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Licenciement et discrimination sur le handicap : un cas d’application de la jurisprudence RING

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 6 mai 2015, R.G. 13/6.128/A

Mis en ligne le vendredi 17 juillet 2015


Tribunal du travail de Bruxelles, 6 mai 2015, R.G. 13/6.128/A

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 6 mai 2015, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles examine la régularité d’un licenciement dans le double cadre de la loi anti-discrimination et de l’A.R. du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs.

Les faits

Un ouvrier de la construction est victime d’un accident du travail reconnu. Lorsqu’il reprend le travail – son médecin traitant ayant établi un certificat de reprise pour travail allégé –, le conseiller en prévention-médecin du travail remplit la fiche d’évaluation de santé concluant que l’intéressé a les aptitudes suffisantes mais que le travail à lui confier doit être adapté, étant sans port de charges. L’employeur inscrit, dès lors, le travailleur à une formation de conduite de grue, dont l’intéressé suit le premier module. Il reste au chômage économique pendant quatre mois et suit alors une formation de sécurité de base, qu’il réussit. Après la reprise du travail, des contacts ont lieu en vue de la poursuite de la formation commencée quelques mois précédemment. Très rapidement cependant, l’intéressé est victime d’un second accident du travail, étant qu’il fait une chute d’une échelle, accident également reconnu.

Le travailleur subit alors une opération orthopédique au coude. Six mois plus tard, son orthopédiste confirme la possibilité de reprendre le travail mais sans travaux lourds, de même que l’aptitude à suivre le deuxième module de la formation entreprise.

Il est convoqué à un examen médical de reprise, dont les conclusions sont qu’il est définitivement inapte. Un recours est introduit contre cette décision. Deux jours plus tard, l’employeur notifie la rupture du contrat du chef de force majeure, sans préavis ni indemnité.

Dans le cadre de la procédure de recours, les conclusions du conseiller en prévention-médecin du travail sont modifiées, étant qu’au lieu d’inaptitude définitive au poste, est décidée une mutation définitive dans un poste de travail ne présentant pas de manutention manuelle de charges régulières ni de travail de force des bras.

Des discussions interviennent alors aux fins de faire revenir l’employeur sur sa décision de force majeure médicale. Une procédure est, finalement, introduite, le travailleur considérant que lui est due une indemnité compensatoire de préavis et que, le licenciement étant lié au handicap qu’il présentait suite aux deux accidents du travail, il y a licenciement discriminatoire ou à tout le moins fautif, la possibilité d’aménagement raisonnable n’ayant pas été examinée.

Décision du tribunal

Le tribunal rend un jugement très long et particulièrement motivé sur les questions juridiques lui soumises.

Il s’agit dans un premier temps d’examiner les principes de la force majeure médicale et leur application en droit du travail, la question devant être étudiée tenant compte de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs.

Le tribunal reprend longuement les procédures prévues à celui-ci et particulièrement lorsqu’il y reprise du travail après une incapacité. Il rappelle également les conditions de validité des décisions de mutation ou d’inaptitude définitive. Même si le travailleur a été déclaré définitivement inapte, l’employeur ne peut pas immédiatement constater la force majeure mais est tenu à des obligations de reclassement décrites de manière précise dans le texte réglementaire. Le tribunal renvoie à diverses décisions de la Cour du travail de Bruxelles qui ont rappelé que l’employeur doit prouver qu’aucun emploi alternatif n’a pu être trouvé.

En outre, si le conseiller en prévention-médecin du travail n’a pas procédé aux mesures préalables prévues à l’article 55 de l’arrêté royal, étant qu’il n’a pas vérifié les alternatives pouvant être envisagées, la procédure est viciée et sa décision n’est pas valable. Elle ne peut dès lors fonder le constat de force majeure médicale.

Examinant s’il y a eu respect de l’ensemble de ces dispositions, le tribunal conclut que la décision de rupture est irrégulière, la société ayant constaté la prétendue existence d’une force majeure de manière prématurée.

En ce qui concerne l’indemnisation du travailleur licencié, le tribunal fait droit à la fois à l’indemnité compensatoire de préavis et à une demande de dommages et intérêts introduite pour quelques jours précédant le constat de rupture, pour lequel l’employeur avait mis le travailleur « en congé ».

Sur la question de la discrimination, le tribunal procède à une analyse fouillée de la législation et des principes dégagés en jurisprudence. Le principe de l’interdiction de discrimination s’applique à l’ensemble de la relation de travail, depuis le recrutement jusqu’à la rupture et à ses conséquences. L’égalité au travail est en effet organisée non seulement par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination mais également par la CCT n° 95 concernant l’égalité de traitement durant toutes les phases de la relation de travail. Le tribunal renvoie encore à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 30 garantit une protection contre tout licenciement injustifié. Si un travailleur estime qu’il est victime d’une discrimination, il doit invoquer des comportements ou des faits concrets et clairement définis, émanant de personnes identifiables, dont il est possible d’inférer qu’il y a eu discrimination.

En ce qui concerne le handicap, le tribunal du travail renvoie à un important arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 9 janvier 2013 (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. n° 2011/AB/668), qui a fait une application très concrète de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (Arrêt Chacon Navas du 11 juillet 2006, Aff. C-13/05 et Arrêt Ring du 11 avril 2013, Aff. C-335/11), sur la notion de handicap, défini comme une limitation résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne à la vie professionnelle.

Le tribunal donne ensuite une série d’exemples en jurisprudence ayant conclu qu’il y avait handicap et nécessité de mise en place d’aménagements raisonnables.

En l’espèce, tel était le cas : il y avait handicap au sens de la loi anti-discrimination. Des aménagements raisonnables ont été demandés, étant des demandes de travail adapté et le tribunal rappelle d’ailleurs que l’employeur avait permis au travailleur de suivre le premier de deux modules de formation. La survenance du second accident du travail a eu pour conséquence que le travailleur continuait à présenter un tel handicap et que, malgré ceci, il y a eu refus d’aménagement raisonnable et rupture du contrat.

Le tribunal examine encore si l’employeur établit des exigences professionnelles essentielles et déterminantes à la base de sa position, étant le non reclassement et le licenciement. Cette preuve n’est pas apportée.

En conséquence, l’indemnité forfaitaire de six mois de rémunération est due.

Intérêt de la décision

Ce jugement – non définitif – fait le lien entre les mesures fixées par l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs et la législation anti-discrimination.

Le cas est en effet exemplaire et limpide. Dans un premier temps, d’ailleurs, l’employeur avait entrepris de respecter ses obligations légales puisqu’il avait tout mis en œuvre en vue d’assurer une formation compatible avec les possibilités du travailleur. Les raisons de son revirement ne ressortent pas de la décision judiciaire, celui-ci se retranchant derrière les conclusions du conseiller en prévention-médecin du travail.

Cette affaire est également l’occasion de rappeler un point sur lequel le tribunal a insisté, étant que l’employeur ne peut conclure à la force majeure s’il apparait que le conseiller en prévention-médecin du travail n’a pas respecté l’article 55 de l’arrêté royal, qui impose avant de prendre une décision d’inaptitude, que le médecin du travail s’informe quant à la situation sociale du travailleur, renouvelle l’analyse de risques et qu’il examine sur place les mesures et les aménagements susceptibles de maintenir celui-ci à son poste de travail ou à son activité tenant compte de ses possibilités.

Une décision de rupture ne peut dès lors valablement être prise si la procédure d’évaluation de la santé est viciée, étant que le conseiller ne prévention-médecin du travail n’a pas effectué correctement les contrôles qui sont exigés de lui.


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