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Secteur des assurances : droit à l’indemnité de stabilité d’emploi et motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 2014/AB/803

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2017


Cour du travail de Bruxelles, 4 août 2016, R.G. 2014/AB/803

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 août 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’enseignement de la Cour de cassation : dès lors que le motif grave n’est pas retenu par les juridictions du travail, la procédure à suivre en vertu de la convention de secteur devait être, selon le cas, celle prévue en présence ou en l’absence d’avertissements antérieurs.

Les faits

Un employé du secteur des assurances est licencié pour motif grave.

Il avait été engagé en juin 2008 et était soumis à un horaire flottant, prévu par le règlement de travail. Cet horaire flottant a pour but, ainsi que repris dans ledit règlement, de permettre une plus grande liberté à l’employé en ce qui concerne le choix de ses heures d’arrivée et de départ et également de compenser la quantité variable de travail. Les exigences de discipline sont rappelées afin de permettre la viabilité du système. La direction a dès lors le droit de suspendre ce régime dans quelques hypothèses (solde négatif d’heures de plus de 10 heures par mois, oubli de pointage, etc.).

Dans ce cadre, l’intéressé reçoit en mai 2011 un courrier de sa direction, constatant des arrivées tardives ayant une incidence sur le travail d’autres collègues. Une mise au point est effectuée quelques mois plus tard et des mesures spécifiques sont prises en ce qui le concerne, notamment afin de remettre à zéro son compte d’heures, qui est en négatif.

En janvier 2012, il est licencié pour motif grave. La lettre de licenciement rappelle le dernier avertissement ci-dessus. Les faits reprochés consistent dans le fait pour l’intéressé d’avoir pointé en rentrant de sa pause de midi mais d’avoir été vu en train de fumer devant le bâtiment au lieu de travailler. Pour la société, il s’agit d’un acte manifeste d’insubordination.

Les parties vont échanger des courriers, ultérieurement, le conseil de l’employé expliquant que, si le pointage était intervenu avant que l’intéressé ne soit ressorti pour fumer sa cigarette, et ce quelques minutes auparavant, il s’était agi d’une erreur, le fait n’étant pas intentionnel. L’intéressé fait encore valoir qu’il n’a pas pu être entendu dans ses explications et qu’il a été licencié quelques heures plus tard pour motif grave.

Pour la société, il y a eu fraude au pointage, faute commise en toute conscience et en connaissance de cause.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, l’employé demandant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 3 mois ainsi que l’indemnité sectorielle de sécurité d’emploi.

Par jugement du 28 avril 2014, le tribunal a fait droit à la demande. La société interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend, de manière succincte, les principes en matière de licenciement pour motif grave, étant essentiellement les délais et formalités de notification prévus à l’article 35, alinéas 3 à 5, de la loi sur les contrats de travail.

Aucune difficulté ne se pose quant au respect de ces dispositions.

La cour en vient donc au fond du motif, étant de savoir si le pointage était intentionnel ou non. L’intéressé précise, dans ses explications, qu’en revenant de sa pause de midi, il a en réalité voulu vérifier le temps de pause qui lui restait pour fumer sa cigarette et qu’il aurait ainsi enclenché par erreur la touche F5 au lieu de F8.

La cour examine la latitude qu’avait le travailleur en ce qui concerne ses pauses de midi. Elle constate que la thèse qu’il développe est corroborée par le relevé des pointages. Il paraît dès lors avoir réservé une suite adéquate aux avertissements qui lui avaient été notifiés précédemment. Le comportement litigieux ne peut donc être qualifié de non-respect des horaires de travail et n’est pas la continuation des faits qui font l’objet des avertissements antérieurs. Pour la cour, le comportement constitue une « forme de nonchalance, d’indélicatesse, un manque de conscience professionnelle ». Celui-ci n’étant pas systématique et n’ayant pas procédé d’une intention frauduleuse, il ne peut être considéré comme justifiant des soupçons quant à de possibles fraudes.

Enfin, elle relève que les pauses cigarette n’ont été intégrées dans le règlement de travail qu’après le licenciement. Il n’y a dès lors aucun manquement à celui-ci. Les faits ne sont en conséquence pas constitutifs de motif grave et la cour alloue l’indemnité compensatoire de préavis demandée.

Elle examine, ensuite, la question des procédures reprises dans la C.C.T. du 6 décembre 2010, conclue au sein de la C.P. 310, C.C.T. rendue obligatoire par arrêté royal du 28 avril 2011.

Elle relève qu’une autre C.C.T. sectorielle du 15 octobre 2003 avait précédemment renforcé la protection en matière de licenciement individuel (arrêté royal du 29 mars 2006). Est prévue (hors le cas de faute grave) une procédure d’accompagnement des licenciements individuels, exigeant notamment un délai minimum entre l’annonce du licenciement et la décision. Ce délai ne peut être inférieur à 5 jours calendrier.

Trois hypothèses sont visées au total en cas de licenciement individuel, dont celui pour motif grave. Dans ce cas, l’employeur doit informer la délégation syndicale dès la notification légale faite à l’intéressé. Les deux autres hypothèses concernent le licenciement avec procédure d’avertissement ou en-dehors d’une telle procédure. Dans l’hypothèse où la convention n’est pas respectée, une sanction est prévue, consistant en une indemnité calculée en fonction de l’ancienneté. Dans l’hypothèse de l’intéressé, elle est de trois mois de salaire mensuel.

Pour la cour du travail, le motif grave n’a pas été retenu. Dès lors, l’employeur ne peut se prévaloir de la procédure conventionnelle relative à ce type de licenciement. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 6 février 1995 (Cass., 6 février 1995, n° S.94.0088.F), où le délai de trois jours pour la notification du licenciement n’avait pas été respecté.

Pour la cour, c’était dès lors les autres procédures prévues en cas de licenciement individuel qu’il fallait suivre, étant soit celle relative à la procédure d’avertissement, soit celle du licenciement en-dehors d’une telle procédure. Or, ceci n’a pas été le cas, l’intéressé ayant été licencié sur le champ sans passer par une évaluation dans le délai fixé par la C.C.T. (règle relative au licenciement avec procédure d’avertissement – article 4bis, § 1er, de la C.C.T.). En outre, s’il fallait suivre le licenciement sans procédure d’avertissement, qui, selon la C.C.T., couvre tous les autres cas de licenciements fondés sur un comportement individuel, l’employeur devait ici, préalablement à la notification formelle, informer celui-ci et sa délégation syndicale. Ceci devait intervenir dans un délai suffisant pour permettre à cette dernière de réagir. La procédure prévoit également la possibilité pour l’intéressé de demander une motivation écrite justifiant le licenciement.

A la société, qui plaide que, n’ayant pas de délégation syndicale, elle n’était pas en mesure de respecter les procédures en cause, la cour oppose un arrêt de la Cour du travail de Liège du 24 juillet 2012 (C. trav. Liège, 24 juillet 2012, R.G. 2011/AL/268), qui a jugé que, si une compagnie d’assurances ne met pas en place une procédure d’accompagnement individuel, elle ne peut se prévaloir de son propre manquement pour être dispensée des obligations qui étaient les siennes.

La cour rejette encore d’autres arguments de texte invoqués par la société et confirme le droit à l’indemnité spéciale.

Enfin, elle fait droit à une demande de capitalisation des intérêts fondée sur l’article 1154 du Code civil.

Intérêt de la décision

Au-delà de l’intérêt de l’examen fait par la cour quant au fond du motif et à son identité par rapport aux griefs antérieurs au licenciement, c’est un principe constant qui est rappelé dans cet arrêt.

La procédure en cas de licenciement individuel dans le secteur des assurances est contraignante, une clause de sécurité d’emploi existant au niveau du secteur. Dès lors que le licenciement pour motif grave est invoqué, des procédures doivent être mises en route, étant, selon la C.C.T. elle-même, que l’employeur doit informer la délégation syndicale dès la notification légale à l’intéressé. Pour les autres licenciements (hors motif grave et avec ou sans avertissement antérieur), d’autres garanties sont prévues.

Dès lors que le motif grave n’est pas retenu par les juridictions du travail, même si c’est celui-ci qui a été invoqué à la base du licenciement, il y avait lieu de respecter les autres garanties prévues. C’est l’enseignement de la Cour de cassation dans un arrêt cité par la cour du travail, arrêt du 6 février 1995. La justification de la règle se trouve dans la convention collective elle-même, étant que le motif grave est défini comme étant celui au sens où l’entendent la législation et la jurisprudence sur les relations de travail. Dès lors que ce motif grave n’est pas admis, l’hypothèse n’est pas avérée.


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