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Accident du travail et stress : une mise au point de la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 avril 2016, R.G. 2013/AB/845

Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 18 avril 2016, R.G. 2013/AB/845

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 avril 2016, la Cour du travail de Bruxelles fait une synthèse complète des principes en matière d’événement soudain, et ce dans l’hypothèse d’un décès survenu suite à un stress et en présence d’un état antérieur. Elle y rappelle également le jeu de la présomption de causalité et la mission à donner à l’expert dans le cadre du renversement de celle-ci.

Les faits

Un ingénieur travaillant dans une société d’électronique est amené à effectuer une visite professionnelle chez un client important, à la demande de son employeur. Ceci, dans le cadre d’un appui à ce collègue et aux fins de faire face à une échéance proche et à un surcroît de travail.

Lors de cette visite, il a un malaise, mais poursuit son travail. Il demande à son collègue de le ramener chez lui avant la fin de la journée de travail. En route, il perd connaissance. Le SMUR, appelé sur place, conclut à un problème cardiaque. L’intéressé décède très rapidement.

L’assureur de l’employeur considère qu’il n’y a pas accident du travail, dans la mesure où il n’est pas possible d’identifier un fait accidentel précis localisable dans le temps et dans l’espace et où le décès est dû à un état antérieur connu et en aggravation, aucun lien n’étant démontré avec l’activité professionnelle.

La veuve introduit un recours devant le tribunal du travail, qui le rejette, par jugement du 25 juin 2013.

Elle interjette appel.

La décision de la cour

La contestation porte sur l’existence d’un accident du travail, eu égard aux éléments ci-dessus. La cour rappelle les principes, en ce compris les présomptions légales (présomption d’exécution et présomption de causalité). Les éléments à charge de la victime sont la survenance de l’événement soudain, dans le cours de l’exécution du contrat de travail et l’existence d’une lésion. Une fois ces éléments établis, elle bénéficie des deux présomptions légales, celles-ci pouvant être renversées par l’assureur, étant que soit l’accident n’est pas survenu par le fait de l’exécution du contrat (article 7), soit qu’il n’y a pas de lien de causalité entre l’événement soudain et la lésion (article 9).

Après avoir repris les principes directeurs de la notion d’événement soudain, dont celui de l’absence d’exigence d’une gravité particulière ou d’un caractère exceptionnel (la jurisprudence de la Cour de cassation admettant le fait de se baisser pour ramasser une carte, le fait pour une infirmière de faire un lit, la rédaction d’un rapport, la manipulation d’une raclette, le fait de perdre ses lunettes en se penchant, ou encore le mouvement effectué pour tordre une serpillière), la cour en vient à la question de savoir si le stress professionnel lié à la fonction exercée ou à des conditions de travail inhérentes à celle-ci peut constituer un tel événement soudain.

Tel ne sera pas le cas s’il s’agit d’un état qui perdure depuis longtemps mais, par contre, il peut constituer un tel événement lorsqu’il y a eu des conditions inhabituelles particulièrement stressantes peu de temps avant que la lésion ne se produise.

La lésion, définie par la Cour de cassation comme « tout ennui de santé », ne peut être écartée d’emblée que si elle est indubitablement sans aucun lien avec l’événement soudain.

La présomption de causalité joue, mais elle pourra cependant être renversée.

La cour rappelle, sur le lien causal, que celui-ci peut être partiel et que, dans la mesure où la lésion résulte de la combinaison des effets de l’événement soudain et d’une autre cause (dont un état pathologique antérieur), il y a d’une part accident du travail et, d’autre part, obligation de réparer entièrement le dommage.

Si l’assureur apporte la preuve que la lésion trouve sa cause exclusive dans un autre événement ou une prédisposition pathologique, non modifiée – même partiellement – par l’accident, la présomption sera alors renversée.

En l’espèce, les éléments constitutifs de l’accident du travail son présents. La cour retient que l’intéressé travaillait généralement dans un environnement bien connu, qu’il n’effectuait pas de longs trajets et qu’il a, ce jour, dû accomplir une mission dans un environnement qu’il ne connaissait pas, qu’il a dû faire un trajet assez long, rencontrer des personnes inconnues, etc. Il s’agit de circonstances particulières, soit inhabituelles, qui ont induit une certaine tension dans son chef.

Tout ceci a entraîné un stress qualifié de modéré (dans la mesure où il n’y a eu aucun incident particulier signalé). C’est ce stress modéré qui constitue, dans les circonstances particulières et inhabituelles de la journée en cause, l’événement soudain.

L’assureur restant en défaut de renverser la présomption légale, étant qu’il n’établit pas que l’accident se serait produit de la même manière et avec la même ampleur sans l’événement soudain retenu, la présomption n’est à ce stade pas renversée. La cour souhaite, cependant, l’avis d’un expert sur la question. Elle désigne dès lors un cardiologue, afin de dire si, à son avis, avec un haut degré de vraisemblance médicale, tout lien causal, total ou partiel, peut être exclu entre l’événement soudain et les lésions survenues.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, qui condense les principes relatifs à la définition de l’accident du travail, fait une correcte application de la jurisprudence (constante) de la Cour de cassation sur la définition de l’événement soudain.

La cour y distingue, en ce qui concerne l’hypothèse d’un stress professionnel, l’état qui perdurerait et qui serait inhérent à la fonction exercée, ainsi qu’aux responsabilités, hypothèse dans laquelle il ne pourrait y avoir un événement soudain que si, en outre, était apportée la preuve de l’existence d’un fait précis susceptible d’avoir entraîné la lésion et une situation stressante dans laquelle la victime était placée peu avant la survenance de la lésion.

Par ailleurs, celle-ci présentant en l’espèce un état antérieur (pathologie cardiaque et traitement médicamenteux), la cour confie à un expert médecin la mission de déterminer si le lien entre la lésion constatée et l’événement soudain est exclu. L’on notera qu’il s’agit là d’une juste application du mécanisme de la présomption légale de causalité. Tant qu’elle n’est pas renversée, elle s’applique, même en cas de doute. La mission à confier à un expert dans une telle hypothèse n’est dès lors pas de dire s’il y a un lien avec l’événement soudain retenu, mais de dire si ce lien est exclu.


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