ne peut être ordonné que par une juridiction pénale. La discrimination entre l’employeur poursuivi pénalement et celui qui introduit un recours devant le tribunal du travail ne provient, pour la Cour constitutionnelle, d’aucune des dispositions en cause, mais de l’absence d’une disposition législative permettant aux employeurs condamnés au paiement de l’indemnité forfaitaire de bénéficier d’une telle mesure.

Lorsque la loi du 29 juin 1964 n’est pas applicable, il n’appartient qu’au législateur de déterminer en la matière les conditions auxquelles un sursis peut être ordonné et d’en fixer les conditions et la procédure de retrait. En ce qui concerne la suspension du prononcé de la condamnation, la Cour a considéré dans ce second arrêt que celle-ci n’est pas conciliable avec une procédure qui ne se déroule pas devant une juridiction pénale, le rôle du tribunal du travail n’étant pas de prononcer une condamnation à une sanction, mais de contrôler la décision administrative qui l’inflige. L’article 38, § 3quater, 10°, alinéa 4 n’a pas été jugé, en conclusion, incompatible avec les dispositions visées.

La cour du travail tire de l’enseignement de la Cour constitutionnelle les conclusions suivantes :

  • Il y a lacune du législateur, lacune que seul ce dernier peut corriger, le juge devant contrôler la décision administrative et non prononcer une condamnation.
  • En ce qui concerne l’étendue du contrôle judiciaire, celle-ci est déterminée par la nature du pouvoir de l’administration. Seul l’O.N.S.S. pourra accorder l’exonération ou la réduction de l’indemnité forfaitaire, pour autant que l’employeur ait introduit pareille demande et établisse se trouver dans les situations précises visées par l’article 55 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 : il s’agit d’une compétence discrétionnaire, exercée par le comité de gestion de l’O.N.S.S. La décision de ce comité sera soumise au contrôle de pleine juridiction des cours et tribunaux et ceux-ci pourront contrôler tant la légalité interne qu’externe de la décision et apprécier le caractère proportionné de celle-ci dans les mêmes limites que celles dévolues à l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons vient rappeler une nouvelle fois les conditions à l’exonération de la cotisation de solidarité en cas de mise à disposition des travailleurs de véhicules. L’on ne peut suffisamment insister sur l’exigence du caractère strictement professionnel de l’usage qui peut être fait de ceux-ci. La cour du travail rappelle très justement que la présomption peut être renversée par l’employeur, mais que ces conditions sont strictes.

L’arrêt est également l’occasion de revenir sur les deux décisions de la Cour constitutionnelle sur la question. La Cour du travail de Mons fait une stricte application de l’arrêt du 17 juillet 2014, qui a délimité l’étendue du contrôle judiciaire pour ce qui est de l’indemnité forfaitaire.


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