Terralaboris asbl

Gérant de société établi en Afrique et cotisations au statut social

Commentaire de C. trav. Liège, div. Namur, 16 juin 2015, R.G. 2014/AN/21

Mis en ligne le lundi 24 août 2015


Cour du travail de Liège, division Namur, 16 juin 2015, R.G. n° 2014/AN/21

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 16 juin 2015, la Cour du travail de Liège, Div. Namur, rappelle les effets de la jurisprudence de la C.J.U.E. à propos des mandataires de société gérant celle-ci depuis l’étranger et conclut qu’une distinction doit être faite entre les pays membres de l’Union Européenne et ceux situés en dehors de celle-ci.

Les faits

Une société fait opposition à une contrainte signifiée par une caisse d’assurances sociales, contrainte relative à l’assujettissement de son gérant.

Le tribunal du travail de Namur dit la demande non fondée, s’agissant de cotisations réclamées eu égard à la solidarité instaurée par l’article 15, § 1er, alinéa 3 in fine de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

La société fait valoir en premier lieu que la signification de la contrainte est irrégulière, celle-ci étant intervenue à l’adresse de son ancien siège social. Elle fait valoir que si la modification n’a pas été portée à la connaissance de la caisse, il s’agit d’une obligation dans le chef du gérant et non dans son chef à elle.

Sur le fond, elle fait valoir que la présomption de l’article 2 de l’arrêté royal d’exécution de l’arrêté royal n° 38 implique l’exercice effectif d’u mandat dans une société qui se livre à des opérations à caractère lucratif, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, l’activité devrait être exercée en Belgique, ce qui n’est pas le cas, le gérant résidant en Afrique. Elle estime renverser la présomption et démontrer l’absence d’activité habituelle ou continue. En outre, résidant à l’étranger, le gérant exerce son activité professionnelle là-bas et n’en a aucune en Belgique.

Subsidiairement, elle considère que cette activité pourrait avoir le statut d’activité complémentaire et que, si aucune convention internationale n’a été signée entre la Belgique et le pays en cause, il serait discriminatoire de ne pas permettre à l’intéressé de bénéficier de ce statut.

Quant à la caisse, elle considère que la société était tenue de lui notifier son changement d’adresse et que, à défaut, la signification de la contrainte est valable. L’opposition ayant été faite après le délai légal d’un mois elle doit être déclarée irrecevable.

Sur le fond, elle estime qu’il n’est pas établi que la société soit dormante et que, pour ce qui est de l’assujettissement à titre complémentaire, les conditions ne sont pas réunies.

L’avis du ministère public

Le ministère public examine à la fois la date de création de la société (1999), la personne du gérant (resté inchangé jusqu’en 2013) et les comptes annuels (qui démontrent l’exercice d’une activité jusqu’en 2013). L’activité commerciale est dès lors continue et l’assujettissement doit être maintenu à titre principal, eu égard à l’absence de convention avec le pays en cause. Il relève par ailleurs que l’assujettissement dans celui-ci n’est pas établi.

La décision de la cour du travail

La cour rappelle le mécanisme de la contrainte, en cette matière, précisant que sa signification doit se faire conformément au droit commun, à savoir les articles 32 et suivants du Code judiciaire : pour la personne physique, elle doit se faire à son domicile ou sa résidence et, pour la société ou l’association, à son siège social ou administratif. Si la société a la personnalité civile, c’est à son siège social.

La cour conclut au caractère irrégulier de la contrainte, dans la mesure où celui qui fait procéder à celle-ci a l’obligation de vérifier la réalité du domicile au moment où la signification est faite. Une signification irrégulière ne fait pas courir le délai de recours. La jurisprudence de la Cour de cassation est bien fixée en ce sens (voir notamment Cass., 27 septembre 2013, n° C.12.0627.F). En l’espèce la caisse n’a pas procédé à la vérification requise.

En ce qui concerne le fond, la cour reprend en quelques attendus les conditions d’assujettissement au statut social et particulièrement la présomption d’exercice d’une activité professionnelle dans le chef des personnes désignées comme mandataires d’une société soumise à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents.

Revenant à la jurisprudence rendue dans le droit fil de l’arrêt du 3 novembre 2004 de la Cour constitutionnelle (C. const., 3 novembre 2004, n° 176/2004), la cour du travail rappelle que les exigences d’égalité et de non-discrimination imposent que cette présomption soit susceptible de preuve contraire sauf pour les mandataires qui gèrent une société belge de l’étranger. La présomption n’est dès lors pas réfragable pour tous ses destinataires, restant irréfragable pour ces derniers (voir notamment C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2012, R.G. n° 2010/AB/823 et C. trav. Bruxelles, 11 mars 2011, R.G. n° 2010/AB/91).

En droit européen, la Cour de Justice a considéré dans son arrêt du 27 septembre 2012 (C.J.U.E., 27 septembre 2012, Aff. C-137/11, Partena / Les tartes de Chaumont-Gistoux) que le caractère réfragable de la présomption concerne les activités de gestion d’une société soumise à l’impôt d’un Etat membre exercées à partir d’un autre Etat membre. Cependant, pour la cour du travail, ceci ne concerne pas les mandataires qui gèrent une société belge depuis un Etat hors Union Européenne (sauf convention internationale contraire). La présomption ne peut dès lors être renversée. La cour examine cependant, pour autant que de besoin, les éléments avancés par la société, dont elle conclut qu’elle n’établit d’ailleurs ni l’absence de but de lucre ni l’absence d’exercice habituel de l’activité.

Enfin, se pose la question du caractère principal ou accessoire de l’assujettissement et sur celui-ci la cour effectue une analyse approfondie des normes applicables. Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 2011 (Cass., 5 décembre 2011, n° S.10.0174.F), selon lequel seules les activités exercées sur le territoire de la Belgique sont prises en considération au titre d’activité professionnelle exercée à titre principal pour déterminer s’il y a exercice d’une activité indépendante à titre complémentaire. Elle rappelle le but du système, étant de dispenser de cotisations certains travailleurs indépendants qui participent par ailleurs au financement du régime belge de sécurité sociale. Elle conclut dès lors à l’assujettissement à titre principal pour toute la période d’occupation.

Intérêt de la décision

La matière de l’assujettissent des mandataires de société est en constante évolution, eu égard à de nombreuses décisions intervenues suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004, qui avait admis la possibilité de renverser la présomption légale.

L’intérêt de la décision en cause est double sur la question, étant d’une part de rappeler en ce qui concerne l’obligation d’assujettissement que, dans l’hypothèse d’un mandataire gérant une société depuis l’étranger, le caractère réfragable de la présomption a été admis par la Cour de Justice dès lors que c’est un pays membre de l’Union Européenne qui est visé, la jurisprudence de la Cour ne visant – bien entendu – que le territoire de l’Union et d’autre part de revenir sur les conditions de l’activité complémentaire, pour lesquelles il a été considéré que l’on pouvait dispenser certains travailleurs de cotiser à titre principal dès lors qu’ils participaient déjà au financement de la sécurité sociale belge : ceci suppose dès lors une activité principale autre en Belgique.


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