Terralaboris asbl

Un mandataire de société résidant en Allemagne et travaillant également en Belgique est-il assujetti au statut social ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 février 2015, R.G. 2013/AB/214

Mis en ligne le vendredi 21 août 2015


Cour du travail de Bruxelles, 13 février 2015, R.G. n° 2013/AB/214

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 février 2015, la Cour du travail de Bruxelles reprend les principes du Règlement 1408/71 en cas de prestations de travail d’un mandataire de société sur le territoire de deux Etats membres, eu égard à la détermination de la loi applicable et à la décision d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants belge.

Les faits

Un mandataire d’une société anonyme s’affilie à une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants en 1979. Il quitte la Belgique huit ans plus tard pour l’Allemagne où il exerce une activité. Il conserve cependant son mandat.

La caisse interroge deux ans plus tard la société en ce qui concerne le statut de l’intéressé eu égard à l’exercice d’une activité professionnelle dans deux Etats membres de l’Union. La caisse maintient qu’il doit être assujetti en Belgique pour son activité indépendante et réclame à la société les cotisations sociales eu égard à la solidarité légale.

Des procédures sont successivement introduites pour les divers trimestres impayés.

Le tribunal du travail conclut au non fondement de la demande, considérant qu’il n’y avait pas lieu à assujettissement en Belgique.

La caisse interjette appel.

Position des parties

La caisse soutient que l’intéressé n’est pas soumis au Règlement 1408/71, celui-ci ne s’appliquant qu’aux travailleurs, c’est-à-dire aux personnes assurées au titre d’une assurance obligatoire (ou facultative continuée) dans l’un (ou plusieurs) régime(s) de sécurité sociale. Or, il s’avère que l’intéressé n’est affilié à aucun régime de sécurité sociale en Allemagne, ce qui rend inapplicable le Règlement, qui exige une assurance.

A titre subsidiaire, la caisse demande, vu le cumul d’une activité indépendante en Belgique et d’une activité salariée en Allemagne, de considérer que l’assujettissement à la législation belge est justifié du fait de l’exercice de l’activité indépendante.

Quant à la société, elle considère qu’il y a lieu à appliquer le Règlement européen, le fait d’être soumis (ou de l’avoir été) à un régime de sécurité sociale dans un seul Etat suffisant à entraîner l’application du règlement de coordination. Quant au statut de l’intéressé, celui-ci ne pouvait avoir celui de salarié en Allemagne, les deux activités étant donc des activités non salariées, ce qui entraîne l’application de la législation du pays de résidence.

Décision de la cour du travail

La cour est saisie de la question de l’application des règles de coordination dans le cadre du Règlement n° 1408/71 de sécurité sociale.

En premier lieu, elle relève qu’en vertu de son article 2, § 1er, il suffit pour que celui trouve application qu’un ressortissant ait été soumis au régime de sécurité sociale d’un Etat membre. Elle renvoie à l’arrêt ZINNECKER (C.J.U.E., 13 octobre 1993, Aff. ZINNECKER, C-121/92), rendu à propos d’un citoyen allemand qui partageait une activité non salariée entre deux pays (Allemagne et Pays-Bas). Pour la Cour de Justice, il suffit que le travailleur non salarié soit soumis à l’une des deux législations, néerlandaise ou allemande, pour qu’il y ait application du Règlement.

En l’espèce, la personne est ressortissante d’un Etat membre et réside dans un autre. Elle a été affiliée au statut social des travailleurs indépendants pendant treize ans. Ceci suffit pour entraîner l’application du Règlement. L’absence d’assurance en Allemagne n’est pas un critère pertinent.

Elle rappelle le principe de base de la coordination, étant l’unicité de la législation applicable : une personne qui exerce une activité, qu’elle soit salariée ou indépendante et ce sur le territoire de plusieurs Etats de l’Union, n’est soumise qu’à une seule législation.

En ce qui concerne les salariés, la cour rappelle l’article 14, § 1er, c) qui prévoit l’assujettissement (sauf pour les travailleurs de transports internationaux) à la législation de l’Etat de résidence dès lors qu’une partie de l’activité est exercée sur celui-ci ou si le travailleur relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège (ou leur domicile) sur le territoire de différents Etats. Pour l’activité non salariée, c’est la législation de l’Etat membre de résidence qui est applicable dès lors que la personne exerce une partie de son activité sur ce territoire.

La période en cause étant antérieure au 1er mai 2010, en cas d’exercice simultané de l’activité dans plusieurs Etats, il était cependant dérogé à ce principe, l’article 14quater, b) du Règlement renvoyant à son Annexe VII, qui prévoyait l’application de la législation des deux Etats dès lors qu’était exercée à la fois une activité non salariée et une activité salariée.

La cour en vient ainsi à l’examen de l’exercice en Allemagne d’une activité salariée ou non salariée, considérant que ce point est essentiel puisque (i) en cas d’exercice d’une activité salariée en Allemagne, l’activité indépendante en Belgique est soumise à la législation belge alors que (ii) si l’activité est non salariée, c’est la législation de l’Etat de résidence, c’est-à-dire l’Allemagne, qui sera applicable pour le tout.

La cour dégage ensuite une règle d’interprétation, étant que pour déterminer la nature de l’activité exercée dans un Etat membre il faut faire application de la législation de celui-ci. C’est également l’enseignement de la Cour de Justice dans plusieurs arrêts et la cour cite des extraits de l’arrêt PARTENA du 27 septembre 2012 (C.J.U.E., 27 septembre 2012, Aff. PARTENA, C-137/11) où celle-ci a confirmé que les notions d’activité salariée et d’activité non salariée relèvent quant à leur contenu des législations des Etats membres sur le territoire desquels elles sont exercées.

En droit allemand, la distinction entre salarié et non-salarié dépend de l’importance du pouvoir décisionnel du dirigeant d’entreprise. La cour constate que dans les faits la société en Allemagne n’est pas une filiale mais une simple succursale de la société, dont l’intéressé est le représentant légal. Son pouvoir décisionnel n’est pas considéré comme important et dans la mesure où ce bureau fait partie intégrante de la société, il faut considérer qu’il y dispose des mêmes pouvoirs que dans la société elle-même. Or, il en est un des fondateurs et en est l’actionnaire largement majoritaire. Il a en charge sa gestion journalière. Il faut dès lors conclure à l’exercice d’une activité de dirigeant indépendant. A cet égard, la cour relève encore que si pour des raisons propres au droit fiscal allemand les revenus y sont taxés comme revenus de salarié, ce critère est indifférent.

En conclusion, il y a activité non salariée dans les deux pays. La résidence étant en Allemagne, c’est la législation allemande qui est applicable. Que l’intéressé ait opté, dans le cadre de celle-ci, pour une non affiliation, ce choix est conforme à la législation du pays de résidence et il vaut pour les activités dans les deux pays.

La caisse est dès lors déboutée de sa demande.

La cour règle un dernier point, étant qu’une demande de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire a été introduite par la société. Elle relève que les questions litigieuses présentent une certaine complexité et que, d’ailleurs, même si elle confirme le jugement, elle s’écarte de la motivation du premier juge sur plusieurs points.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est un exercice intéressant d’application des règles du Règlement 1408/71.

L’arrêt reprend en quelques attendus clairs les règles de droit européen et examine particulièrement la combinaison activité salariée / non salariée exercée dans un pays et dans un autre. La cour est également amenée à considérer que dès lors qu’en Allemagne l’affiliation n’est pas obligatoire, ceci ne suffit pas pour emporter une affiliation en Belgique, dès lors que la législation belge n’est pas applicable du fait de l’obligation de retenir celle de l’Etat de résidence.

Un dernier point qui ne manque pas d’intérêt est de constater que, comme dans de nombreuses situations renvoyant à des aspects fiscaux, les juridictions du travail ne se considèrent pas liées par la qualification fiscale, étant tenues par les critères et définitions de la législation sociale.


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