Commentaire de C.J.U.E., 24 novembre 2016, Aff. C-443/15 (PARRIS / TRINITY COLLEGE DUBLIN, HIGHER EDUCATION AUTHORITY ET ALII)
Mis en ligne le lundi 13 mars 2017
Cour de Justice de l’Union Européenne, 24 novembre 2016, Aff. C-443/15 (PARRIS / TRINITY COLLEGE DUBLIN, HIGHER EDUCATION AUTHORITY ET ALII)
Terra Laboris
Dans un arrêt du 24 novembre 2016, la Cour de Justice de l’Union Européenne examine, à propos d’une espèce irlandaise, s’il y avait, avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2010 sur les partenariats civils, une possibilité de discrimination (doublée d’une discrimination sur la base de l’âge), en cas de refus d’une pension de survie au partenaire survivant.
Les faits
Un membre du personnel enseignant du Trinity College de Dublin (bénéficiaire d’un contrat de travail) est affilié à un régime de pension géré par l’institution où il enseigne. Il est prévu, dans le cadre de celui-ci, le paiement, en cas de décès, d’une pension de survie au conjoint ou (depuis une modification législative prenant effet au 1er janvier 2011) au partenaire enregistré. Parmi les conditions figure l’exigence d’un mariage ou d’un partenariat enregistré avant le 60e anniversaire de l’intéressé.
Celui-ci a, en l’occurrence, la double nationalité (irlandaise et britannique). Il était possible, dans sa situation, de conclure un partenariat enregistré au Royaume-Uni, et ce depuis le 21 décembre 2005, ce qu’il a fait. Il avait à ce moment-là 63 ans. La possibilité correspondante n’existait pas à l’époque en Irlande.
Il a, dans le courant de l’année 2010, pu bénéficier d’une retraite anticipée.
L’Irlande a alors adopté, en date du 19 juillet 2010, la loi sur les partenariats civils.
L’intéressé a, quelques semaines plus tard, demandé à l’établissement où il enseignait que son partenaire enregistré bénéficie d’une pension de survie à son décès. Ceci a été rejeté et un recours a été introduit.
Suite à l’entrée en vigueur de la loi sur les partenariats civils du 19 juillet 2010, en date du 1er janvier 2011, le partenariat a été reconnu en droit irlandais. L’autorité administrative a cependant confirmé la décision de refus, au motif que la retraite avait été prise avant la reconnaissance du partenariat par l’Etat irlandais, ainsi qu’eu égard au dépassement de l’âge de 60 ans, condition de l’octroi de la prestation.
Une action a été introduite devant les juridictions spécialisées (Equality Tribunal), au motif d’une discrimination sur la base de l’âge et de l’orientation sexuelle.
Suite au rejet de la demande, l’intéressé a saisi le Tribunal du Travail.
C’est cette juridiction qui interroge la Cour de Justice et lui pose trois questions. La première porte sur une contrariété à l’article 2 de la Directive 2000/78, dans l’application d’une règle d’un régime de prévoyance professionnel qui soumet le versement d’une prestation de survie au partenaire enregistré survivant à la condition que le partenariat ait été contracté avant le 60e anniversaire de l’affilié alors que la chose n’était pas possible en vertu du droit national et que ce partenariat enregistré avait été constitué avant cette date, s’agissant d’un partenariat de vie stable. Cette question est posée sous l’angle de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle. La deuxième question vise l’âge et soumet l’examen de la Cour à la conformité de la législation à l’article 2, ainsi qu’à l’article 6, § 2, de la Directive. Une troisième question porte sur l’existence d’une discrimination sous l’angle combiné de l’âge et de l’orientation sexuelle.
La décision de la Cour
La Cour rappelle qu’une pension de survie prévue par un régime professionnel de pension relève du champ d’application de l’article 157 TFUE. Le fait que cette pension soit versée non au travailleur mais à son survivant ne modifie pas la règle, dans la mesure où la prestation est un avantage qui trouve son origine dans l’affiliation au régime du conjoint du survivant.
En ce qui concerne la nature du régime de prévoyance professionnel, la Cour relève que celui-ci n’est pas applicable à des catégories générales de travailleurs mais uniquement à ceux employés par l’institution en cause (octroi qui sera élargi ultérieurement aux autres universités). Il n’y a dès lors pas un régime légal mais une réglementation propre, la Cour relevant que ce régime était d’ailleurs financé par l’université elle-même et était ainsi un avantage proposé au travailleur.
La Cour en conclut que la prestation en cause découle de la relation de travail entre les parties et qu’elle constitue dès lors une « rémunération » au sens de l’article 157 TFUE. La réglementation relève, donc, du champ d’application de la Directive 2000/78.
Ce premier constat étant fait, elle examine la question de savoir si l’application d’une telle réglementation peut instituer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, s’agissant d’une discrimination interdite. Reprenant sa jurisprudence (arrêt MARUKO du 1er avril 2008, Aff. C-267/06), la Cour rappelle qu’une réglementation d’un Etat membre qui n’ouvre pas au partenaire survivant le droit à une pension de survie équivalente à celle de l’époux survivant – alors qu’en droit national, la législation en matière de partenariat de vie placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux – est une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle.
En ce qui concerne le bénéfice de la prestation, la Cour retient que la condition de la conclusion du mariage ou du partenariat enregistré avant le 60e anniversaire s’applique aussi bien aux travailleurs homosexuels qu’aux hétérosexuels, et ce sans distinction. Les partenaires enregistrés survivants ne sont dès lors pas traités de manière moins favorable que les conjoints survivants. Par ailleurs, la Cour constate que l’intéressé avait mis un terme à son activité professionnelle avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2010 (date d’entrée en vigueur : le 1er janvier 2011 ; date de prise de la pension de la retraite : le 31 décembre 2010). Pour la Cour, l’intéressé était dans l’impossibilité de remplir la condition légale, comme tout travailleur homosexuel né avant 1951, mais cette impossibilité est une conséquence d’une part de l’état du droit existant lorsqu’il a atteint l’âge de 60 ans, ainsi que de l’absence de dispositions transitoires relatives aux travailleurs de cette catégorie (nés avant 1951).
La législation en matière d’état civil (et les prestations qui en découlent) est une matière qui relève de la compétence des Etats membres, compétence dans laquelle ils doivent respecter les principes de non-discrimination. Cependant, pour la Cour, les Etats membres sont libres de prévoir ou non le mariage pour des personnes du même sexe ou une forme alternative de reconnaissance légale de leur relation, ainsi que, le cas échéant, de prévoir la date à partir de laquelle un tel mariage ou une telle forme alternative produira ses effets (considérant 59). La réglementation nationale ne crée dès lors pas une discrimination indirecte, aucune obligation n’existant pour l’Etat de prévoir avant le 1er janvier 2011 le mariage ou une forme d’union civile pour les couples homosexuels, non plus que de donner des effets rétroactifs à la loi.
La réponse aux deux questions suivantes découle de cette première conclusion, la discrimination étant ici abordée sous l’angle de l’âge. La Cour constate que la réglementation nationale institue une différence de traitement directement fondée sur ce critère, puisque le mariage ou le partenariat enregistré doit avoir été conclu avant le 60e anniversaire. Pour la Cour, il ne s’agit pas, cependant, d’une discrimination fondée sur l’âge, mais d’un âge d’admissibilité à une prestation de vieillesse. La circonstance que le mariage ou le partenariat ne pouvait être conclu avant l’âge de 60 ans ne modifie en rien cette conclusion, vu qu’il y avait impossibilité à la date du 60e anniversaire de l’intéressé de remplir cette condition. La Cour rappelle que le droit de l’Union ne s’oppose pas ici à cet état du droit national.
La réponse à la troisième question découle des constats précédents.
Il n’y a dès lors pas de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, non plus que sur l’âge, non plus qu’en raison des deux critères combinés.
Intérêt de la décision
Cet arrêt de la Cour de Justice revient à diverses reprises sur l’arrêt MARUKO du 1er avril 2008. Il s’agit d’une affaire allemande, dans laquelle se posait la question de l’octroi d’une pension de veuf dans l’hypothèse d’un partenaire de vie survivant. Les mêmes questions étaient abordées, étant de savoir si la prestation rentrait dans le champ d’application de la Directive, s’il s’agissait d’une rémunération au sens de celle-ci et où l’intéressé exposait qu’il ne pouvait remplir la condition de mariage à laquelle le régime de prévoyance subordonnait le bénéfice de la prestation.
La Cour avait considéré que les partenaires de vie se voyaient traités de manière moins favorable que les époux survivants, en ce qui concerne le bénéfice de cette prestation de survie. Elle avait retenu que les articles 1er et 2 de la Directive s’opposent à une réglementation qui prévoit qu’après le décès du partenaire de vie, le partenaire survivant ne perçoit pas une prestation de survie équivalente à celle du conjoint survivant alors qu’en droit national, le partenariat de vie placerait des personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui est de l’octroi de cette prestation. La Cour concluait sur cette question qu’il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier si le partenaire de vie survivant était dans une situation comparable à celle du conjoint survivant.