Commentaire de Cass., 14 novembre 2016, n° S.08.0121.F
Mis en ligne le lundi 13 mars 2017
Cour de cassation, 14 novembre 2016, n° S.08.0121.F
Terra Laboris
Dans un arrêt du 14 novembre 2016, la Cour de cassation rappelle, outre les conditions de preuve du motif grave, les obligations de la CCT 32bis en matière d’avantages contractuels dont la modification est décidée par le cessionnaire : l’accord du travailleur sur celle-ci est indispensable, même si une évaluation globale peut faire apparaître que le niveau des avantages existant avant le transfert a été maintenu.
Faits de la cause
Mr B. était au service de la société Siemens en qualité d’employé depuis le 14 janvier 1985. L’activité de la division pour laquelle il travaillait a été cédée à la Société Maquet Belgium avec effet au 1er octobre 2003 et Mr B. a été occupé par celle-ci à partir de cette date. Le siège social de cette entreprise étant à Ternat, le néerlandais est devenu la langue applicable aux relations de travail entre les parties, ce dont Mr B. s’est plaint.
Les relations entre parties se sont envenimées et Mr B. a été licencié pour motif grave le 6 octobre 2005, ce motif étant que, bien que les obligations d’information et de consultation au sujet du transfert d’entreprise aient été parfaitement remplies, il a adopté, sans justification objective et pertinente, de manière récurrente et nonobstant les avertissements et injonctions de cesser ces comportements, une attitude agressive et discourtoise envers la direction et a multiplié les actes d’insubordination et de dénonciations calomnieuses.
Mr B. a cité son ex-employeur à comparaître devant le Tribunal du travail de Liège en paiement, notamment, d’une indemnité compensatoire de préavis, d’une indemnité pour licenciement abusif et de divers avantages dont il bénéficiait chez Siemens (primes de fréquence, augmentation annuelle de sa rémunération et assurance groupe) et qui lui ont été supprimés par le cessionnaire. D’autres postes de la demande ne sont pas précisés dès lors qu’ils ne sont pas concernés par la procédure devant la Cour de cassation.
La société a formé une demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour l’atteinte portée à sa réputation par les dénonciations qu’elle qualifie de calomnieuses de Mr B.
Le tribunal a débouté le travailleur de tous les postes de la demande ici commentés et a accueilli la demande reconventionnelle à concurrence de 1.500 €.
Mr B. a formé à l’encontre de ce jugement un appel principal et la société a formé un appel incident sur des postes non commentés.
L’arrêt attaqué
L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 21 mars 2008 (6e chambre, R.G. n° 34.553/07) confirme le jugement dont appel.
Sur le licenciement pour motif grave et la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif, cet arrêt précise que Mr B. ne pouvait se plaindre de l’usage du néerlandais dans les relations sociales car le « décret flamand du 19 juillet 1973 prévaut sur la convention collective de travail n° 32 bis et rend caduque l’article 7 du contrat de travail initial ». La cour du travail ajoute que le travailleur n’a pas invoqué l’existence d’un acte équipollent à rupture. Elle décide que : « bien que les obligations d’information et de consultation au sujet du transfert d’entreprise aient été parfaitement remplies, le travailleur a adopté sans justification objective et pertinente, de manière récurrente et nonobstant les avertissements et injonctions de cesser ces comportements, une attitude agressive et discourtoise envers la direction et a multiplié les actes d’insubordination et de dénonciations calomnieuses » et que « les attitudes fautives de (Mr B.) qui se sont déroulées dans les trois jours qui ont précédé le licenciement ont légitimement entraîné une perte de confiance immédiate et irrémédiable et ont justifié son licenciement pour motif grave ».
Sur les avantages dont le travailleur bénéficiait lorsqu’il était au service du cédant et qui ont été supprimés par le cessionnaire, la cour du travail décide que ceux-ci ont été remplacés par d’autres plus avantageux et que le travailleur ne peut tout à la fois prétendre au maintien de l’ancien système tout en bénéficiant du nouveau qui lui est au moins aussi favorable.
La requête en cassation
Nous ne développerons que les critiques que la Cour a examinées.
Le premier moyen critique la décision que le licenciement pour motif grave est valable en la forme et justifié sur le fond. Le demandeur soutient qu’il est impossible de déterminer quels éléments factuels, dont l’arrêt décide qu’ils sont mentionnés dans la lettre de congé, sont survenus dans les trois jours précédant le licenciement et sont établis. L’arrêt n’est donc pas régulièrement motivé et ne permet pas à la Cour d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision faisant application de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (violation de l’article 149 de la Constitution).
Les sixième, septième et huitième moyens critiquent les décisions de débouter le travailleur de ses actions en paiement, respectivement, des primes de fréquence, d’augmentation annuelle de sa rémunération et des primes patronales d’assurance de groupe (violation notamment de l’article 7 de la CCT n° 32bis conclue au sein du Conseil national du travail le 7 juin 1985).
L’arrêt commenté
La Cour casse la décision qui a dit le licenciement pour motif grave fondé et a débouté Mr B. de sa demande en paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et qui, par voie de conséquence, a accueilli la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de l’employeur et a débouté le demandeur de ses prétentions au paiement de primes de fréquence et d’augmentation annuelle de sa rémunération.
Sur le premier moyen, elle relève que la cour du travail ne précise pas, parmi les éléments de fait énoncés dans la lettre de congé et contestés par Mr B., ceux qu’elle a tenus pour établis et survenus dans les trois jours précédant le licenciement. Il est donc impossible à la Cour d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision au regard des conditions de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978 en sorte que l’arrêt viole l’article 149 de la Constitution.
Sur les sixième et septième moyens, elle rappelle qu’en vertu de l’article 7 de la CCT n° 32 bis, les droits et obligations qui résultent pour le cédant des contrats de travail existants à la date du transfert de l’entreprise sont, du fait du transfert, transférés au cessionnaire. Il suit de cette disposition que le cessionnaire ne peut modifier les conditions de rémunération en vigueur au sein de l’entreprise cédée. L’arrêt attaqué, qui ne constate pas l’accord de Mr B. sur ces modifications, viole dès lors cette disposition légale.
Par contre, cette CCT ne règle pas, en vertu de son article 4, le transfert des droits des travailleurs aux prestations prévues par les régimes de retraite, de survie et d’invalidité, à titre de régimes complémentaires de prévoyance sociale. Le cessionnaire n’est donc pas tenu de poursuivre les systèmes d’assurance de groupe existants (rejet du huitième moyen).
Intérêt de la décision
La réponse au premier moyen permet de rappeler que, si le juge du fond apprécie souverainement si les motifs - qu’il juge établis et dont un au moins est survenu dans les trois jours précédant le licenciement - sont suffisamment graves pour entraîner l’impossibilité immédiate de poursuivre les relations professionnelles, la Cour de cassation peut contrôler si la décision ne viole pas les notions légales énoncées par l’article 35 de la loi, notamment l’exigence d’un (ou de) comportement(s) imputable(s) à faute au travailleur, la charge de la preuve pesant sur l’employeur ainsi que le respect du double délai de trois jours. D’où l’importance de conclusions précises sur les éléments de fait et de droit contestés par le travailleur.
L’arrêt permet également de souligner que toute modification par le cessionnaire des conditions de rémunération en vigueur au sein de l’entreprise cédée et qui sont réglés par la CCT n° 32 bis requiert l’accord du travailleur. Il ne s’agit donc pas d’une balance globale des avantages qui sont la contrepartie des prestations de travail mais d’une vérification poste par poste.