Terralaboris asbl

Indemnité de non concurrence et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2007, R.G. 46.627

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 5 septembre 2007, R.G. 46.627

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 5 septembre 2007, la Cour du travail de Bruxelles se prononce sur l’assujettissement d’une indemnité de non concurrence, payée en vertu d’une convention entre un travailleur et une société filiale de l’employeur, qui l’avait occupé dans le cadre d’un détachement temporaire. Relevant que l’ONSS ne prouve pas de « fraude », la Cour confirme la non débition des cotisations sur l’indemnité. Elle se prononce par ailleurs sur les effets de l’absence de motivation formelle de l’avis rectificatif.

Les faits

Monsieur M. est occupé depuis 1970 par une société. Il est détaché auprès d’une filiale de son employeur, où il exerce des fonctions de direction.

Le détachement prend fin le 25 mars 2006. Il « retourne » auprès de son employeur, jusqu’au 3 mai 2006, date à laquelle il est licencié moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 16 mois. Une convention, emportant renonciation aux droits, est signée dans ce cadre le 6 mai.

Le 10 mai, Monsieur M. et la filiale pour laquelle il a presté signent une convention de non concurrence, avec clause de confidentialité. Moyennant un engagement de non concurrence de 24 mois, il perçoit une indemnité de plus de 5 millions d’anciens francs belges. Aucune cotisation de sécurité sociale n’est versée.

L’ONSS, estimant que cette indemnité constitue une rémunération passible de cotisations, émet un avis rectificatif, qui n’évoque que la disposition légale appliquée.

Vu la contestation de la filiale, l’ONSS cite la société devant le Tribunal, en paiement des cotisations, majorations et intérêts (respectivement de 64.227,23 €, 6.422,73 € et 21.071, 23 €).

La décision du tribunal

Le Tribunal estima que l’avis rectificatif est une décision au sens de la loi du 29 mars 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Vu l’absence de motivation formelle, l’avis rectificatif est annulé. Le Tribunal statue cependant au fond. Se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2003 (R.G. S030028N), le Tribunal estime que l’indemnité de non concurrence, prévue par une convention conclue postérieurement à la cessation du contrat de travail, n’est pas soumise aux cotisations de sécurité sociale lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. l’indemnité n’est pas allouée à un travailleur (l’intéressé ne devant plus être au service de l’employeur),
  2. elle n’est pas allouée en raison de la relation de travail,
  3. elle a pour origine une convention, actant la renonciation par le travailleur à un droit (étant le droit de concurrence loyale),
  4. elle ne constitue pas une indemnité de rupture déguisée.

Le Tribunal constate que les 3 premières conditions sont réunies, tandis que la preuve d’un avantage rémunératoire de la cessation du contrat n’est pas rapportée par l’ONSS. Il se fonde à cet égard sur le fait que l’indemnité est allouée par un être juridique différent de l’employeur (le débiteur de l’indemnité de rupture), qui n’était lui-même redevable d’aucune indemnité de rupture.

La position des parties devant la Cour

L’ONSS interjette appel de la décision, critiquant la position du Tribunal quant à l’applicabilité de l’obligation de motivation formelle de l’avis rectificatif (citant Cass., 18 déc. 2000, Chron. D.S., 2001, 192).
Sur le fond, il soutient que l’indemnité de non concurrence est une indemnité de rupture déguisée. Il se fonde à cet égard sur le caractère modeste de l’indemnité payé par l’employeur (nettement inférieure à l’indemnité à laquelle il aurait pu prétendre, fixée par l’Office entre 30 et 35 mois de rémunération) mais également sur la chronologie des faits (rupture du contrat après la fin du détachement).

La société fait quant à elle grief au jugement de ne pas avoir déclaré la procédure irrecevable. Selon elle, dès lors que la décision d’assujettissement est nulle, pour défaut de motivation formelle, l’ONSS ne peut citer, l’introduction de la procédure supposant une décision valable actant l’existence de cotisations dues. A titre subsidiaire, elle demande que soit posée une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, fondée sur le caractère discriminatoire de l’absence de motivation de la décision de rectification alors que, en la matière, l’ONSS dispose d’un pouvoir discrétionnaire.
Sur le fond, elle demande la confirmation du jugement, rappelant qu’elle avait un motif sérieux pour la conclusion de la convention (éviter que la concurrence se serve du savoir et de l’expérience de Monsieur M.), qu’elle n’était pas l’employeur et n’était, vu que la fin du détachement a été convenu d’un commun accord, pas redevable d’une indemnité de rupture, qu’il s’agit d’êtres juridiques différents, que les circonstances dans lesquelles l’indemnité de rupture a été fixée d’un commun accord entre Monsieur M. et son employeur sont inconnues, la société employeur n’étant pas à la cause, et que, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 24 mai 2004, J.T.T., 2004, 359 ; Cass., 27 sept. 2004, J.T.T., 2005, 85), dès lors que l’accord est conforme au minimum légal, l’ONSS (tiers à la convention) n’a pas a apprécier le caractère raisonnable ou non de celui-ci, le seul critère pertinent étant le respect du minimum légal.

La décision de la Cour

Quant à la régularité de la décision rectificative et de la procédure

Se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation et le fait que l’ONSS ne demande pas aux juridictions du travail de donner effet à l’avis rectificatif mais de condamner l’employeur au paiement des cotisations de sécurité sociale, les saisissant ainsi d’une contestation portant sur la débition de ces cotisations, la Cour estime que l’éventuelle nullité de l’avis rectificatif n’a pas d’incidence sur sa saisine.

Quant à la question préjudicielle, la Cour l’estime inutile, dès lors que la demande dont elle est saisie est celle formée par la citation elle-même, qui ne constitue pas une décision administrative et dont la motivation est régie par l’article 702, 3° du Code judiciaire.

Quant à l’assujettissement de l’indemnité de non concurrence

A l’instar du Tribunal, la Cour se prononce sur le fond. Elle relève que la contestation de l’ONSS quant au jugement porte sur la preuve de ce que l’indemnité litigieuse est une indemnité de « rupture » déguisée, et trouve ainsi sa source dans le contrat de travail.

La Cour, relevant les arguments présentés par la société, estime que la preuve de ce que l’indemnité versée l’était en raison de la rupture du contrat de travail n’est pas rapportée par l’ONSS.

Intérêt de la décision

L’arrêt bien motivé et charpenté est un instrument utile pour apprécier les deux questions juridiques posées par le cas de figure (conséquences juridiques de l’absence de motivation formelle de l’avis rectificatif et débition des cotisations sur une indemnité de non concurrence).

Sur ce dernier point, l’argumentation de la société apparaît imparable. L’on peut s’interroger sur les possibilités de l’ONSS de vérifier que ce type de situation ne cache pas une fraude sociale. Il apparaît à tout le moins de l’arrêt qu’une instruction en profondeur auprès de la société employeur, la société utilisatrice et du travailleur s’avère nécessaire, la charge de la preuve n’étant guère aisée. Il aurait ainsi sans aucun doute été utile d’investiguer sur les raisons de la fin du détachement (et les conditions de celui-ci), l’existence d’une fonction à exercer au sein de la société employeur, les circonstances de l’accord sur le préavis (expliquant la fixation à un niveau inférieur à une fixation judiciaire), etc.


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