Commentaire de C.J.U.E., 19 avril 2016, Aff. n° C-441/14
Mis en ligne le vendredi 28 octobre 2016
Cour de Justice de l’Union européenne, 19 avril 2016, Aff. n° C-441/14
Terra Laboris
Par arrêt du 19 avril 2016, la Cour de Justice de l’Union européenne répond à deux questions préjudicielles posées par la Cour suprême du Danemark à l’occasion d’un litige opposant un employé à son ex-employeur suite à la rupture du contrat de travail à l’âge de l’ouverture du droit à la pension de vieillesse : la Cour rappelle les règles relatives à l’application directe d’une directive dans un litige entre particuliers, ainsi que les pouvoirs des juridictions dans le cadre des obligations imposées par celle-ci.
Les faits
Un employé (danois) est licencié par son employeur à l’âge de 60 ans. Il présente sa démission peu de temps après. Les parties conviennent d’une date de départ, étant environ un mois plus tard. Il est alors engagé par une autre entreprise.
Ayant à cet âge le droit à une pension de vieillesse, il ne peut prétendre à l’indemnité de licenciement (3 mois) prévue dans l’hypothèse de licenciement d’un travailleur âgé (avec conditions d’octroi).
Une action est introduite par son syndicat en son nom aux fins d’obtenir le paiement de cette indemnité, l’organisation s’appuyant sur l’arrêt de la Cour de Justice du 12 octobre 2010 (C.J.U.E, 12 octobre 2010, Aff. n° C-499/08, INGENIØRFORENINGEN I DANMARK).
Ce recours aboutit devant le premier juge, qui constate une discrimination interdite fondée sur l’âge. Appel est interjeté, au motif notamment de la clarté de la règle, qui ne peut être écartée sous peine de violer les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique. L’employeur, appelant, fait également valoir que, s’agissant d’un litige entre particuliers, l’on ne peut reconnaître un effet direct aux dispositions de la Directive 2000/78.
Le juge de renvoi décide dès lors d’interroger la Cour de Justice, dans la mesure où, conformément aux conditions du droit national, l’employeur est libéré de l’obligation de payer cette indemnité alors que celle-ci est réclamée sur la base d’un principe général du droit de l’Union, qui est l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge.
Elle pose dès lors plusieurs questions, la première étant de déterminer si le principe général de non-discrimination a le même contenu et la même portée que la directive elle-même ou si celle-ci prévoit une protection plus étendue. Elle pose également, en cas d’identité de contenu et de portée, la question de l’application de la jurisprudence MANGOLD (C.J.U.E., 22 novembre 2005, Aff. n° C-144/04, MANGOLD) et KÜCÜKDEVECI (C.J.U.E., 19 janvier 2010, Aff. n° C-555/07, KÜCÜKDEVECI). La question porte sur l’application directe du principe communautaire, celui-ci devant être mis en balance avec le principe de sécurité juridique et son corollaire, la protection de la confiance légitime.
La première question est relative à la compatibilité de la réglementation danoise avec le principe général du droit de l’Union d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge et la seconde concerne les pouvoirs du juge national d’effectuer une mise en équilibre du principe communautaire (et de son effet direct) avec celui de la sécurité juridique (et son corollaire, la protection de la confiance légitime).
La décision de la Cour
La Cour conclut, sur la première question, que le principe général de non-discrimination en fonction de l’âge, tel que concrétisé par la Directive 2000/78, s’oppose à une réglementation nationale telle que celle qui est soumise à son examen, en vertu de laquelle des travailleurs éligibles à une pension de vieillesse au titre d’un régime de pension auquel ils ont adhéré ne peuvent, de ce fait, bénéficier d’une indemnité de licenciement dont le but est de favoriser la réinsertion professionnelle des travailleurs ayant une ancienneté importante (plus de 12 ans dans l’entreprise). C’est la jurisprudence INGENIØRFORENINGEN I DANMARK.
Elle précise que le principe général de non-discrimination est une expression particulière du principe fondamental d’égalité de traitement. En conséquence, l’interdiction de discrimination concrétisée par la Directive 2000/78 s’applique également dans un litige entre particuliers et s’oppose à une réglementation nationale qui prive un employé de cette indemnité de protection dès lors qu’il peut prétendre à une pension de vieillesse.
Sur la deuxième question, elle rappelle la jurisprudence selon laquelle, dans l’hypothèse visée, le juge national doit assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et garantir le plein effet de celles-ci. Si, dans les litiges entre particuliers, une directive ne peut pas par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut être invoquée en tant que telle à son encontre, la Cour rappelle qu’elle a régulièrement jugé que l’obligation des Etats, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que de prendre toutes mesures générales propres à en assurer l’exécution s’impose à toutes les autorités étatiques, en ce compris aux autorités juridictionnelles.
Le juge national, appelé à interpréter le droit de l’Union, doit dès lors prendre en considération l’ensemble des règles de ce droit et faire une interprétation du droit national conforme à la finalité du texte. Ce principe d’interprétation conforme du droit national a certes des limites, mais il impose aux juridictions nationales de modifier le cas échéant une jurisprudence établie si celle-ci est fondée sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs de la directive.
Elle pointe particulièrement son arrêt du 15 janvier 2014 (C.J.U.E, Aff. n° C-176/12, ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE), dans lequel elle a réaffirmé que le principe de non-discrimination en fonction de l’âge constitue un droit subjectif qui peut être invoqué même dans des litiges entre particuliers et qui oblige les juridictions nationales à écarter l’application des normes non conformes.
Enfin, sur la question de la confiance légitime, ce principe ne peut pas intervenir, dans la mesure où le droit de l’Union doit être appliqué par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande.
Le juge national doit dès lors privilégier l’interprétation du droit national conforme à la directive ou, si celle-ci s’avère impossible, laisser inappliquée la disposition nationale contraire au principe général de non-discrimination. Il ne peut accorder la primauté à la protection de la confiance du particulier, en l’occurrence l’employeur, qui s’est conformé au droit national.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour de Justice revient sur la question de l’applicabilité directe des directives entre particuliers et la Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence générale, étant qu’une directive ne peut pas, dans le cadre d’un litige entre particuliers, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un individu et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre. C’est la jurisprudence des arrêts MARSHALL (C.J.U.E, 26 février 1986, Aff., n° C-152/84, MARSHALL), FACCINI (C.J.U.E., 14 juillet 1994, Aff. n° C-91/92, FACCINI) et PFEIFFER e.a. (C.J.U.E., 5 octobre 2004, Aff. n° C-397/01 à C-403/01, PFEIFFER). Les autorités juridictionnelles doivent cependant, dans le cadre de leurs compétences, prendre toutes mesures propres à assurer l’exécution de l’obligation à charge des Etats membres découlant d’une directive d’atteindre le résultat prévu, ainsi toutes mesures générales ou particulières aux fins d’en assurer l’exécution.
La Cour y précise encore que l’égalité de traitement est un droit fondamental, dont l’interdiction de discrimination sur la base de l’âge est une forme et que ce principe général de non-discrimination, expression particulière de ce droit fondamental a, pour sa part, été formalisé dans la Directive 2000/78.
Renvoyons également sur cette réglementation danoise à un autre arrêt récent de la Cour de Justice (C.J.U.E., 26 février 2015, C-515/13 (INGENIØRFORENINGEN I DANMARK c/ TEKNIQ – précédemment commenté), où celle-ci avait admis que restreindre l’indemnité spéciale de licenciement aux seuls travailleurs qui ne vont pas, à la date de leur licenciement, bénéficier d’une pension de retraite du régime général n’apparaît pas déraisonnable.