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Prescription des cotisations de sécurité sociale : un arrêt de la cour du travail de Bruxelles sur l’interruption par lettre recommandée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 octobre 2015, R.G. 2013/AB/1.170

Mis en ligne le lundi 14 mars 2016


Cour du travail de Bruxelles, 28 octobre 2015, R.G. 2013/AB/1.170

Terra Laboris

Dans un arrêt 28 octobre 2015, la Cour du travail de Bruxelles considère que l’article 42 de la loi du 27 juin 1969, qui confère à la lettre recommandée un effet interruptif, n’exige pas qu’elle prenne la forme d’une mise en demeure en bonne et due forme, étant qu’elle devrait contenir l’expression claire et non-équivoque de la volonté du créancier de voir exécuter l’obligation principale.

Les faits

L’affaire concerne une importante chaîne de salons de coiffure, qui faisait régulièrement appel à des stagiaires dans le cadre de conventions d’immersion professionnelle en entreprise. Celles-ci intervenaient via une A.S.B.L.

Un litige est survenu avec l’O.N.S.S., celui-ci considérant qu’il y avait contrat de travail et, dès lors, qu’il y avait lieu à assujettissement.

Une lettre recommandée est envoyée le 15 décembre 2008, précisant qu’un contrôle général a été effectué et que l’Office entend interrompre la prescription en application de l’article 42 de la loi du 27 juin 1969. L’Office fixe sa créance provisionnelle à 1 € et fait toutes réserves sur toute majoration et autres accroissements ultérieurs.

L’enquête de l’Inspection sociale révèle ultérieurement que l’A.S.B.L. n’a pas d’agrément pour placer des stagiaires auprès d’utilisateurs potentiels. Une régularisation de cotisations de près de 75.000 € intervient.

L’Office notifie une décision à la société par courrier du 9 décembre 2011, contestant la validité de la convention d’immersion professionnelle et concluant à l’existence de contrats de travail. Vu le non-paiement des cotisations, une procédure est introduite par l’Office et la société conteste la demande. A titre subsidiaire, elle fait valoir qu’il y a méconnaissance du principe de légitime confiance, de bonne administration et du raisonnable, sollicitant ainsi l’octroi de dommages et intérêts correspondant aux sommes qui sont réclamées.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 9 octobre 2013, le tribunal considère la demande prescrite.

Appel est interjeté par l’Office.

La décision de la cour

La cour examine la question de la prescription : l’article 42 de la loi du 27 juin 1969 (telle qu’applicable à l’époque) prévoit un délai de prescription de 3 ans qui débute à la date d’exigibilité des créances. Celle-ci peut être interrompue par une lettre recommandée adressée à l’employeur et la cour relève qu’à l’époque des faits, la loi prévoyait déjà le caractère interruptif de la lettre recommandée, l’interruption de la prescription par l’envoi d’une telle lettre figurant à l’article 42 depuis l’entrée en vigueur de l’article 36 de la loi du 25 janvier 1999 portant des dispositions sociales.

La cour relève que, si le premier juge a conclu à la prescription, c’est qu’il a considéré que la décision de l’Office prise en décembre 2011 n’était pas adéquatement motivée et que, de ce fait, elle ne pouvait être considérée comme un acte interruptif valable. La citation intervenue ultérieurement était hors délai, vu que celui-ci, de 5 ans initialement, avait été ramené à 3 ans à partir du 1er janvier 2009. La cour précise encore que la thèse des parties est que, pour l’O.N.S.S., la régularisation d’office n’est pas une décision administrative et ne doit dès lors pas être motivée, relevant cependant que la motivation était adéquate, tandis que la société dénie à cette lettre tout effet interruptif.

Pour la cour du travail, il n’y a pas prescription.

Elle rappelle que, par acte administratif au sens de la loi du 29 juillet 1991, il faut entendre l’acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs administrés ou d’une autre autorité administrative. Si la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 18 décembre 2000 (Cass., 18 décembre 2000, n° S.99.0095.F), qu’un avis rectificatif de cotisations de sécurité sociale n’est pas un acte administratif au sens légal, la décision en cause, qui a vocation à interrompre la prescription, doit être motivée.

Pour la cour, qui reprend la condition de la motivation adéquate, ceci ne signifie pas que la motivation doive être exempte de toute critique et qu’elle cesserait de l’être si le juge qui examine l’affaire devait être amené à y substituer une autre. En l’espèce, la décision litigieuse remplit les conditions requises. Elle a dès lors pu être un acte interruptif de prescription. Quant à la lettre recommandée envoyée en début de dossier (en décembre 2008), qui doit également être examinée, dans la mesure où elle constitue – ou non – un premier acte interruptif, celle-ci ne présentait pas un degré de précision tel qu’elle pourrait être considérée comme une mise en demeure. La cour considère cependant que l’article 42, qui confère à la lettre recommandée un effet interruptif, n’exige pas qu’elle prenne la forme d’une mise en demeure en bonne et due forme, étant qu’elle devait contenir, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’expression claire et non-équivoque de la volonté du créancier de voir exécuter l’obligation principale.

Quant au fondement de la demande, la cour reprend les principes relatifs au stage en entreprise, étant qu’il a une finalité spécifique, à savoir l’acquisition d’une expérience professionnelle pratique, même si celle-ci est acquise par le biais de prestations effectuées sous la surveillance de maître de stage.

En l’espèce, confirmant l’absence d’agrément de l’A.S.B.L. pour intervenir dans ce type de convention, la cour relève que la loi-programme ne prévoit aucune sanction et qu’il faut examiner chacune des situations visées, étant qu’il y a lieu de faire un examen au cas par cas.

Pour l’Office, il y a de nombreux indices d’une relation d’autorité, mais la cour les considère, en fin de compte, insuffisants, les éléments soulevés n’étant pas incompatibles avec une convention de stage, permettant l’acquisition de connaissances ainsi qu’une expérience professionnelle pratique valorisable sur le marché de l’emploi.

Les preuves de l’existence d’un contrat de travail - à savoir les indices incompatibles avec la qualification donnée par les parties à la convention - faisant défaut, la cour conclut qu’il n’y a pas matière à requalification. Les auditions contiennent, en effet, des éléments permettant, dans chaque cas, de retenir qu’une formation (ou une formation complémentaire) a été donnée. La cour relève encore que le fait d’effectuer des prestations sous surveillance est conforme à l’objet de la convention de stage et ne transforme par celle-ci en contrat de travail.

Intérêt de la décision

Ce contentieux a donné lieu à diverses décisions concordantes (voir notamment C. trav. Mons, 20 mai 2015, R.G. 2013/AM/129 – précédemment commenté – ; C. trav. Mons, 8 janvier 2015, R.G. 2013/AM/340 – précédemment commenté – ainsi que C. trav. Bruxelles, 9 juillet 2014, R.G. 2012/AB/1.247), étant que l’absence d’agrément de l’A.S.B.L. intervenue en vue du placement des stagiaires n’emporte pas nécessairement la requalification de la convention en contrat de travail. Il y a lieu, dans chaque cas, pour l’O.N.S.S., qui entend demander une telle requalification, d’établir l’existence du lien de subordination.

La cour revient, chaque fois, sur l’ensemble des conditions d’exercice du stage. Elle précise ici que l’existence d’une surveillance sur le stagiaire ne suffit pas pour aboutir à la reconnaissance d’un lien de subordination, cette surveillance étant inhérente à la formation, qui est la spécificité de la convention de stage.

Un autre point intéressant de la décision est l’effet interruptif admis par la cour d’une lettre recommandée qui n’aurait pas pris la forme d’une mise en demeure « en bonne et due forme ». La cour a renvoyé à la jurisprudence de la Cour de cassation sur les conditions de l’existence d’une mise en demeure, étant que la lettre recommandée qui la contient doit renfermer l’expression claire et non-équivoque de la volonté du créancier de voir exécuter l’obligation principale. La cour du travail souligne que l’article 42 de la loi du 27 juillet 1969 prévoit le caractère interruptif de la lettre recommandée mais n’exige pas qu’elle ait la forme d’une telle mise en demeure.


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