Terralaboris asbl

Conformité au droit européen de prestations de sécurité sociale

Commentaire de C.J.U.E., 14 avril 2015, Aff. C-527/13

Mis en ligne le jeudi 3 septembre 2015


Cour de Justice de l’Union européenne, 14 avril 2015, Aff. C-527/13

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 14 avril 2015, la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle, d’une part, les conditions requises pour qu’il y ait discrimination indirecte en sécurité sociale et, d’autre part, les contours du champ d’application de l’Accord-cadre européen sur le temps partiel, celui-ci ne visant pas les systèmes légaux de sécurité sociale.

Les éléments du litige

Une citoyenne espagnole travaille pendant près de quarante ans (septembre 1971 - avril 2010) à temps plein, hormis trois courtes périodes totalisant quarante-deux mois pendant lesquels elle a été occupée à temps partiel.

En avril 2010, elle demande à l’institution de sécurité sociale espagnole l’octroi d’une pension d’invalidité.

Conformément à la législation applicable, celle-ci est fixée, en cas de maladie autre qu’une maladie professionnelle, en utilisant un coefficient déterminé, étant les bases de cotisations versées les 96 mois précédant le mois antérieur à la survenance du fait générateur de la pension, divisé par 112. En cas de temps partiel, lorsqu’il n’y a pas d’obligation de cotisation, ces périodes sont intégrées en utilisant la base minimale de cotisation correspondant au nombre d’heures effectuées en dernier lieu. Le décret d’application de cette disposition légale (Ley General de la Seguridad Social) précise qu’il faut prendre en compte le nombre d’heures prestées en vertu du contrat à la date où l’obligation de cotisation a été interrompue ou a pris fin.

Dans le cadre de l’examen de ces conditions, il est constaté que l’intéressée n’a versé aucune cotisation pendant une période de près de quatre ans, soit de janvier 2002 à novembre 2005.

Le calcul effectué par l’Institut National aboutit à un montant mensuel de base de l’ordre de 350€, montant sur lequel est appliqué un taux de 55%. Il s’agit de la prise en compte des huit années précédant le fait générateur. Pour la période de près de quatre ans pendant laquelle les cotisations n’ont pas été versées, les bases minimales de cotisation sont retenues et le coefficient réducteur relatif au temps à temps partiel a été appliqué. Le taux pris en compte est celui du mois de mars 2002, fin de l’occupation à temps partiel.

C’est cette période qui est litigieuse, l’intéressée considérant qu’il faut prendre en compte le montant intégral des bases minimales et non leur montant réduit résultant de l’application du coefficient relatif au temps partiel. Si ce calcul était effectué, la pension serait en effet de plus du double.

Une procédure est introduite, devant le Juzgado de lo Social 2 de Ourense et, ayant été déboutée, la travailleuse interjette appel devant le Tribunal Superior de Justicia de Galicia.

C’est cette juridiction qui va poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La première préoccupation du juge national concerne une discrimination indirecte des travailleuses, dans ce système, puisque les femmes sont majoritairement touchées par le temps partiel et que, de ce fait, l’objectif du législateur ne serait nullement rencontré. Celui-ci a en effet à cœur de respecter « un principe de logique et d’équilibre », se référant à un critère de proportionnalité par rapport à la contribution du travailleur, critère dont la pertinence est mise en doute eu égard aux exigences du droit de l’Union. Le juge national souligne en outre que les résultats sont totalement disproportionnés lorsque le travail à temps partiel ne représente qu’une petite partie de la carrière professionnelle, comme en l’espèce.

Mais le tribunal examine également la conformité de cette situation avec les dispositions de l’Accord-cadre sur le travail à temps partiel. S’il ne s’agit en l’espèce pas de questions de salaire ou de conditions d’emploi, situations visées de manière expresse par l’accord, le tribunal relève que les Etats membres sont tenus d’identifier les obstacles de nature juridique qui peuvent limiter les possibilités de travail à temps partiel. Or, la présente situation en est une, puisque si les travailleurs ont accepté un travail à temps partiel après avoir perdu un temps plein, ils se retrouvent défavorisés par rapport à ceux qui n’ont pas accepté ce travail. Il y aurait dès lors un frein important à l’acceptation d’un emploi à temps partiel.

Deux questions sont dès lors posées, portant sur la conformité de la réglementation nationale avec la Directive 79/7 ainsi qu’avec l’Accord-cadre.

L’arrêt de la Cour de Justice

La Cour rappelle le principe selon lequel en sécurité sociale, le droit de l’Union respecte la compétence de ses Etats membres pour aménager leurs systèmes respectifs, en l’absence d’harmonisation au niveau européen. Ceux-ci doivent néanmoins respecter le droit de l’Union, dans l’exercice de cette compétence. Ainsi le législateur espagnol peut retenir comme base de calcul de la pension d’invalidité une période de huit ans comme il le fait et appliquer un coefficient réducteur lorsqu’une interruption de cotisation suit immédiatement une période de travail à temps partiel mais cette règle doit être examinée eu égard aux principes de la Directive 79/7 et l’Accord-cadre sur le temps partiel.

Sur la discrimination indirecte, elle en rappelle la définition, dégagée dans plusieurs arrêts : celle-ci suppose l’application d’une mesure nationale, bien que formulée de manière neutre, qui désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes.

Les données statistiques sur lesquelles s’est fondée la juridiction nationale ne permettent cependant pas de considérer que la mesure vise majoritairement des travailleurs à temps partiel et en particulier des travailleuses, s’agissant d’une mesure qui touche uniquement ceux qui ont connu une interruption de cotisation au cours de la période de huit ans, lorsque cette interruption a suivi un temps partiel. Il n’est pas établi ici que plus de femmes que d’hommes seraient touchés. La mesure ne peut dès lors être considérée indirectement discriminatoire au sens de la Directive 79/7.

Quant à la conformité avec l’Accord-cadre sur le temps partiel, la Cour rappelle que son champ d’application ne concerne pas les régimes légaux de sécurité sociale, ces questions relevant de la compétence des Etats membres. S’il est fait état des conditions d’emploi et que ceci peut viser des pensions, il s’agit des pensions qui sont fonction d’une relation d’emploi entre le travailleur et l’employeur et non des pensions légales de sécurité sociale, celles-ci étant justifiées par des considérations d’ordre social. S’agissant en l’espèce d’une pension légale, elle ne peut rentrer dans le champ d’application. La deuxième question connait dès lors une réponse négative, étant que la réglementation en cause n’entre pas dans le champ d’application de l’Accord-cadre.

Enfin, quant aux effets de la disposition nationale litigieuse, la Cour souligne que la disposition peut avantager certains travailleurs, étant ceux qui auront été employés à temps partiel pendant une grande partie de leur carrière professionnelle mais qui, immédiatement avant l’interruption de cotisation, sont employés à temps plein. La mesure s’appliquant dans les deux sens, elle ne peut être dès lors considérée comme un obstacle juridique de nature à limiter le recours au temps partiel.

Intérêt de la décision

Cette question très particulière de sécurité sociale est ainsi passée au crible de la Directive 79/7 du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ainsi que de l’Accord-cadre sur le travail à temps partiel du 6 juin 1997 (qui figure à l’Annexe de la Directive 97/81/CE du Conseil du 15 décembre 1997).

La réponse que fait la Cour aux deux questions préjudicielles posées ne surprend pas, la mesure en cause – même si son application a été préjudiciable dans le cas d’espèce eu égard au profil de la carrière – pouvant donner des résultats tout à fait opposés. C’est en réalité la législation nationale qui contient le germe des solutions vraisemblablement injustes auxquelles elle permet d’aboutir, le critère étant en fin de compte la durée du temps partiel par rapport au temps plein pendant la période de référence prise en compte, à savoir huit ans.

Comme l’a très justement relevé la Cour de justice, ce n’est pas le temps partiel en lui-même qui est en cause, situation qui permettrait de procéder à l’examen d’une discrimination indirecte, dans la mesure où cette forme de travail touche davantage les femmes – mais le résultat du calcul effectué, eu égard au rapport entre le temps plein et le temps partiel, ainsi que surtout, vu la nature de la dernière occupation.

Par ailleurs, la matière ne rentre pas dans le champ d’application de l’Accord-cadre sur le temps partiel ainsi que la Cour l’a relevé en quelques considérants.


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