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Etudes secondaires à l’étranger et droit aux allocations d’insertion

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 21 avril 2016, R.G. 14/7.568/A

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2016


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 21 avril 2016, R.G. 14/7.568/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 21 avril 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a jugé qu’il y a lieu d’écarter l’exigence de l’accomplissement de 6 années d’études secondaires en Belgique avant l’obtention d’un diplôme à l’étranger comme condition d’admissibilité aux allocations d’insertion dès lors qu’existe un lien réel avec la Belgique et particulièrement avec le marché du travail belge.

Les faits

L’ONEm notifie à une assurée sociale une décision en date du 18 avril 2014. Par celle-ci, il lui refuse le droit aux allocations d’insertion au motif que les études suivies ne sont pas celles visées dans la réglementation. Elle doit en effet prouver qu’elle a suivi des études ou une formation du même niveau et équivalente à celles qui ouvriraient le droit aux allocations d’insertion en Belgique et, par ailleurs, au moment de la demande, elle doit être à charge de travailleurs migrants au sens de l’article 48 du Traité CE, ceux-ci devant résider en Belgique. Or, en l’espèce, l’intéressée a suivi ses études (jusqu’à la fin du secondaire) en Allemagne et en France. Il lui est dès lors fait grief de ne pas avoir suivi au moins 6 années d’études en Belgique avant l’obtention de son diplôme à l’étranger.

Un recours est introduit par l’intéressée, qui expose avoir, après ses études à l’étranger, poursuivi des études supérieures universitaires en Belgique pendant 5 ans. Elle se réfère également à l’arrêt d’HOOP de la C.J.U.E. (C.J.U.E., 11 juillet 2002, C-224/98), se fondant sur le droit à la libre circulation, ses liens avec la Belgique étant par ailleurs évidents (nationalité, domicile, études).

Quant à l’ONEm, il exige 6 années d’études secondaires en Belgique. Quant à la jurisprudence d’HOOP, il estime qu’elle n’est pas applicable et que le lien suffisamment fort avec la Belgique n’est pas établi.

Avis de l’Auditorat

L’Auditeur du travail considère qu’il y a un lien réel avec la Belgique, et ce non seulement eu égard aux études et à la nationalité, mais également à la circonstance que la demande d’insertion va déboucher sur l’intégration du marché du travail belge. Pour l’Auditeur du travail, il y a manque de proportionnalité dans l’exigence de 6 années d’études et ceci n’est pas conforme au droit communautaire.

La décision du tribunal

Le tribunal constate que la demanderesse a un diplôme délivré par une Communauté, diplôme établissant l’équivalence au certificat E.S.S., et que la contestation de l’ONEm porte sur les études suivies préalablement.

Il constate ensuite que les parties tirent des conclusions différentes de la jurisprudence d’HOOP, qui avait admis que lier l’octroi des allocations d’attente (à l’époque) à la condition d’avoir obtenu le diplôme requis en Belgique aboutissait à désavantager certains ressortissants nationaux du seul fait qu’ils avaient exercé leur liberté de circulation pour étudier dans un autre Etat de l’Union. Une telle inégalité de traitement avait été considérée comme incompatible avec le droit communautaire. Elle avait admis que, si le législateur belge peut poursuivre un but légitime, qui est de s’assurer de l’existence d’un lien réel avec le marché du travail, la condition posée, relative au lieu d’obtention du diplôme de fin d’études secondaires, ne pouvait être acceptée. Celle-ci va en effet au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

Le tribunal rappelle ensuite que l’article 18 T.F.U.E. (précédemment 12 T.C.E.) interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité. Aussi faut-il examiner si la différence de traitement établie en l’espèce poursuit un but légitime et si le critère de distinction est objectif.

Il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège (section Namur) du 9 septembre 2014 (C. trav. Liège, sect. Namur, 9 septembre 2014, Justel, n° F-20140909-7), qui a abordé plus précisément une question comparable à celle du cas d’espèce, étant la discrimination entre belges. Dans cet arrêt, les parents du demandeur s’étaient déplacés uniquement en-dehors de l’Union européenne et ne pouvaient trouver un appui dans le droit de l’Union. La cour du travail avait dès lors examiné la différence de traitement dans cette situation et avait conclu que ce critère de distinction n’était pas suffisamment pertinent pour s’assurer de l’existence d’un lien réel avec le marché du travail belge.

La condition relative à la présence et aux études en Belgique dans la période antérieure aux 5 dernières années intervient en effet sans considération aucune pour la proximité du demandeur d’allocations avec la Belgique au moment où il introduit sa demande. La cour du travail avait également fait valoir d’autres motifs, étant qu’il était fait abstraction des études supérieures elles-mêmes et que le caractère exclusif du lieu d’accomplissement de celles-ci ne permettait pas de tenir compte d’autres éléments plus concrets, de nature à établir le lien réel avec le marché belge. Elle avait conclu à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but poursuivi. Aussi, la disposition avait-elle, dans cet arrêt de la Cour du travail de Liège, été écartée en application de l’article 159 de la Constitution.

Après avoir longuement repris le raisonnement de la Cour, le tribunal considère qu’il doit statuer dans le même sens. Il motive sa décision par trois considérations, étant (i) que la condition de résidence ne tient pas compte de la réalité de la proximité du marché du travail belge, (ii) qu’il est ainsi fait abstraction des études supérieures en Belgique (critère pourtant important dans l’établissement d’un lien étroit avec ce marché) et que (iii) ce critère empêche la prise en compte d’autres circonstances de nature, elles, cependant, à établir ce lien.

Le tribunal se penche, ensuite, sur les éléments de fait du litige, retenant qu’en l’espèce, un lien réel avec le marché du travail belge existe, et ce pour les motifs donnés par l’intéressée elle-même. Il conclut à une disposition discriminatoire et l’écarte sur une double base, étant les articles 159 de la Constitution et 18 T.F.U.E. La décision de l’ONEm est annulée, la condition d’études étant remplie.

Intérêt de la décision

Le tribunal exerce, dans ce jugement, un contrôle de proportionnalité, dans le cadre de l’existence – non contestée – d’une distinction dans les conditions d’admissibilité des allocations d’insertion. Il se fonde à la fois sur un arrêt inédit de la Cour du travail de Liège (dont référence ci-dessus), ainsi que sur l’arrêt d’HOOP de la Cour de Justice de l’Union européenne. L’on se souviendra que, dans cette affaire, le Tribunal du travail de Liège avait interrogé la Cour de Justice sur la même disposition. L’intéressée, de nationalité belge, avait terminé ses études secondaires en France et avait obtenu un baccalauréat. Ce diplôme avait été reconnu en Belgique comme étant équivalent au certificat homologué d’établissement secondaire supérieur, accompagné du diplôme homologué d’aptitude pour accéder à l’enseignement supérieur. Après ses études universitaires en Belgique (4 ans), elle avait sollicité le bénéfice des allocations d’attente et celles-ci avaient été refusées. Dans sa décision, la Cour de Justice avait dit pour droit que le droit communautaire s’oppose à ce qu’un Etat membre refuse à l’un de ses ressortissants, étudiant, à la recherche d’un premier emploi, les allocations d’attente au seul motif que cet étudiant a terminé ses études secondaires dans un autre Etat membre.

Sur le droit des ressortissants européens aux allocations d’insertion, il peut encore utilement être renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2013 (Cass., 8 avril 2013, n° S.10.0057.F – précédemment commenté), ainsi qu’à l’arrêt de la C.J.U.E. du 25 octobre 2012 (C.J.U.E., 25 octobre 2012, C-367/11).


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