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Vente de bijoux en activité accessoire : nature de la convention

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 12 août 2016, R.G. 13/697/A

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Tribunal du travail de Liège, division Dinant, 12 août 2016, R.G. 13/697/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 12 août 2016, le tribunal du travail de Liège (division Dinant) fait un examen comparé des conditions du contrat de travail - plus spécifiquement du contrat de représentant de commerce -, du contrat d’agence commerciale et du contrat d’entreprise, s’agissant d’une activité accessoire de présentation de bijoux.

Les faits

Le tribunal du travail est saisi après que, en cette affaire, le Tribunal de Première Instance s’est déclaré incompétent ratione materiae et lui a renvoyé la cause, s’agissant d’une matière de contrat de travail.

Celui-ci doit dès lors examiner l’existence d’un tel contrat dans une relation commerciale ayant opposé une société à une personne, engagée comme « conseillère ». L’activité de la société est la fourniture de bijoux fantaisie. La convention signée au départ prévoit que la conseillère est un intermédiaire indépendant agissant occasionnellement au nom et pour compte de celle-ci. Le caractère indépendant de la collaboration est rappelé et diverses clauses en prévoient les conditions d’exercice (rémunération, mise à disposition de matériel, publicité, TVA, etc.).

Par ailleurs, l’intéressée est occupée en qualité de salariée à temps plein. Le tribunal relève qu’elle a marqué intérêt pour figurer dans une équipe de base constituée par cette société.

Suite à un vol avec effraction dans son véhicule, survenu en mars 2009 – l’intéressée n’ayant pas d’assurance vol –, la société lui a réclamé une somme de l’ordre de 3.000 €, s’agissant d’un kit de démonstration qui avait été laissé dans le véhicule.

Tel est l’objet de la demande de la société.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu s’il y a contrat de travail, et ce eu égard à la convention conclue.

Il rappelle les trois éléments essentiels du contrat de travail, dont l’exigence d’une autorité juridique, caractérisée par le fait de recevoir des ordres précis quant au travail à effectuer, à la manière de le réaliser et la possibilité pour le travailleur d’être surveillé à tous moments. Il fait la distinction entre cette autorité et la simple exécution d’un contrôle ou le fait de donner des instructions dans le cadre d’un contrat d’entreprise.

Ayant rappelé ensuite les articles 328, 331, 332, 333 et 339 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, le tribunal retient l’absence de surveillance (ou la possibilité de surveillance) de l’organisation du temps de travail. L’intermédiaire, dans cette relation commerciale, était dès lors tenue à un service de démonstration, aucun rythme de prestation n’étant cependant prévu. La rémunération était d’ailleurs accordée sous forme de commissions sur les ventes, sans minimum ou fixe. Il y avait dès lors des directives générales ou commerciales et deux éléments essentiels du contrat de travail font ainsi défaut, étant la rémunération et le lien de subordination.

Le tribunal examine cependant s’il pourrait quand même y avoir contrat de travail de représentant de commerce, dans la mesure où l’article 4 de la loi du 3 juillet 1978 est une disposition impérative et qu’il contient une présomption. Pour la reconnaissance de ce contrat, la qualification donnée ainsi que le titre utilisé importent peu. C’est l’activité en elle-même qui doit être vérifiée, étant de savoir si (i) le travailleur prospecte et visite une clientèle, (ii) en vue de la négociation ou la conclusion d’affaires, (iii) contre rémunération et sous l’autorité de l’employeur, (iv) pour le compte et au nom d’un ou de plusieurs commettants et (v) si cette activité est principale et constante.

En ce qui concerne la rémunération, le tribunal retient que le mode adopté n’est pas déterminant, celle-ci pouvant être un traitement fixe, des commissions, ou encore les deux.

Ici également, cependant, des éléments font défaut pour que puisse être retenu le statut de représentant de commerce. Les démonstrations s’effectuent en effet chez des « hôtesses » ou au domicile même de l’intermédiaire. Examinant les conditions concrètes d’exercice, le tribunal retient qu’aucun élément concret dans l’exécution du travail ne permet de retenir un lien de subordination.

Le contrat ne peut par ailleurs être analysé comme un contrat d’agence commerciale au sens de la loi du 13 avril 1995, l’agent commercial devant être chargé, de façon permanente et moyennant rémunération, de la négociation et, éventuellement, de la conclusion d’affaires. Contrairement au représentant de commerce, il organise ses activités comme il l’entend et dispose librement de son temps. Cette forme de collaboration n’est pas applicable en l’espèce, s’agissant d’une activité très occasionnelle et accessoire et n’ayant pas pour objet la négociation d’affaires, mais uniquement la présentation d’un produit.

Il en découle que les parties étaient liées par un contrat de collaboration indépendante et que, dans le cadre de celui-ci, le dépôt du kit de démonstration est l’accessoire de la convention d’entreprise.

Reprenant les obligations en matière de contrat de dépôt (articles 1927 à 1929 du Code civil), le tribunal retient que l’intéressée a souscrit une obligation de restitution, qui est une obligation de résultat. Elle ne peut être libérée que si elle prouve la cause étrangère, ce que n’est pas le vol en cause. Le tribunal retient que laisser dans un coffre de voiture, sur la voie publique, pendant plusieurs heures, en soirée, un bien d’une valeur de plus de 9.000 € – même à l’abri des regards – n’est pas un comportement « suffisamment prudent ».

Elle accueille dès lors la demande de la société, à majorer des intérêts moratoires depuis la citation.

Intérêt de la décision

Si les décisions rendues en vue de faire requalifier des conventions de collaboration indépendante sont relativement fréquentes, la présente espèce contient deux particularités, étant que le tribunal a apprécié, après un premier examen des critères généraux du contrat de travail, la possibilité que l’on soit – malgré la signature d’une collaboration indépendante – dans le cadre d’un contrat de représentant de commerce, et ce eu égard aux spécificités de celui-ci.

Ensuite, le tribunal aborde également la matière du contrat d’agence commerciale. Vu le caractère tout à fait accessoire et occasionnel de l’activité, ainsi que son mode d’exécution (vente dans des réunions de personnes invitées au domicile d’un tiers, ou même de l’intermédiaire elle-même), la convention ne peut s’analyser que comme un contrat d’entreprise, qui laisse au prestataire une liberté d’organisation totale dans son travail et dans son temps de travail.

En conséquence, s’agissant ici d’un préjudice causé au co-contractant, celui-ci doit suivre les règles du contrat de dépôt du Code civil.

Relevons enfin en ce qui concerne la loi du 13 avril 1995 – qui aurait pu s’appliquer à l’époque des faits – qu’elle a été abrogée par une loi du 2 avril 2014, qui a inséré dans e Code économique un Livre X relatif à la question.


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