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Liberté de circulation et notion d’entrave au sens du TFUE

Commentaire de C.J.U.E., 6 octobre 2016, Aff. C-466/15 (ADRIEN E.A. c/ PREMIER MINISTRE E.A)

Mis en ligne le lundi 13 février 2017


Cour de Justice de l’Union Européenne, 6 octobre 2016, Aff. C-466/15 (ADRIEN E.A. c/ PREMIER MINISTRE E.A)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 octobre 2016, la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme sa jurisprudence en matière de libre circulation des travailleurs, droit qui doit s’exercer sans entrave et notamment sans incidence néfaste sur la pension de retraite.

Les faits

Des fonctionnaires français sont détachés auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne en qualité d’agents temporaires. Ils contribuent au régime de pension de l’Union et peuvent ainsi bénéficier de prestations dans ce cadre juridique. Ainsi, après dix années de service, ils sont en droit de percevoir une pension. Si le détachement ne dure pas dix ans, ils ont droit, selon la durée du service accompli, soit à une allocation de départ (équivalente au triple des sommes retenues sur le traitement de base pour la contribution de pension), soit au versement de l’équivalent actuariel des droits à la pension d’ancienneté acquis auprès de l’Union (ou à un fonds de pension).

En vertu du droit français, un fonctionnaire détaché au sein d’une institution ou d’un organe de l’Union doit choisir.

Il peut suspendre son affiliation pendant la durée du détachement et il est pour celle-ci uniquement affilié au régime de pension de l’Union, hypothèse dans laquelle sa pension française sera réduite à due proportion et il y aura cumul avec la pension européenne.

Par ailleurs, s’il continue à contribuer au régime de pension français, il acquiert des droits dans celui-ci mais le montant de la pension qu’il percevra ne peut compléter la pension acquise au titre de régime de l’Union que dans la mesure de la pension qu’il aurait acquise selon le droit français en l’absence d’un tel détachement (plafonnement). La pension de retraite nationale est ainsi diminuée à concurrence de la pension européenne. Par ailleurs, le montant des deux ne peut dépasser le plafond fixé (écrêtement), ce qui affecte ainsi le montant total de la pension française.

Dans la situation des intéressés, la pension de l’Union sera supérieure à la pension française qu’ils auraient acquise en l’absence de détachement et ils ne percevront, ainsi, conformément au droit français, aucune pension au titre de régime de pension français.

Une demande a dès lors été introduite auprès du Conseil d’Etat aux fins de contester les effets de cette mesure. Le Conseil d’Etat a décidé de poser à la CJUE la question préjudicielle correspondante, étant de savoir si la réglementation nationale est conforme à l’article 45 du TFUE, lu à la lumière de l’article 48 du même Traité ainsi que du principe de coopération loyale visé à l’article 4 du TUE.

L’arrêt de la Cour

La Cour rappelle en premier lieu que les Etats membres conservent leurs compétences pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale mais que, dans le cadre de celles-ci, ils doivent respecter le droit de l’Union et notamment le principe de la libre circulation des travailleurs. Il faut dès lors voir si les dispositions querellées sont applicables à la situation en cause et, si c’est le cas, il faut déterminer si la réglementation nationale est une entrave à ce principe. Dans l’affirmative, il y a alors lieu de vérifier la justification d’une telle entrave.

La première question reçoit une réponse affirmative : les intéressés ne peuvent se voir refuser le bénéfice des droits et avantages sociaux prévus à l’article 45 TFUE.

Sur la question de l’entrave, celle-ci est encadrée par le même article 45 TFUE. La réglementation nationale ne peut désavantager le travailleur qui exerce sa liberté de circulation par rapport à celui qui ne l’exerce pas. Un des soutènements de la règle est que le droit européen ne peut conduire purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus.

La Cour en vient alors à la définition régulière qu’elle a donnée du terme « entrave », étant qu’il doit s’agir de mesures qui ont pour effet de faire perdre au travailleur, par suite de l’exercice du droit à la libre circulation, des avantages de sécurité sociale assurés par la législation d’un Etat membre, notamment lorsque ceux-ci sont la contrepartie de cotisations versées.

La Cour constate en l’espèce que le droit français contient des règles de plafonnement et d’écrêtement qui ont pour effet que le fonctionnaire détaché vers une institution de l’Union Européenne et qui reste affilié au régime de pension français pendant la période de détachement perdra tout ou partie des avantages correspondant à son affiliation à celui-ci s’il accomplit la période de dix ans au service de l’Union. S’il reste affilié au régime de pension national, il va verser des contributions à fonds perdus. Pour la Cour, ces règles sont susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice par ce fonctionnaire de son droit à la libre circulation.

Le caractère facultatif du maintien de l’affiliation au régime français ne modifie pas le principe, non plus que le constat que cette réglementation ne défavorise pas les fonctionnaires détachés par rapport à ceux qui font leur carrière en totalité en France.

Sur la justification de l’entrave, elle relève que le Conseil d’Etat français n’invoque aucun motif et que le gouvernement français n’en précise pas davantage devant elle. Il y dès lors entrave injustifiée au principe de la libre circulation des travailleurs garanti par l’article 45 TFUE.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice a été amenée à rendre divers arrêts sur ce type de situation.

Rappelons à cet égard son arrêt du 13 juillet 2016 (CJUE, 13 juillet 16, Aff. C-187/15, PÖPPERL c/ LAND NORDRHEIN-WESTFALEN précédemment commenté). Il s’agissait également d’une question de pension de vieillesse, l’examen étant fait par rapport au droit allemand. La Cour de Justice y avait repris les règles en matière de libre circulation des travailleurs, insistant, comme réaffirmé dans l’ensemble de sa jurisprudence, sur le fait que des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité ne peuvent en principe être admises. Les seules restrictions autorisées sont que de telles mesures doivent poursuivre un objectif d’intérêt général, être propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

Dans cet arrêt, la Cour avait également renvoyé à une autre décision récente du 21 janvier 2016 (CJUE, 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14 (COMMISSION EUROPEENNE C/ REPUBLIQUE DE CHYPRE, précédemment commenté).


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