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Occupation à temps partiel : articulation des sanctions

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 mai 2016, R.G. 2015/AL/290

Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016


Cour du travail de Liège (division Liège), 9 mai 2016, R.G. 2015/AL/290

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 mai 2016, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine l’articulation entre les sanctions prévues aux articles 22ter et 22quater de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs, posant plus précisément la question de la nature des sommes versées par l’employeur à l’O.N.S.S. au titre de la régularisation prévue par l’article 22ter.

Les faits

Un exploitant d’un établissement HORECA occupant du personnel salarié fait l’objet de plusieurs contrôles de l’Inspection sociale fédérale. Suite à la non-déclaration de personnel, il rentre – tardivement – une Dimona et procès-verbal est dressé.

Un second contrôle permet de constater la présence d’un membre du personnel, supposé travailler à temps partiel. Si l’horaire variable prévu au contrat de travail est affiché, la farde « horaires et dérogations » est vide, de telle sorte qu’il n’est pas possible de vérifier la concordance du temps de présence avec l’horaire légal. Un nouveau procès-verbal est rédigé.

En conséquence, pour le premier procès-verbal, l’O.N.S.S. réclame une cotisation forfaitaire de solidarité pour le trimestre de la constatation (cotisation calculée sur une base forfaitaire égale au triple des cotisations de base sur le RMMMG). Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Par ailleurs, l’O.N.S.S. calcule les cotisations pour le travailleur occupé comme s’il avait été à temps plein et introduit une action devant le tribunal du travail en paiement des cotisations de régularisation en application de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969.

Le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rend un jugement le 16 février 2015, faisant droit à la demande de l’Office.

Appel est interjeté sur les deux volets du litige, étant d’une part la cotisation de solidarité et de l’autre la régularisation sur pied de l’article 22ter.

La décision de la cour

Sur le premier poste, la cour rappelle l’article 22quater de la loi, qui contient le mécanisme légal relatif à la cotisation de solidarité. La Cour constitutionnelle a considéré dans un arrêt du 1er mars 2012 (C. const., 1er mars 2012, n° 28/2012) qu’il s’agit d’une mesure civile. Elle n’a donc pas une fonction répressive et s’explique par le souci du législateur de réparer un dommage évalué forfaitairement. Il ne s’agit cependant pas d’une cotisation « ordinaire » de sécurité sociale et le montant élevé de cette cotisation –supérieur à la stricte réparation – s’explique par la volonté de couvrir également les frais administratifs liés au constat de l’infraction de non-paiement. La cour renvoie également ici aux travaux préparatoires de la loi-programme du 22 décembre 2008 (Doc. parl., Sénat, 2008-2009, n° 4-1050/3) à cet égard. Il s’agit de sanctionner un comportement qui a occasionné un travail supplémentaire pour l’O.N.S.S.

La cour en vient, ensuite, à l’articulation entre cette cotisation et la sanction du non-respect de l’article 22ter, qui concerne les règles sur l’affichage des horaires.

La présomption en la matière, selon laquelle, à défaut de publicité des horaires normaux des travailleurs concernés, ceux-ci sont présumés effectuer des prestations de travail à temps plein, sauf impossibilité matérielle d’effectuer celles-ci, est réfragable, ainsi que l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2011 (Cass., 7 février 2011, n° S.10.0056.N), auquel renvoie encore un autre arrêt de la Cour constitutionnelle (C. const., 17 novembre 2011, n° 178/2011). Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a relevé explicitement que la présomption n’est pas applicable lorsque l’Inspecteur social constate qu’il est matériellement impossible pour les travailleurs concernés d’effectuer leurs prestations à temps plein. Elle n’est dès lors pas irréfragable. Le texte de l’article 22ter a d’ailleurs été modifié explicitement par la suite, confirmant son caractère.

La cour relève que l’employeur est donc admissible à renverser la présomption, c’est-à-dire à démontrer que le travailleur à temps partiel n’a pas effectué ses prestations à temps plein. La preuve contraire n’implique pas de prouver l’importance des prestations effectivement exécutées dans le cadre du temps partiel.

La cour examine, ainsi, les éléments apportés par l’employeur sur les conditions concrètes de l’exécution du contrat et rejette, sur ce point, une demande de preuve par témoins. Elle rappelle que le juge dispose à cet égard d’un pouvoir d’appréciation souverain en fait et que, en l’occurrence, l’objet de la preuve (qui porterait sur la présence ou l’absence du travailleur pendant la période complète d’ouverture de la brasserie – dans ses parties publiques ou privées) ne pourrait qu’être suspecte de complaisance, devant nécessairement émaner de proches.

La preuve contraire n’étant pas rapportée à suffisance de droit, la cour en vient à l’articulation entre les articles 22ter et 22quater de la loi, l’intéressé considérant que les sanctions ne peuvent être cumulées.

Tout en déplorant le peu de doctrine et de jurisprudence sur la question, la cour considère que, si la cotisation de solidarité doit être considérée comme une simple réparation civile, à plus forte raison, ceci doit-il être le cas pour une régularisation non forfaitaire. La nature des cotisations de régularisation de l’article 22ter doit dès lors être définie. Elle pose dès lors diverses questions aux parties, attirant l’attention sur l’arrêt de la Cour de cassation du 29 février 2016 (Cass., 29 février 2016, S.15.0052.F), dont l’enseignement peut être utile pour la poursuite de l’examen du dossier.

Elle conclut que, si elle a réglé la question du non-renversement de la présomption d’occupation à temps plein et rejeté l’offre de preuve, ainsi qu’estimé que la nature civile de la régularisation fait obstacle à l’application du principe non bis in idem, elle doit être éclairée sur l’article 22ter : a-t-il le caractère de sanction civile ou de simple réparation de la régularisation ?

De la réponse à cette question dépendra le règlement des derniers points du litige.

Intérêt de la décision

La question abordée en l’espèce par la Cour du travail de Liège est certes intéressante, étant relative à l’articulation entre l’article 22ter et l’article 22quater de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs.

L’on notera qu’elle renvoie à un récent arrêt de la Cour de cassation (Cass., 29 février 2016, n° S.15.0052.F – précédemment commenté), dans lequel elle a rappelé la portée de la présomption d’occupation à temps plein, celle-ci ne valant que vis-à-vis de l’O.N.S.S. et étant étrangère aux parties à la relation de travail elle-même. La Cour y avait cassé un arrêt de la Cour du travail de Mons du 2 juin 2014 (C. trav. Mons, 2 juin 2014, R.G. 2013/AM/350 – également précédemment commenté).


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