Terralaboris asbl

C.C.T. n° 32bis : droit des travailleurs en cas de reprise d’actif après faillite

Commentaire de Trib. trav. Mons et Charleroi, div. La Louvière, 5 juin 2015, R.G. 10/3.042/A

Mis en ligne le mardi 8 septembre 2015


Tribunal du travail de Mons et de Charleroi, div. La Louvière, 5 juin 2015, R.G. n° 10/3.042/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 5 juin 2015, le Tribunal du travail de Mons et de Charleroi, Div. La Louvière, reprend les obligations des travailleurs salariés sollicitant le bénéfice d’allocations de chômage provisoires, à l’occasion d’un dossier de reprise d’actif après faillite, dans lequel le repreneur tombera lui-même en faillite après quelques mois d’activité.

Les faits

Suite à la faillite de l’entreprise qui l’occupait, une travailleuse est licenciée (au même titre que ses autres collègues) par le curateur, sans préavis et sans indemnités. Elle est admise au bénéfice des allocations provisoires, après avoir complété le formulaire ONEm C4.2 dans lequel elle s’engage à réclamer le paiement de l’indemnité de rupture et à rembourser les allocations dès que celle-ci (ou des dommages et intérêts correspondants) serait perçue.

Elle bénéficie, ainsi, d’allocations provisoires pendant une période de quatre mois.

Entre-temps, l’administrateur-délégué d’une nouvelle société en constitution (avec le même objet que la société faillie) prend l’engagement unilatéral d’instaurer un « fonds social alimenté par des fonds patronaux » afin de rembourser intégralement les allocations de chômage payées aux travailleurs qui seraient repris dans la nouvelle société, à la condition que ceux-ci renoncent à leur créance en matière d’indemnité de préavis. Une renonciation irrévocable à cette créance est en effet signée le même jour par les travailleurs concernés (à savoir la créance résultant de la rupture du contrat avec la société faillie), celle-ci étant soumise à la condition suspensive d’être repris par la société qui viendrait aux droits de l’administrateur-délégué (ayant pris l’engagement ci-dessus en nom personnel). Le réengagement est supposé intervenir dans les deux mois de cette date.

La travailleuse est réengagée, effectivement, dans le délai. Lors du premier conseil d’administration de la société nouvellement constituée (composée de l’administrateur-délégué ainsi que d’un autre membre de sa famille), tenue en-dehors du délai de deux mois ci-dessus, il est acté que tous les actes posés par l’administrateur-délégué pour la société en formation sont ratifiés et une convention de cession de fonds de commerce est conclue. Dans celle-ci, il est acté, en ce qui concerne le personnel, que trente-neuf travailleurs qui avaient été licenciés ont été réengagés et ont renoncé à produire au passif de la faillite leur créance d’indemnité de licenciement, renonciation qui a pour conséquence de réduire le passif privilégié de la faillite de quelques 700.000€.

L’année suivante, l’ONEm notifie à la demanderesse dans la présente affaire une décision d’exclusion des allocations pour la période couverte par les allocations provisoires ainsi que la récupération de celles-ci. Il lui est fait grief de ne pas avoir respecté l’engagement pris lors de la demande d’allocations.

Quelques mois plus tard, la société nouvellement constituée est elle-même en réorganisation judiciaire et tombera en faillite. Dans le cadre de celle-ci, les indemnités compensatoires de préavis sont payées par le Fonds d’indemnisation pour la (courte) période d’occupation, les indemnités étant cependant calculées en fonction d’une ancienneté globale, à savoir pour l’intéressée, depuis 1971.

N’ayant pas perçu l’indemnité de transition, l’intéressée produit une créance au passif de la faillite, pour ce chef de demande. Cette créance est admise par le Tribunal de commerce et l’affaire est renvoyée devant le tribunal du travail aux fins de statuer sur son fondement.

La décision du tribunal du travail

Le tribunal rend un long jugement, couvrant toutes les facettes de la cause – assez complexe – qui lui est soumise.

En premier lieu, il rappelle les conditions d’octroi des allocations provisoires, conditions exposées à l’article 47, alinéa 1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. En vertu de cette disposition, le travailleur prend l’engagement de réclamer – au besoin par la voie judiciaire – le paiement de l’indemnité due à l’employeur et s’engage également à rembourser les allocations provisoires dès que celle-ci aura été obtenue. Lui incombe également l’obligation d’informer l’ONEm et de signer une cession de créance à concurrence du montant des allocations. Le travailleur est dès lors tenu d’introduire son action dans l’année du licenciement, sous peine d’être exclu du bénéfice des allocations pour la période couverte par les délais minimaux légaux de préavis.

S’agissant, plus particulièrement, d’une reprise d’actif après faillite, le tribunal rappelle que l’ancienneté acquise avant la faillite peut être prise en considération deux fois : une première fois pour déterminer l’indemnité compensatoire de préavis due par la société faillie et une seconde fois en cas de licenciement par le repreneur. Par ailleurs, il n’est nullement porté atteinte au droit du travailleur licencié sans préavis et repris par un nouvel employeur à prétendre à une indemnité compensatoire de préavis à l’égard de l’employeur qui lui a notifié son congé.

En réalité, les travailleurs repris après faillite peuvent revendiquer cumulativement trois droits : le droit à une indemnité compensatoire de préavis à charge de la société faillie, celui à une indemnité de transition auprès du Fonds de fermeture ainsi que celui encore de valoriser l’ancienneté antérieure à la faillite en cas de licenciement subséquent par le repreneur (le tribunal renvoyant à la doctrine de J.-P. CORDIER, « La reprise d’actif après faillite » in La cession d’entreprise : les aspects sociaux, (dir.) L. PELTZER et E. PLASSCHAERT, Larcier, 2011, p. 274). En cas d’insolvabilité de l’employeur, le travailleur perçoit l’indemnité de transition mais il n’a pas la possibilité de réclamer l’indemnité compensatoire de préavis auprès du Fonds.

En l’espèce, le tribunal constate que l’intéressée ne peut prétendre aux allocations de chômage pendant la durée de préavis à laquelle elle a droit à charge du premier employeur et que l’exclusion doit être confirmée, ainsi que la récupération.

D’autres questions se posent, cependant, aussitôt, eu égard à l’engagement pris par l’administrateur-délégué d’instaurer un fonds social alimenté par des fonds patronaux au cas où l’ONEm viendrait à réclamer les avances provisionnelles consenties sur les allocations de chômage. Cet engagement a en effet été concomitant aux renonciations des travailleurs et nul doute qu’’il a été une condition de celles-ci. Il s’agit d’un engagement pris au nom d’une société en formation, le tribunal rappelant cependant que dans une telle hypothèse les promoteurs souscrivent un engagement personnel dès l’origine, sous la condition résolutoire de reprise par la société de celui-ci dans un délai de deux mois suivant le dépôt de l’acte constitutif au greffe du Tribunal de commerce (dépôt devant intervenir dans les deux ans de la naissance de l’engagement). Pour être valable, la reprise de l’engagement doit également être ratifiée.

Après avoir constaté qu’il s’agit d’un engagement unilatéral, garantissant le remboursement des allocations de chômage, le tribunal retient que cet engagement est personnel dans le chef de l’administrateur-délégué et que celui-ci en est solidairement responsable. La condition de la ratification de l’engagement par la société dans le délai légal (soit les deux mois après le dépôt de l’extrait d’acte constitutif au greffe du Tribunal du commerce), n’a cependant pas été respectée.

Le tribunal constate également qu’aucun fonds social alimenté par des fonds patronaux n’a été mis en place, ce qui aurait pu constituer une ratification tacite.

L’administrateur-délégué est dès lors responsable personnellement et solidairement.

Enfin, il rejette une demande de ce dernier de faire procéder à une compensation avec le montant de l’indemnité de transition que l’intéressée n’a pas adressée au Fonds de fermeture, le tribunal constatant expressément avec le Premier substitut de l’auditorat que le droit à celle-ci est loin d’être évident vu la renonciation à l’indemnité compensatoire de préavis.

Intérêt de la décision

Si la solution en l’espèce est donnée eu égard au non respect du Code des sociétés vu les exigences posées par son article 60 relatif aux engagements souscrits au nom d’une société en formation, le jugement rappelle deux points importants et récurrents en cas de faillite, étant d’une part le mécanisme relatif à l’octroi des allocations de chômage provisoires (celui n’étant pas limité à l’hypothèse de la faillite) et d’autre part les droits des travailleurs en cas de reprise d’actif après faillite, droits cumulatifs (étant l’indemnité compensatoire de préavis à charge de la société faillie, l’indemnité de transition à charge du Fonds et le droit de valoriser la totalité de l’ancienneté, soit depuis la date d’entrée pour la société faillie en cas de licenciement subséquent par le repreneur, que ce licenciement intervienne ou non dans le cadre d’une nouvelle faillite).


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