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Titres-repas : rappel des conditions de débition des cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 décembre 2015, R.G. 2014/AB/234

Mis en ligne le mardi 12 juillet 2016


Cour du travail de Bruxelles, 2 décembre 2015, R.G. 2014/AB/234

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 décembre 2015, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en matière de titres-repas, le principe est de leur reconnaître un caractère rémunératoire et que, s’ils répondent aux conditions énumérées à l’article 19bis, § 2, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, tel n’est pas le cas, à la condition, cependant, qu’ils n’aient pas été accordés en remplacement ou en conversion d’un élément rémunératoire.

Les faits

Une administration communale de la Région de Bruxelles octroie à son personnel une allocation de fin d’année, allocation non prévue par le statut pécuniaire. Cette prime est accordée jusqu’à l’année 2003. L’année suivante, une décision est prise d’octroyer aux membres du personnel des titres-repas.

Les organisations syndicales avaient marqué accord sur la première décision, au sein du Comité particulier de Négociation. Pour ce qui est de la dernière, il y a dissension.

Les titres-repas sont néanmoins octroyés à partir de l’année 2004 et ils sont intégrés dans le statut pécuniaire. Quant à l’allocation de fin d’année, elle est supprimée.

La situation reste inchangée jusqu’à un contrôle de l’O.N.S.S.A.P.L. en 2010 dans le cadre de l’article 19bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969.

La Commune expose que l’octroi des deux avantages était trop lourd et que le Collège a choisi d’accorder les titres-repas et de ne plus payer la prime – qui n’est d’ailleurs pas dans le statut pécuniaire. Elle souligne que cette décision n’a pas été remise en cause depuis.

Pour l’Office, s’agissant de titres-repas accordés en remplacement de l’allocation de fin d’année, il faut, pour le personnel contractuel, appliquer l’article 19bis, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal (ceux-ci étant soumis aux cotisations de sécurité sociale) et, pour le personnel définitif, il y a par contre exonération en vertu de l’article 30, § 2, du même arrêté.

L’O.N.S.S.A.P.L. interrompt la prescription et demande la régularisation de la quote-part patronale des cotisations de sécurité sociale pour les agents contractuels dans les limites de celle-ci.

Une procédure est alors introduite par la Commune auprès du Tribunal du travail de Bruxelles, qui, par jugement du 12 janvier 2012, fait droit à la demande de l’O.N.S.S.A.P.L.

La Commune interjette dès lors appel.

Elle fait valoir qu’il y a prescription pour une partie de la demande (octobre 2007 à octobre 2008) et que, pour le reste, il n’y a pas eu remplacement ou conversion de l’allocation de fin d’année en titres-repas.

La décision de la cour

La cour examine le cadre juridique du litige, étant qu’il y a lieu de déterminer si les titres-repas constituent de la rémunération au sens de l’article 14 de la loi du 27 juin 1969, étant qu’ils sont passibles de cotisations de sécurité sociale.

Il s’agit d’avantages évaluables en argent au sens de la loi du 12 avril 1965 et ils sont par ailleurs expressément visés par l’article 19bis de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 (A.R. d’exécution de la loi du 27 juin 1969). Cet article prévoit en son § 2 les conditions auxquelles les titres-repas doivent répondre (conditions cumulatives) pour ne pas être considérés comme de la rémunération. Cependant, si les titres-repas ont été accordés en remplacement ou en conversion d’un élément rémunératoire, de primes ou d’autres types d’avantages, cette exemption n’est pas autorisée.

Pour la cour, le principe est dès lors que les titres-repas sont de la rémunération passible des cotisations de sécurité sociale et que l’exemption est l’exception.

Par ailleurs, lorsqu’ils sont exclus de l’application du § 2, c’est la totalité des titres qui est soumise aux cotisations de sécurité sociale et non le montant qui excède la rémunération ou l’avantage remplacé (la cour renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2002, S.01.0174.N).

La cour relève que le personnel a bénéficié de l’allocation de fin d’année pendant longtemps, et ce jusqu’à l’année 2003 (incluse) et que les titres-repas ont été accordés à partir du 1er janvier de l’année suivante. L’allocation de fin d’année a alors été supprimée. Ceci ne suffit cependant pas à établir le remplacement ou la conversion.

La cour recherche des indices dans les éléments du dossier, parmi lesquels elle retient une déclaration du Secrétaire communal, à laquelle il faut accorder un poids certain, ainsi que l’attitude des organisations syndicales – relevant sur ce point que, s’il n’y avait pas eu d’abandon d’un avantage, l’on n’expliquerait pas les réserves exprimées.

La cour retient encore, sur le plan des principes, qu’il n’est pas requis que l’avantage soit définitivement supprimé pour qu’il puisse être question d’un remplacement au sens de l’article 19bis, le non-octroi temporaire pouvant suffire. En outre, le remplacement ne doit pas nécessairement concerner un droit acquis ou un droit de même nature. La cour renvoie expressément à la modification de l’article 19bis par un arrêté royal du 31 janvier 1994, étant actuellement visé le remplacement de toute rémunération et non plus l’imputation du chèque-repas « totalement ou partiellement (sur) la rémunération due » (la cour souligne).

Ainsi en va-t-il, d’ailleurs, pour le remplacement d’une prime qui n’est pas acquise mais qui a été accordée en contrepartie du travail fourni. Elle renvoie à un arrêt de la cour du travail du 6 mars 2013 (C. trav. Brux., 6 mars 2013, R.G. 2011/AB/219), qui a fait application de la jurisprudence de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 avril 1977 (R.G. 1894), selon laquelle une telle prime constitue une rémunération.

Elle énonce également que cette notion ne requiert ni une similitude de nature ni une similitude de montant, non plus que d’identité des bénéficiaires.

Il y a dès lors eu remplacement, et les cotisations de sécurité sociale sont dues.

La cour confirme ainsi la position du premier juge.

Enfin, reprenant la chronologie des faits, la cour retient qu’il n’y a pas de prescription d’une partie de la demande, vu l’interruption de celle-ci par lettre recommandée.

Intérêt de la décision

La question de savoir si les titres-repas sont ou non soumis à des cotisations de sécurité sociale est réglée à l’article 19bis de l’arrêté royal, en vertu duquel ces titres n’ont pas un caractère rémunératoire dès lors qu’une série de conditions sont remplies. Elles l’étaient, dans le cas d’espèce, mais n’ont pas pu bénéficier de ce caractère, dans la mesure où la réglementation – dont la cour rappelle que le principe est le caractère rémunératoire – considère, très naturellement d’ailleurs, que, dans la mesure où il y a remplacement ou conversion d’un avantage qui a ce caractère rémunératoire, les titres-repas ne peuvent être exclus de l’assiette de la rémunération sur laquelle il y a lieu de calculer les cotisations de sécurité sociale.

L’intérêt particulier de cet arrêt est d’expliciter la notion de remplacement. Comme vu ci-dessus, il admet que le non-octroi peut être temporaire, que le remplacement ne doit pas nécessairement concerner un droit acquis ou de même nature et ne requiert pas davantage une similitude de montant ni que les bénéficiaires soient identiques.

Relevons encore, pour une solution identique, un précédent arrêt de la même cour (C. trav. Bruxelles, 26 novembre 2015, R.G. 2014/AB/161).


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