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La garde inactive au domicile est-elle du temps de travail ?

Commentaire de Cass., 18 mai 2015, n° S.13.0024.F

Mis en ligne le vendredi 21 août 2015


Cour de cassation, 18 mai 2015, R.G. n° S.13.0024.F

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 18 mai 2015, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège, sect. Namur, du 2 octobre 2012, qui avait considéré que l’obligation pour des pompiers d’assurer une garde à domicile était uniquement de pouvoir être joints dans un délai très court et ne constituait dès lors pas du temps de travail.

Rétroactes

La Cour du travail de Liège, sect. Namur, avait repris les principes de la Directive 2003/88 relatifs à l’aménagement du temps de travail, rappelant qu’elle établit des prescriptions minimales en matière de temps de travail mais qu’elle ne traite pas du mode de rémunération des heures considérées comme telles.

Un arrêt SIMAP du 3 octobre 2000 (C.J.U.E., 3 octobre 2000, SIMAP, Aff. C-303/98), avait examiné le cas des médecins salariés, considérant qu’une distinction devait être faite selon que le médecin prestait un service de garde avec présence physique (ce qui était du temps de travail), ou qu’il assurait un service de garde en restant accessible en permanence, seule dans ce cas la prestation effective de service étant du temps de travail.

Vint ensuite l’arrêt JAEGER (C.J.U.E., 9 septembre 2003, JAEGER, Aff. C-151/02), qui statua sur les gardes dites dormantes sur le lieu du travail. Pour la Cour de Justice, les périodes d’inactivité du travailleur dans le cadre d’un tel service de garde ne peuvent être considérées comme temps de repos.

La distinction était dès lors faite entre un service de garde à domicile, pour lequel le temps de travail ne pouvait être comptabilisé comme tel que jusqu’à concurrence des prestations effectives, et le service de garde sur les lieux du travail.

Deux arrêts furent encore rendus (C.J.U.E., 1er décembre 2005, DELLAS, Aff. C-14/04 et CJUE 11 janvier 2007, VOREL, Aff. C-437/05), qui affinèrent les principes en ce qui concerne la rémunération des heures de garde. Pour la Cour de justice, il faut faire une distinction entre la réglementation sur le temps de travail, qui est l’objet de la directive, et la rémunération afférente aux prestations (effectives ou non) relatives au temps de garde.

Le principe rappelé par la cour du travail est donc que le temps de garde est intégralement du temps de travail si celle-ci est effectuée sur le lieu du travail. Tout ce temps ne doit cependant pas nécessairement être rétribué comme du temps de travail effectif, question qui doit être réglée par la législation nationale.

En l’espèce, la cour du travail a constaté que le litige ne concernait pas la rétribution des gardes effectuées dans la caserne mais l’inclusion dans le temps de travail des heures de garde à domicile, constatant que les premières avaient été rémunérées comme du temps de travail ordinaire ainsi d’ailleurs que celles relatives au temps consacré à des interventions effectives pendant les gardes à domicile.

Pour ce qui était des heures de garde inactives, la cour a déploré que la question ne soit pas réglée par un texte, relevant qu’il serait logique de rétribuer d’une manière ou d’une autre ce temps qui n’est ni du temps de travail ni du temps libre. Il en découle cependant que la Ville ne pouvait être obligée de les rétribuer et encore moins comme des heures prestées en caserne.

Le pourvoi

Le pourvoi relève que les activités exercées par les forces d’intervention d’un service public de sapeurs-pompiers relèvent normalement du champ d’application de la directive et que celle-ci s’oppose au dépassement du plafond de 48 heures prévu pour la durée maximale hebdomadaire du temps de travail en ce compris les services de garde. La directive retient d’une part la notion de temps de travail et d’autre part, par opposition, celle de période de repos. Pendant la première, le travailleur est à la disposition de l’employeur et pendant la seconde, il ne l’est pas. L’intensité du travail effectivement fourni est indifférente, dès lors qu’il est à la disposition de son employeur.

Tout en retenant que la directive ne trouve pas à s’appliquer à la rémunération des travailleurs, il souligne que celle-ci a cependant pour objet de fixer les prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail afin notamment d’assurer une meilleure protection de la sécurité et de la santé et de faire bénéficier les travailleurs de périodes minimales de repos, d’où l’exigence du plafond de 48 heures en tant que durée moyenne de la semaine de travail. Il souligne également que si le travailleur est de garde, fut-ce à domicile, il est tenu d’obtempérer immédiatement à toute réquisition de l’employeur. Reprenant la réglementation applicable, il relève que les sapeurs-pompiers doivent répondre immédiatement à toute intervention (dans le quart d’heure), ce qui interdit à ceux-ci de jouir d’une quelconque liberté pendant les périodes d’inactivité, au même titre que lorsqu’ils se trouvent à la caserne. Il conclut que la cour du travail n’a pas pu retenir que les sapeurs-pompiers se trouvent dès lors dans une situation intermédiaire entre le travail et le repos.

Décision de la Cour de cassation

La Cour reprend en premier lieu la définition de la durée du travail, dans la loi du 14 décembre 2000, fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dans le secteur public : c’est le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l’employeur. Il s’agit d’une transposition de la directive européenne. La directive actuelle (ainsi que celle qu’elle a remplacée, étant la Directive 93/104) définit le temps de travail comme toute période pendant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations ou pratiques nationales. La Cour relève encore que dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, seul le temps lié à la prestation effective de travail assuré en cas d’appel doit être considéré comme temps de travail et que la loi du 14 décembre 2000 doit s’interpréter en fonction de cette jurisprudence. La Cour rejette dès lors le moyen, considérant que la cour du travail a à juste titre admis que l’obligation des pompiers pendant la garde à domicile porte uniquement sur le fait de pouvoir être joints et de se tenir prêts à se présenter à la caserne dans un délai très court.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation a déjà statué sur la question des gardes. L’on peut rappeler un arrêt du 10 mars 2014 (S.13.0029.N) rendu en matière de personnel hospitalier, dans lequel elle a jugé que le service de garde durant lequel le travailleur doit être joignable en permanence afin de pouvoir répondre à tout appel de son employeur, mais sans toutefois devoir être présent physiquement sur le lieu de travail, ne constitue pas une durée de travail au sens de l’article 19 de la loi du 16 mars 1971. Que la liberté de mouvement du travailleur en service de garde soit limitée en raison du fait qu’il est tenu de demeurer dans un périmètre déterminé autour du lieu de travail pour pouvoir rejoindre celui-ci dans un délai déterminé est sans incidence.

De même dans un précédent du 6 juin 2011 (S.10.0070.F), rendu à propos d’un technicien placé en « stand-by » et devant intervenir dans un délai de deux heures eu égard au contrat de maintenance liant son employeur, elle a rappelé la définition du temps de travail donnée à l’article 19, alinéa 2 de la loi du 16 avril 1971 et a conclu qu’il ne résulte ni de cette disposition ni d’aucune autre que la rémunération d’heures de garde inactives au cours desquelles le travailleur a l’obligation de répondre aux appels éventuels de l’employeur sans devoir ni se trouver en un lieu précis ni accomplir effectivement ses tâches habituelles de travail doit être équivalente à celle des heures de travail effectives.


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