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Discrimination dans les conditions de licenciement en fonction de l’âge

Commentaire de Cass., 7 septembre 2015, n° S.14.0015.F

Mis en ligne le jeudi 11 février 2016


Cass., (troisième chambre), 7 septembre 2015, S.14.0015.F

Terra Laboris

La perte d’une protection contre le licenciement constitue une condition de licenciement qui doit satisfaire à l’exigence d’égalité de traitement prévue par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail

Les faits de la cause

M. C. était au service de la CGER en qualité de fonctionnaire. Lorsque celle-ci a été privatisée, l’occupation du personnel s’est réalisée dans les liens d’un contrat de travail. Un règlement de travail avait à l’époque prévu une protection particulière contre le licenciement.

Lorsque le personnel a été transféré à Fortis Banque (actuellement BNP Paribas Fortis), cette société et les organisations représentatives des travailleurs ont conclu une convention collective de travail d’entreprise « relative à la garantie de non-licenciement ».

Le chapitre 2 de cette C.C.T. a prévu une garantie de non-licenciement spécifique pour, notamment, le personnel de l’ancienne CGER. Ces travailleurs ne pouvaient être licenciés que dans les cas énumérés à ce chapitre 2 : motif grave, manquement grave, non-acceptation de la mobilité fonctionnelle et/ou géographique, impossibilité d’affectation professionnelle après une incapacité de travail de longue durée et enfin, au point 6, qui fait l’objet du litige l’ « âge conventionnel de la pension ». Il est ainsi prévu que l’entreprise peut licencier un travailleur lorsqu’il a atteint ou atteindra au cours d’une période déterminée l’âge de la pension dans l’entreprise. Cette période est fixée à 2 mois par année de service complet au sein de l’entreprise. A partir du début de cette période le travailleur ne bénéficie plus que de la condition générale de non-licenciement reprise dans le chapitre 1 de la C.C.T..

Le chapitre 3 de ladite C.C.T. prévoit la sanction d’un licenciement non conforme au chapitre 2 soit le paiement d’une indemnité forfaitaire égale à 5 ans d’indemnité de préavis.

M. C. a été licencié le 19 octobre 2006 moyennant une indemnité de préavis qui a été fixée à 29 mois.

Il a contesté la durée du préavis et a réclamé l’indemnité forfaitaire prévue par le chapitre 3 de la C.C.T., soutenant que la clause sur laquelle BNP se fondait pour échapper à la garantie de non-licenciement ne pouvait recevoir d’application en raison de la discrimination fondée sur l’âge qu’elle instaurait.

Par un jugement du 19 mars 2008, le tribunal du travail de Bruxelles a fixé le préavis à 31 mois. Concernant l’indemnité forfaitaire prévue par la C.C.T. le tribunal décide que son chapitre 2 contient une différence de traitement liée à l’âge.

Concernant le personnel licencié à l’âge de la pension, il considère que la limitation de la protection lorsque le travailleur atteignait l’âge de la pension repose sur un critère objectif et raisonnablement justifié par un objectif légitime.

Par contre, dans la mesure où M. C. a été licencié à un âge trop lointain de l’âge de la pension ou de l’accès à un régime de pension extra légal lui permettant d’atteindre l’âge de la pension sans perte de rémunération, la différence de traitement ne repose pas, dans son cas, sur un critère objectif et raisonnablement justifié par un objectif légitime. Il limite la sanction de la nullité à la seule mesure de cette discrimination et ajoute au préavis de 31 mois une indemnité de rupture complémentaire de 18 mois permettant à M. C. d’atteindre l’âge de 60 ans pour prétendre au régime de pension extra légale.

L’employeur a interjeté appel de ce jugement. M.C. a formé un appel incident en vue de se voir accorder, outre le préavis, l’indemnité prévue au chapitre 3 de la C.C.T.

Par un arrêt du 28 mai 2013 (publié au J.T.T., 2013, p. 324) la cour du travail de Bruxelles fixe le préavis convenable à 32 mois. Par contre, elle décide que M. C. ne peut bénéficier d’aucune indemnité complémentaire en raison d’une discrimination résultant d’une limitation à l’âge conventionnel de la prépension de la garantie de non-licenciement.

Selon la cour du travail, l’âge n’est pas, dans le chapitre 2 de la C.C.T., un motif ou un critère de licenciement mais seulement, combiné avec l’ancienneté, un critère de fin de protection contre le licenciement. Les travailleurs ne sont pas licenciés en raison de leur âge mais ne bénéficient plus de la protection renforcée contre le licenciement dès lors qu’ils atteignent un certain âge. C’est donc avec pertinence que l’employeur soutient qu’il n’y a pas de différence de traitement fondée sur l’âge portant sur des conditions de licenciement.

Elle examine alors si les dispositions conventionnelles litigieuses, dès lors qu’elles ne sont pas discriminatoires, sont objectivement raisonnables et justifiées. Elle décide que tel est le cas. Le souci de stabilité d’emploi est un objectif légitime mais cette stabilité ne peut être absolue et il n’est pas anormal ou illégitime que les partenaires sociaux l’aient assortie de conditions et de limitations.

M. C. s’est pourvu en cassation. La deuxième branche du moyen invoquait la violation de l’article 3 § 1er c) de la directive 2000/78/CE et de l’article 2 § 4 de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, telle que cette loi était applicable avant son abrogation par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discriminations.

M. C. soutenait que c’était parce qu’il avait atteint un âge déterminé que, en tant que travailleur « ex-CGER » il pouvait être licencié dans des conditions qui n’étaient pas celles applicables aux autres travailleurs ex-CGER qui, eux, bénéficiaient de la protection prévue par le chapitre 2 de la C.C.T.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation accueille le moyen en sa seconde branche aux motifs que :
« L’article 2 § 4 de la loi du 25 février 2003 (...) interdit toute discrimination lorsqu’elle porte sur des conditions de licenciement. »

La perte d’une protection contre le licenciement constitue une condition de licenciement au sens de cette disposition.

L’arrêt attaqué constate que, aux termes de la clause d’une convention collective de travail, les travailleurs perdent leur protection contre le licenciement « ou vont atteindre 60 ans au cours d’une période déterminée » et considère que « l’âge » n’est pas un critère de licenciement mais seulement, combiné avec l’ancienneté, un critère de fin de protection contre les licenciements".

Il s’en suit que l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision tant qu’il n’y a pas de différence de traitement fondée sur l’âge portant sur les conditions de licenciement.

Intérêt de l’arrêt commenté

L’arrêt est publié sur Juridat avec les conclusions conformes du Ministère public.

Analysant le chapitre 2 § 2 de la C.C.T., le Ministère public avait souligné "que c’est nécessairement l’âge de l’intéressé qui le rapproche de la période de perte de la protection renforcée contre le licenciement, d’autant plus que celle-ci par l’effet de l’ancienneté de service inexorablement lié à son propre vieillissement s’étend à mesure des ans.

C’est bien le critère de l’âge qui, déterminant la perte de la protection renforcée contre le licenciement, modifie nécessairement les conditions de licenciement auxquelles les dispositions légales visées au moyen sont applicables"

La caractéristique du cas d’espèce était effectivement que plus l’ancienneté du travailleur était importante, plus tôt il entrait dans la période où la protection spécifique contre le licenciement accordée au ex-CGER ne lui était plus applicable.

Il y a donc une différence de traitement liée à l’âge, la question étant alors de sa justification au regard de l’article 6 de la directive 2000/78/CE et de sa transposition au droit belge par la loi du 25 février 2003, remplacée depuis par la loi du 10 mai 2007.


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