Terralaboris asbl

Examen d’une discrimination en matière d’octroi d’une pension de retraite (régime professionnel)

Commentaire de C.J.U.E., 16 juin 2016, Aff. n° C-159/15 (LESAR c/ BEIM VORSTAND DER TELEKOM AUSTRIA AG EINGERICHTETES PERSONALAMT)

Mis en ligne le mardi 25 octobre 2016


Cour de Justice de l’Union européenne, 16 juin 2016, Aff. n° C-159/15 (LESAR c/ BEIM VORSTAND DER TELEKOM AUSTRIA AG EINGERICHTETES PERSONALAMT)

Terra Laboris

Par arrêt du 16 juin 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne est saisie d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 2 et 6 de la Directive 2000/78/CE du Conseil, à l’occasion d’un litige de droit autrichien posant une question de discrimination possible dans les conditions d’octroi des pensions de retraite des fonctionnaires et du montant de celles-ci.

Rétroactes

Un fonctionnaire autrichien a commencé à travailler pour l’administration des postes avant l’âge de 18 ans (contrat d’apprentissage). Il a ensuite été engagé comme agent contractuel et a poursuivi parallèlement des études. Il a en fin de compte acquis une position statutaire. Avant d’avoir la qualité de fonctionnaire, il a versé des cotisations dans le secteur des pensions de retraite, en ce compris pour la période avant l’âge de 18 ans. Il a été admis au bénéfice de la retraite en 2004. Dans le calcul de sa carrière, n’ont pas été prises en compte les prestations initiales. Il s’agit de celles relatives à la période d’apprentissage, ainsi que les périodes antérieures à l’entrée en service et accomplies avant l’âge de 18 ans.

Se pose la question de la justification de cette différence de traitement. La Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) pose dès lors à la Cour de Justice la question préjudicielle correspondante.

Il s’agit, pour la Cour, d’un examen de la conformité de la législation nationale avec les articles 2, §§ 1er et 2, a), ainsi que 6, § 1er, de la Directive n° 2000/78/CE : la réglementation nationale qui exclut la prise en compte des périodes d’apprentissage et de travail accomplies par un fonctionnaire avant ses 18 ans aux fins de l’octroi du droit à la pension ainsi que pour le calcul du montant de celle-ci est-elle conforme aux dispositions ci-dessus, alors que les mêmes périodes sont prises en compte lorsqu’elles sont accomplies après qu’il a atteint cet âge.

Il s’agit, pour la Cour de Justice, d’une question relative aux rémunérations des fonctionnaires, au sens de l’article 3, § 1er, c), de la Directive.

La Cour constate que la réglementation autrichienne réserve un traitement moins favorable aux personnes dont l’expérience professionnelle a été – même partiellement – acquise avant l’âge de 18 ans. Il y a dès lors une différence de traitement évidente en fonction de l’âge auquel l’expérience professionnelle a été acquise. Ainsi, deux personnes qui ont suivi les mêmes études et ont acquis la même expérience professionnelle peuvent se voir traiter de manière différente uniquement en fonction de leur âge. C’est une différence de traitement directe fondée sur l’âge.

Se pose, dès lors, l’examen de la justification d’une telle différence de traitement au regard de l’article 6, § 2. Le juge national n’a pas visé cette disposition, mais ceci ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à celui-ci tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent lui être utiles. Que la disposition figure ou non dans le libellé de la question n’intervient dès lors pas.

L’article 6 autorise les Etats à prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, dans des régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations (retraite ou invalidité). Cependant, de telles dispositions – qui constituent une exception au principe général d’interdiction de discrimination en fonction du critère de l’âge – doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. Ainsi, cette exception ne peut couvrir que les régimes professionnels de sécurité sociale visés, à savoir les risques de vieillesse et d’invalidité. En outre, seuls certains éléments de ces régimes professionnels y sont expressément mentionnés.

Il faut dès lors voir s’il s’agit ici de fixation (…) d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité.

La notion de « régimes professionnels de sécurité sociale » n’est pas définie dans la Directive n° 2000/78/CE, mais dans la Directive n° 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail. Il s’agit des régimes non régis par la Directive 79/7/CEE du Conseil du 18 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale et qui ont pour objet de fournir aux travailleurs (indépendants ou salariés) au niveau d’une entreprise, d’un groupe d’entreprises, ou encore d’une branche économique ou d’un secteur (inter)professionnel des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux ou à s’y substituer.

Il s’agit bien d’un tel régime en l’espèce, puisque les fonctionnaires fédéraux sont exclus du régime de l’assurance retraite générale eu égard à leur emploi dans la fonction publique fédérale. La réglementation en cause est donc admise comme constituant une expression de la liberté dont disposent les Etats membres de fixer un âge d’adhésion déterminé dans le cadre d’un régime professionnel. Non seulement, l’Etat membre est libre dans un tel système de fixer des âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs, mais également de fixer un âge d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations. La réglementation est dès lors considérée comme conforme à l’article 6, § 2, de la Directive n° 2000/78.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt de la Cour de Justice est d’avoir rappelé ce qu’il faut entendre par régime professionnel de sécurité sociale au sens de la Directive 2000/78/CE. Celle-ci ne définit pas le concept, mais renvoie à la Directive n° 2006/54/CE. Il faut dès lors entendre par régime professionnel de sécurité sociale celui qui n’est pas visé comme régime général au sens de la Directive n° 79/7/CEE et qui a pour objet de compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou de s’y substituer, et ce s’agissant de travailleurs salariés ou indépendants susceptibles d’en bénéficier dans le cadre d’une entreprise, d’un groupement, d’une branche économique ou d’un secteur (inter)professionnel.

Dans cet arrêt, la Cour de Justice renvoie notamment à l’arrêt FELBER (C.J.U.E., 21 janvier 2015, Aff. n° 529/13, FELBER c/ BUNDESMINISTERIN FÜR UNTERRICHT, KUNST UND KULTUR). Dans cette affaire, statuant également dans le cadre des mêmes dispositions de la Directive n° 2000/78/CE, la Cour de Justice avait admis qu’une réglementation nationale pouvait exclure la prise en compte de périodes de scolarité accomplies par un fonctionnaire avant l’âge de 18 ans aux fins de l’octroi du droit à la pension et du calcul de celle-ci, dans la mesure où elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et du marché du travail et que, par ailleurs, elle constitue un moyen approprié et nécessaire pour la réalisation de cet objectif.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be