Terralaboris asbl

Dispense de prestation du préavis et date de fin du contrat de travail

Commentaire de Cass., 19 janvier 2015, n° S.12.0140.F

Mis en ligne le lundi 13 juillet 2015


Cour de cassation, 19 janvier 2015, n° S.12.0140.F

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 19 janvier 2015, la Cour de cassation rappelle qu’en cas de modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat de travail, la cessation du contrat n’est pas automatique, mais qu’elle dépend de l’attitude adoptée par le travailleur.

Rétroactes

La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu le 3 janvier 2012 par la Cour du travail de Bruxelles, arrêt suite auquel un second, en date du 26 juin 2012, a été également prononcé.

Dans cet arrêt, la cour du travail a jugé prescrite une action en justice formée le 27 avril 1995, suite à une rupture du 26 octobre 1992, rupture intervenue moyennant préavis de 18 mois à prester à dater du 1er novembre 1992. Suite à la rupture, le demandeur avait été dispensé de toute prestation dès le même 26 octobre 1992. Ultérieurement, une convention (ainsi qu’une convention additionnelle) fut signée le 9 février 1993, par laquelle un capital de pension serait payé dans le mois du départ en pension ou en prépension, les parties renonçant à toute action née ou à naître du contrat de travail moyennant ce paiement.

Pour la cour du travail, le premier acte interruptif de prescription était la citation du 27 avril 1995, date à laquelle la cessation du contrat de travail était intervenue depuis plus d‘un an. Le tribunal du travail avait, quant à lui, considéré que la cessation du contrat de travail pouvait être située à l’expiration du délai de préavis de 18 mois, soit le 1er mai 1994.

Le pourvoi

En ses 2e et 3e branches, le pourvoi fait valoir qu’en cas de congé moyennant préavis, la cessation du contrat correspond à l’expiration du délai de préavis, et ce même si les parties sont convenues d’une dispense de prestations ou l’ont acceptée, et ce aussi longtemps que la rémunération mensuelle convenue continue à être versée. Lorsque, comme en l’espèce, il y a eu dispense unilatérale de prestations par l’employeur et que l’accès au lieu de travail a été refusé, le travailleur est en droit de donner acte de la rupture immédiate, et ce eu égard à la théorie de l’acte équipollent à rupture. Ceci n’est cependant qu’une faculté et, s’il ne le fait pas, le contrat se poursuit jusqu’à la fin du délai de préavis notifié par l’employeur. En l’espèce, il n’est pas démontré que le travailleur avait constaté l’acte équipollent à rupture, ni que l’employeur avait cessé de payer la rémunération mensuelle convenue.

Dans sa 3e branche, le pourvoi fait valoir que la renonciation contenue dans la convention ultérieurement signée, en date du 9 février 1993, à toute action née ou à naître du contrat de travail, est valable. Cependant, selon le pourvoi, la cour aurait dû constater que la condition du paiement du capital de pension était remplie, ce qui n’a pas été fait. Il y a ainsi violation du principe général de droit, suivant lequel la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d’une autre interprétation.

La décision de la Cour

La Cour accueille les deux branches du moyen.

Sur la 2e branche, reprenant l’articulation entre les articles 15, alinéa 1er et 37, § 1er, alinéa 1er LCT, la Cour de cassation rappelle que le contrat de travail se poursuit après la notification du congé durant le préavis et ne cesse qu’à l’expiration de celui-ci. La dispense de prestations décidée unilatéralement par l’employeur peut constituer un acte équipollent à rupture (étant une modification unilatérale et importante d’une condition essentielle du contrat de travail). Dans une telle hypothèse, la cessation du contrat va dépendre de l’attitude adoptée ultérieurement par le travailleur, étant que celui-ci peut (i) notifier à l’employeur qu’il considère que le contrat est rompu (celui-ci prenant fin à la notification), (ii) poursuivre provisoirement l’exécution aux nouvelles conditions et adresser à l’employeur, dans un délai raisonnable, une mise en demeure de restaurer les conditions convenues dans un délai déterminé, ou encore (iii) renoncer à invoquer la rupture du contrat, auquel cas celui-ci se poursuit jusqu’à ce qu’il cesse autrement.

La demande ne pouvait dès lors être considérée comme prescrite, au motif que la cessation du contrat s’était produite le 26 octobre 1992.

Par ailleurs, quant à la 3e branche, relative à la renonciation, la Cour de cassation retient que, les parties ne s’étant pas expliquées sur l’exécution de la convention, la cour du travail a ordonné la réouverture des débats à ce propos. Elle ne pouvait cependant rejeter la demande au motif qu’elle heurtait la clause de renonciation valablement souscrite sans avoir constaté le paiement, celui-ci étant contesté. Il y a dès lors violation du principe général de droit précité.

Le premier des deux arrêts est dès lors cassé et, en conséquence, l’arrêt du 26 juin 2012, qui en est la suite, est annulé.

La cause est renvoyée devant la Cour du travail de Liège.

Intérêt de la décision

La cour de cassation reprend de manière très explicite les diverses hypothèses de rupture lorsque le contrat de travail se poursuit après la notification du congé et qu’il y a une modification unilatérale et importante d’une condition essentielle de celui-ci.

Elle rappelle, tout d’abord, que peut constituer un tel acte équipollent à rupture la dispense d’effectuer les prestations de travail lorsqu’elle est décidée unilatéralement par l’employeur. Dans ce cas, il n’y a pas nécessairement rupture du fait d’une telle modification, la Cour soulignant que la cessation du contrat dépendra de l’attitude adoptée ultérieurement par le travailleur. Celui-ci peut, en effet, accepter ou non la modification ainsi intervenue et, en conséquence, se positionner négativement ou positivement sur l’existence d’un acte équipollent à rupture.

Si le travailleur accepte la situation, il peut, comme le rappelle la Cour de cassation, renoncer à invoquer la rupture du contrat, auquel cas celui-ci se poursuit jusqu’à ce qu’il cesse autrement.

Si le travailleur refuse la modification ainsi imposée, il peut constater l’acte équipollent à rupture, étant qu’il s’agit de notifier à l’employeur qu’il considère que le contrat est rompu du fait de la modification, auquel cas le contrat prend fin au moment de la notification par le travailleur. Tout en contestant la modification ainsi intervenue, le travailleur peut poursuivre provisoirement l’exécution du contrat aux nouvelles conditions et, dans le même temps (soit dans un délai raisonnable, comme le précise la Cour), il peut mettre l’employeur en demeure de restaurer les conditions initiales, en fixant un délai déterminé, signalant qu’à défaut, le contrat de travail sera considéré comme résilié : dans cette hypothèse, la Cour de cassation précise que la rupture intervient à l’expiration du délai imparti si l’employeur maintient la modification unilatérale.

Il résulte de l’ensemble de ces hypothèses qu’il appartient au travailleur de réagir lors de la modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat de travail s’il entend contester celle-ci. La Cour de cassation précise que cette réaction doit intervenir « dans un délai raisonnable » si le travailleur opte par prudence pour la poursuite provisoire de l’exécution du contrat aux nouvelles conditions, tout en mettant l’employeur en demeure de revenir aux conditions contractuelles dans un délai déterminé. Cette hypothèse est dès lors une mise en demeure « à double détente », étant que la demande de respect des obligations contractuelles doit être satisfaite à une date déterminée et qu’à défaut pour l’employeur de ce faire à ladite date, il y a rupture du contrat. La Cour souligne cependant que le travailleur peut réagir immédiatement, considérant que le contrat de travail est rompu dès l’annonce de la modification contractuelle. L’on ne peut cependant trop insister sur le risque que peut comporter la constatation immédiate de la rupture, étant que ceci suppose que l’ensemble des conditions de l’acte équipollent à rupture soient à ce moment remplies.


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