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Cession de fonds de commerce : conditions pour qu’il y ait transfert d’entreprise

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 avril 2015, R.G. 2014/AB/228

Mis en ligne le vendredi 21 août 2015


Cour du travail de Bruxelles, 14 avril 2015, R.G. n° 2014/AB/228

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions pour qu’il y ait transfert d’entreprise en cas de cession de fonds de commerce et ce pour fixer les droits d’un employé qui reprend ses fonctions après une période d’incapacité de travail au cours de laquelle la cession est intervenue.

Les faits

Un employé engagé à durée indéterminée tombe en incapacité de travail en 2012 pendant une période de quatre mois et demi. A l’issue de cette période, il se représente au magasin où il est affecté. Celui-ci semble alors exploité par une autre société. Son gérant refuse de le mettre au travail et le renvoie vers la société qui l’avait engagé.

L’organisation syndicale intervient, dès lors, mettant les deux sociétés en demeure de fournir du travail.

Le conseil de la société A donne suite à ce courrier, exposant que le fonds de commerce a été repris pendant la période d’incapacité par une autre société, ce qui constitue un transfert d’entreprise, en application de la CCT 32bis. Il renvoie le travailleur vers le cessionnaire. L’organisation syndicale s’adresse, dès lors, à cette société, la mettant en demeure soit de de reprendre l’intéressé, soit de verser une indemnité compensatoire de préavis. Le conseil de celle-ci prend alors contact avec le syndical précisant qu’elle n’a pas repris de fonds de commerce, n’ayant fait que conclure un contrat de bail commercial en vue d’occuper les lieux. Le travailleur est renvoyé à la première société. Chacun restant sur sa position, les deux sociétés dont assignées en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de neuf mois et en délivrance des documents sociaux.

Par jugement du 19 décembre 2013, le Tribunal du travail de Louvain condamne la société cessionnaire en paiement de l’indemnité.

Appel est interjeté, demandant à la cour de considérer l’action non fondée et introduisant, à titre subsidiaire, une demande de garantie contre la société cédante.

Décision de la cour du travail

La cour est saisie de la question de savoir s’il y a ou non transfert d’entreprise.

Elle reprend longuement les principes en la matière, rappelant que la convention collective 32bis, modifiée à diverses reprises depuis sa conclusion le 7 juin 1985, est la transposition en droit belge de la Directive 77/187 du 14 février 1977 devenue Directive 2001/23 du 12 mars 2000. Ceci impose, comme la cour le relève d’emblée, une règle d’interprétation conforme aux principes de la norme européenne. Cette règle d’interprétation a d’ailleurs été rappelée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 septembre 2013 (Cass., 16 septembre 2013, R.G. S.07.0031.F).

Le critère essentiel selon la jurisprudence de la Cour de Justice est de savoir si l’entité économique est maintenue, cette question s’appréciant en fonction de la poursuite d’une activité économique identique ou analogue.

La cour du travail reprend, ensuite, les principes dégagés dans l’arrêt SPIJKERS (C.J.U.E., 18 mars 1986, SPIJKERS, Aff. N° C-24/85), étant qu’il faut examiner (i) la nature de l’entreprise ou de l’établissement concerné, (ii) l’existence d’actifs et de biens meubles même non transférés, (iii) la valeur des actifs immatériels transférés, (iv) la reprise de personnel et de clientèle, (v) la mesure dans laquelle les activités sont exercées avant et après le transfert et (vi) la durée d’une interruption éventuelle.

L’examen de ces critères a été affiné au fil du temps, étant notamment admis qu’il n’est pas exigé que l’ensemble des actifs soit transféré, non plus que l’unité économique reprenne des actifs matériels et immatériels. Il faut cependant que le transfert intervienne avec reprise de personnel. Il en découle que la vente d’une entreprise, étant le transfert d’un droit de propriété n’est pas nécessaire, la location avec poursuite d’activités pouvant également être admise. La cour conclut que, en application de l’article 7 de la CCT 32bis (qui reprend l’article 3 de la Directive), les droits et obligations qui résultent pour le cédant de contrats de travail existant à la date du transfert sont du fait de celui-ci transférés au cessionnaire. Ce transfert opère de plein droit.

Elle renvoie encore à un arrêt de la Cour de cassation récent (Cass., 10 novembre 2014, n° S.11.0086.N), selon lequel, en règle, seul le cessionnaire est tenu au paiement des dettes nées après la date du transfert de l’entreprise.

L’application de ces principes va mener la cour à débouter la société de son appel.

En effet, il ressort des éléments du dossier que c’est tout le fonds de commerce qui a été transféré, en ce compris le personnel (consistant en réalité en un seul employé). La cour s’attache ensuite aux diverses mesures de publicité faites par la société quant à son activité, dont il ressort qu’elle présente celle-ci comme continue. Ces annonces publicitaires visent, en effet notamment, le fait d’être spécialiste de la vente de l’article en cause « depuis des années », la société se présentant comme un professionnel de la question.

L’entité économique a donc été poursuivie et, en conséquence, le contrat de l’employé devait être transféré.

C’est dès lors à bon droit, pour la cour, que l’organisation syndicale a demandé dans un premier temps la reprise des fonctions, à l’issue de la période d’incapacité et a réclamé ensuite une indemnité compensatoire de préavis lorsqu’il a été évident que la société ne remettrait pas l’intéressé au travail et qu’est ainsi apparue sa volonté de mettre un terme au contrat.

Intérêt de la décision

La question de l’existence ou non d’un transfert d’entreprise est régulièrement posée aux juridictions du travail et même dans des hypothèses qui, comme celle-ci, concernent un tout petit commerce de vente au détail d’articles aux particuliers.

L’on peut utilement rappeler que dans un arrêt du 17 septembre 2014 (C. trav. Bruxelles, 17 septembre 20214, R.G. n° 2013/AB/837 – précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles avait insisté dans l’examen d’un cas de transfert sur l’exigence de la CCT 32bis que le transfert touche une entité économique qui conserve son identité, c’est-à-dire un ensemble de moyens organisés, et ce en vue de la poursuite d’une activité principale ou accessoire : il faut que la structure organisationnelle soit maintenue. La cour avait renvoyé à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 12 février 2009 (DIETMAR KLARENBERG c/ FERROTRON TECHNOLOGIES, GmbH) sur la question.


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