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Le refus de subir une intervention chirurgicale a-t-il une incidence sur l’évaluation de la capacité de travail restante après un accident du travail ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 avril 2015, R.G. 2013/AB/452

Mis en ligne le vendredi 21 août 2015


Cour du travail de Bruxelles, 20 avril 2015, R.G. n° 2013/AB/452

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la jurisprudence qui a retenu que le refus de subir une intervention chirurgicale aurait une incidence sur l’indemnisation d’une victime d’un accident du travail est complètement dépassée, les règles en la matière étant d’ordre public et étant régulièrement rappelées par la Cour de cassation.

Les faits

Un ouvrier bagagiste à l’aéroport a été victime d’un accident du travail en janvier 2008. Le renversement d’un container a entraîné l’écrasement de son index droit et induit d’importantes douleurs.

Cette lésion s’est greffée sur un important état antérieur, l’intéressé ayant subi un accident de roulage dans sa jeunesse, soit en 1984. Cet accident avait entraîné une amputation des trois autres doigts de la main à partir du majeur. Il avait cependant pu continuer à travailler et avait exercé différentes professions (chauffeur de divers types de véhicules et bagagiste dans la société de fret qui l’occupait au moment de l’accident).

Quelques mois plus tard, l’assureur considère qu’il y a lieu de consolider sans séquelles avec retour à l’état antérieur.

Le travailleur introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Un expert est désigné avec la mission habituelle et il retient une I.T.T. de sept mois avec une très légère I.P.P. (5%).

Ce rapport est écarté, eu égard à des carences de l’expert dans l’accomplissement de la mission. Un autre expert est désigné.

L’assureur interjette appel de ce jugement, demandant l’entérinement du rapport d’expertise.

Moyens de la partie appelante devant la cour

Pour l’assureur, qui rappelle le caractère subsidiaire de l’expertise, il y a lieu pour le juge, en vertu de l’article 875bis nouveau du Code judiciaire de limiter le choix de la mesure d’instruction à ce qui est suffisant pour la solution du litige en privilégiant la mesure la plus simple, la plus rapide et la moins onéreuse (texte de la disposition légale).

Dans sa contestation de l’écartement du rapport, l’assureur considère qu’il n’est pas raisonnable à ce stade de désigner un nouvel expert – avec les frais supplémentaires que cette nouvelle mesure entraînera - pour l’inviter à pratiquer de nouveaux examens « s’il l’estime nécessaire » (mission confiée par le tribunal).

En outre il fait valoir, sur le plan orthopédique, que l’expert judiciaire a constaté une diminution de force de la pince polici digitale essentiellement due à la douleur, qui pourrait être sensiblement améliorée si le travailleur acceptait de subir une intervention chirurgicale banale. L’assureur constate qu’il y a eu refus dans son chef et ce sans motif valable.

Quant à la limitation de capacité entraînée, celle-ci n’est, pour l’assureur, située qu’au niveau de douleurs et non de l’impossibilité d’accomplir la pince polici digitale. Il invoque une jurisprudence selon laquelle le taux d’incapacité permanente peut être influencé par le refus opposé par la victime de subir sans motif valable une intervention chirurgicale non dangereuse ni douloureuse.

Il demande en conséquence l’entérinement du rapport de l’expert.

Décision de la cour du travail

La cour examine successivement les questions juridiques posées, en droit judiciaire d’abord et sur la question de la réparation de l’accident, ensuite.

Elle rappelle que la réforme du Code judiciaire intervenue en 2007 a insisté sur l’obligation pour le juge de choisir la mesure d’instruction la moins onéreuse et de ne recourir à celle-ci que si elle s’avère vraiment nécessaire.

Or, en matière d’accident du travail, s’agissant de contestation médicale, le juge ne peut pas ne pas ordonner une telle mesure d’expertise. En outre, la cour rappelle l’article 962, alinéa 4 du même Code, qui permet au juge de ne pas suivre les conclusions de l’expert, celles-ci n’ayant que valeur d’avis. S’agissant, en accident du travail, d’apprécier in concreto les séquelles d’un accident du travail, il faut avoir égard non seulement aux séquelles médicales telles que l’expert les a retenues mais également aux caractéristiques propres de la victime et à leurs répercussions sur sa capacité économique.

Dans la mesure où les critiques qui ont été faites au rapport d’expert ne s’avéraient pas infondées et où le tribunal a considéré n’être pas suffisamment éclairé, l’écartement du rapport et la désignation d’un nouvel expert se justifiaient.

En ce qui concerne les séquelles de l’accident, la cour examine successivement l’aspect orthopédique et les lésions psychologiques.

Elle s’attarde assez longuement à la prise en compte de l’état antérieur, eu égard aux circonstances particulières du cas, rappelant à cet égard plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont le célèbre arrêt du 5 avril 2004 (Cass., 5 avril 2004, R.G. n° S.03.0117.F), selon lequel lorsque le traumatisme consécutif à l’accident active un état pathologique préexistant, il faut apprécier dans son ensemble l’incapacité de travail de la victime sans tenir compte de son état morbide antérieur dans la mesure où l’accident est au moins la cause partielle de l’incapacité.

L’on ne peut dès lors pas considérer que, si l’intéressé ne peut plus travailler c’est uniquement en raison de douleurs et d’une sensibilité accrue, dont il ne faudrait pas tenir compte et que, dans la mesure où la main a gardé sa fonctionnalité, les séquelles constatées (douleurs, hypersensibilité et perte de force de préhension) ne justifient pas un taux supérieur à 5%, le travail étant « … seulement rendu plus pénible ».

L’expert ayant également retenu qu’existe un remède possible à cette douleur, étant l’intervention chirurgicale, la cour fustige cette manière de voir, rappelant expressément que la jurisprudence invoquée sur cette question est complément dépassée et également désapprouvée par la cour. Elle renvoie à un arrêt précédent, rendu par la même cour autrement composée (C. trav. Bruxelles, 2 juin 2014, R.G. n° 2013/AB/841), qui a rappelé qu’en vertu de l’article 8, § 4 de la loi du 22 août 2002 relatif aux droits du patient, celui-ci a le droit de refuser de subir une telle intervention.

Par ailleurs, dès lors que l’état antérieur continue d’être influencé par l’accident, la règle à appliquer est que l’appréciation de la perte de capacité de travail est le critère d’évaluation du taux.

Relevant encore que d’autres médecins ne sont pas convaincus par l’utilité de l’intervention chirurgicale vantée, la cour conclut très logiquement que le rapport d’expertise apparaît insatisfaisant sur la question.

Enfin, des éléments d’ordre psychologique ayant été avancés par la victime en cours de procédure, la cour reprend la présomption légale d’imputabilité, soulignant que celle-ci s’applique à toutes les lésions, qu’elles soient initiales ou postérieures. Elles doivent dès lors être incluses.

Intérêt de la décision

Cet arrêt vient conforter la jurisprudence de plus en plus affirmée sur la question du droit au respect de l’intégrité physique. Ce principe énoncé de manière spécifique dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient implique notamment que nul ne peut être contraint de subir une intervention chirurgicale. A fortiori, ceci ne peut être imposé dans le cadre de la réparation d’un accident du travail, la matière étant d’ordre public et la Cour de cassation ayant fixé invariablement les balises de l’évaluation des séquelles de l’accident. La cour du travail fait ici un rappel important à un arrêt fondamental, étant celui du 5 avril 2004 sur la question de la prise en compte de l’état antérieur.


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