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Une retenue d’ordre fiscal peut-elle tomber dans le champ d’application des règlements européens ?

Commentaire de C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. C-623/13 (DE RUYTER)

Mis en ligne le lundi 13 juillet 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 26 février 2015, Affaire C-623/13 (DE RUYTER)

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 26 février 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle la portée de l’article 4 du Règlement européen n° 1408/71 du Conseil en ce qu’il en définit le champ d’application matériel en son point 1 comme couvrant toutes les législations relatives aux branches de la sécurité sociale énumérées, et ce dans l’hypothèse où le droit national considère qu’il s’agit, au contraire, de mesures à caractère fiscal.

Les faits

Un ressortissant néerlandais est domicilié en France et travaille pour une société néerlandaise. Il déclare à l’administration fiscale française des revenus de source néerlandaise (salaires, capitaux mobiliers, bénéfices et rentes viagères à titre onéreux).

Un litige survient avec l’administration fiscale française, qui considère les rentes viagères comme des revenus du patrimoine. Leur sont ainsi appliquées la CSG (contribution sociale généralisée) et la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale). L’intéressé conteste, considérant que l’obligation qui lui est faite de cotiser à deux régimes distincts de sécurité sociale est contraire au principe de l’unicité de la législation applicable (article 13 du Règlement n° 1408/71), les revenus en cause ayant déjà fait l’objet de prélèvements de même nature aux Pays-Bas.

La Cour administrative d’appel de Marseille rend deux arrêts, par lesquels elle considère que ces cotisations sont contraires au principe de libre circulation des travailleurs. Un pourvoi en cassation est introduit devant le Conseil d’Etat français par l’Autorité publique. Par arrêt du 17 juillet 2013, le Conseil d’Etat considère que l’imposition aux Pays-Bas et en France ne suffit pas à constituer une atteinte à la libre circulation des travailleurs, dès lors que le Traité CE (applicable à l’espèce) ne prescrivait pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les Etats membres en cas de double imposition à l’intérieur de l’Union européenne.

Il a cependant décidé d’interroger la Cour de Justice sur la portée de l’article 13 du Règlement n° 1408/71, afin de pouvoir déterminer si les prélèvements présentaient un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 de celui-ci et s’ils entrent dès lors bien dans son champ d’application. Il a en effet relevé que les prélèvements en cause participent au financement des régimes obligatoires français de sécurité sociale. Par ailleurs, ils ne frappent pas des revenus d’activité et de remplacement mais sont assis uniquement sur les revenus du patrimoine, indépendamment de l’exercice d’une activité professionnelle. Enfin, ils n’ont aucun lien avec l’ouverture d’un droit à une prestation de sécurité sociale et ils ont dès lors le caractère d’imposition et non de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions nationales.

La question préjudicielle

La question posée est de savoir si des revenus du patrimoine participant au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale présentent un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du Règlement 1408/71 et relèvent dès lors de son champ d’application, alors qu’ils sont assis sur les revenus du patrimoine indépendamment de l’exercice d’une activité professionnelle par les personnes assujetties.

Reprenant divers arrêts rendus sur les critères de lien direct et suffisamment pertinent que doit présenter la disposition nationale avec les lois régissant les branches de sécurité sociale au sens de l’article 4, la Cour rappelle qu’un prélèvement peut être qualifié d’impôt par une législation nationale, mais que ceci n’exclut nullement qu’il puisse être regardé comme relevant du champ d’application du règlement européen.

Est ainsi sans importance l’existence ou l’absence de contrepartie en termes de prestations, le critère déterminant étant celui de l’affectation spécifique au financement d’un régime de sécurité sociale de l’Etat membre.

La Cour rappelle qu’il a été jugé, concernant la France également, que les prélèvements fiscaux effectués sur des revenus d’activité et de remplacement perçus par des travailleurs résidant en France et relevant sur le plan fiscal de cet Etat tout en travaillant dans un autre Etat membre devaient être considérés comme présentant un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de sécurité sociale visées à l’article 4 du Règlement, dans la mesure où ils étaient affectés spécifiquement et directement au financement de la sécurité sociale française.

La Cour considère qu’il y a lieu de retenir la même conclusion pour les prélèvements qui ne frappent pas des revenus d’activité et de remplacement, mais qui sont assis sur des revenus du patrimoine, et ce dès lors que leur produit est affecté directement et spécifiquement au financement de certaines branches de la sécurité sociale française. Il y a en effet un lien direct et suffisamment pertinent avec celles-ci.

La Cour rappelle encore avec l’Avocat général que l’application des dispositions du Règlement n’est pas subordonnée à l’exercice d’une activité professionnelle et que la référence à une relation de travail est dépourvue de pertinence. L’application du Règlement ne peut dès lors être limitée aux revenus que les personnes tirent de celle-ci.

En l’espèce, l’intéressé ne peut en conséquence être soumis par l’Etat membre de résidence à des dispositions légales instaurant des prélèvements qui présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois régissant la sécurité sociale au sens de l’article 4.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice, visant une hypothèse française, contient un enseignement beaucoup plus général, étant le rapport entre la nature fiscale d’une retenue et les règlements européens de coordination.

Il s’agit en effet ici de déterminer ce que représente une telle mesure fiscale, par rapport aux régimes de la sécurité sociale. La règle est que, si la France, en l’occurrence, considère qu’il s’agit d’une question fiscale sur le plan interne, c’est une question de droit national, mais ceci n’a pas d’incidence sur l’application des règlements de sécurité sociale, ces prélèvements pouvant très bien avoir la nature de cotisations. Le critère est dès lors de déterminer si existe un lien pertinent avec les branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du Règlement 1408/71.

L’on peut, sur la question, encore renvoyer à l’arrêt DEROUIN concernant également la contribution sociale généralisée (arrêt du 3 avril 2008, C-103/06). Cet arrêt a été rendu dans une hypothèse où existait une convention fiscale entre deux Etats membres : si l’assiette des cotisations relève de la compétence des Etats, la Cour de Justice a rappelé ici également que ceci n’a pas d’incidence sur l’application des règlements européens.


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